Que les choses soient claires, j'aime beaucoup
Virginie Despentes. Plus que sa littérature, j'aime sa vie décalée, son côté ex-alcoolique, ex-junkie, ex-pute, ex-sdf, ex-hétéro ; un peu la meuf qui a tout vu tout lu, que rien ne choque, que tout embarque.
J'ai été à la fois très déçue par cet essai, tout en étant complètement conquise par les réflexions qu'il a fait naître en moi. On est bien dans du
Virginie Despentes, avec des titres de chapitres aussi classes et provocs' que « je t'encule ou tu m'encules ? » et des argumentations super bien tournées que nul ne peut réfuter. le seul hic – et l'on sait heureusement qu'elle a vieilli depuis – elle est très agressive à l'égard de ceux qui l'ont contrariée dans sa vie, ce qui du coup fait retomber le poids de son essai. Mais qu'importe, une femme qui se bat pour les femmes de façon très différente des autres femmes, ça me plaît, même si je dois dire qu'aussi parfois je trouve qu'elle caricature un peu trop les choses…
Mais que raconte cet essai précisément ?
L'auteure nous livre ses réflexions sur 4 aspects importants : le viol / la prostitution / la pornographie / le chemin des femmes. le tout dans une verve féministe très intéressante et relativement avant-gardiste (comme elle le dit elle-même, elle ne s'excuse pas d'écrire ce qu'elle écrit, à la différence d'une
Simone de Beauvoir qui s'excuse auprès des hommes en leur disant que malgré tout elle les aime etc.). Chacune de ses positions est étayée par son expérience personnelle. Parfois, cela sert le propos, et parfois cela le dessert, car on ne peut pas tirer toujours d'un cas particulier une généralité.
Il y a toute une partie bonne à relire mais finalement dans laquelle je n'ai pas appris grand-chose. Les femmes ont intégré jusqu'à l'os l'idée que leur indépendance pourrait être néfaste. Ne pas avoir d'homme dans sa vie, s'assouvir seule, gagner sa vie largement, vivre comme un mec, libre, sans contraintes, c'est « ne pas avoir de féminité ». Aimer boire, rire fort, s'envoyer en l'air quand ça nous chante avec n'importe qui, c'est « ne pas avoir de féminité ». Parce qu'être féminine, n'en déplaise à certaines, c'est in fine accepter d'être sous la coupe d'un ou des hommes. On ne s'en rend même plus compte tellement nous l'avons assimilé. Il faut être belle mais pas trop (parce que les autres femmes t'en veulent et les mecs ne te draguent plus – trop inaccessible voyons !), riche mais moins que ton mari (sinon il perd sa culotte), enjouée et amusée mais pas drôle à se faire pipi dessus (sinon tu es un bon pote), intelligente et cultivée mais sans trop ouvrir ta gueule (sinon « tu es mignonne mais je vais t'expliquer »). En bref, il faut se positionner un cran en-dessous de ce que nous aimerions être. J'entends les commentaires (« oui, non, tu exagères », mais je vous laisse y réfléchir plus longuement avant de rétorquer). Evidemment, il y a eu des avancées énormes en notre faveur, mais enfin le chemin est long, et les hommes restent malgré tout convaincus qu'ils nous dominent un peu, même s'ils n'en ont pas conscience. D'ailleurs au-delà d'une conviction, c'est une réalité !
J'ai 33 ans. Si je suis sympa avec un mec, que je m'intéresse à lui en tant que personne, pas en tant que bête de sexe, il est généralement convaincu que je le dragouille. Je suis l'une des plus diplômées de ma boite, mais je suis moins payée que tous les hommes qui y bossent (à part deux petits jeunes qui viennent d'arriver à la compta), et pourtant je suis dans une boîte dite « avant-gardiste ». Mon mari me dit qu'il s'en fout qu'un jour je gagne plus que lui, mais n'empêche que ce jour-là n'est pas près d'arriver (nous avons 2000 euros nets d'écart !) et ce, bien que je sois plus diplômée que lui également. La société attend de moi que je garde mes enfants quand ils sont malades, plus que mon mari lui-même (qui pourtant le fait et malgré tout, ça me fait culpabiliser). Mais finalement, tout ça, nous le savons. Nous savons qu'il vaut mieux arriver les ongles faits et maquillée pour avoir un poste. Nous savons que le délit de sale gueule existe plus particulièrement envers nous. Nous savons qu'il faut flatter un homme pour obtenir de lui ce que l'on veut. Vous n'apprenez rien, moi non plus.
En revanche, point beaucoup plus marquant,
Virginie Despentes aborde la question de la prostitution. Selon elle, et c'est vraiment l'argument que je retiens de l'ouvrage, nous sommes toutes plus ou moins des putes. A peu de choses près, nous acceptons de filer à fréquence régulière notre corps à nos compagnons. Vous allez me répondre « oui, mais je l'aime blabla », sûrement, mais n'empêche, ne le faisons-nous pas pour conserver ce que nous obtenons de lui (les enfants, la maison, les vacances, les voyages, la vie sociale) ? Combien de femmes font l'amour en se disant « bon ben là faut se forcer un peu quand même », comme s'il était acquis dans notre inconscient de femme que OUI, il faut écarter les cuisses sinon il peut nous quitter. Pitié épargnez-moi les commentaires genre « chez nous c'est de l'amour, je ne me force pas ».
Virginie Despentes explique que c'est un processus inconscient auquel souvent nous nous plions avec entrain, puisque nous faisons bien ce que nous avons à faire, ce que l'on attend de nous.
Suis-je la pute de mon mari ? Cette question me travaille beaucoup depuis. Un soir, je me suis retournée vers lui et je lui ai demandé : « est-ce que je suis ta pute ? », en lui expliquant bien sûr les arguments derrière. Réponse de l'homme « non, ou alors je suis ta pute aussi ». Oui mais non, parce lui gagne plus et n'a pas été « construit » en femme. Son acceptation dans le foyer familial se joue ailleurs. Mais c'est un homme, il a du mal à saisir ce que je dis, parce que c'est dérangeant quand même.
Les femmes qui ne veulent être la pute de personne, faire carrière et ne rien devoir à un mec sont considérées comme à part, un peu déviantes, viriles. Prenez des exemples autour de vous et regardez ce qu'on en dit.
Un mec de mon âge me parlait l'autre jour du fait que sa femme faisait énormément de choses pour sa famille et qu'il l'aidait finalement peu ou autrement que ce qu'elle aimerait. Quand je lui ai demandé : « tu fais quoi toi pour aider ? », il m'a répondu du tac au tac, avant de rougir de sa réponse « je paye ». Voilà. On y est, l'homme doit payer, la femme doit sucer. A peu de choses près, c'est ça. Alors bien sûr, tout le monde n'est pas comme ça, évidemment, mais grosso modo, ça reste le fonctionnement de la société pour laquelle nous oeuvrons !
Tout ça pour en conclure qu'autant faire la pute pour des inconnus et gagner du fric ! Bon, Despentes dit toujours les choses de façon un peu cash mais ce n'est pas faux. En quoi ce serait grave de légaliser la prostitution ? En vrai, l'auteure dit beaucoup mieux les choses que moi et je vous présente ici ce que j'en ai retenu, et non forcément ce qu'elle dit stricto sensu.
Concernant le viol et les agressions sexuelles, Despentes reprend les idées de la féministe américaine
Camille Paglia. Elle invite à considérer ces événements, qu'hélas nous avons toutes plus ou moins vécues (je ne connais AUCUNE nana qui au minimum ne s'est pas fait agressée – vachement réconfortant comme constat) comme le prix à payer de notre liberté et à ne pas sombrer dans une position de victime (attention je ne dis pas que nous ne sommes pas victimes d'une agression).
En gros, dans cet angle de vue, le viol et les agressions sont le prix à payer de notre liberté. Avant, on ne sortait pas, on restait chez papa ou maman ou dans les couvents. On a voulu voir l'extérieur, vivre, prendre des risques, et le risque inhérent à notre condition de femme, c'est l'agression par l'homme. Voilà, c'est dit. Tu joues ou tu ne joues plus ?
Ce constat peut mettre en pétard, ça se conçoit, mais il invite à plus de résilience que les autres positions. En vrai, nous sommes toutes des victimes, et nous faisons toutes avec. Nous savons – ô combien nous le savons – que nos filles vont devoir connaître de près ou de loin cela. Nous flippons, parce que jusqu'à preuve du contraire, c'est un passage obligé.
A 16 ans, un type m'a agressée au couteau en bas de chez moi en voulant me violer, une chance inouïe m'a sauvée de ce mauvais moment. Je n'en ai pas parlé pendant des années à ma mère parce que je savais qu'elle allait avoir peur, m'empêcher de sortir. J'ai eu peur longtemps, très longtemps, mais ça m'a permis de mieux me protéger, reconnaître les situations à risque. Cet évènement fut indéniablement traumatique, mais pour autant, mes 16 ans restent une année de fêtes et de rires incroyables. Ce que pointe
Virginie Despentes, c'est que l'on n'apprend pas aux filles à se défendre. Lorsque l'on se fait agresser, on ferme les yeux, on serre les dents, on attend que ça passe. L'enjeu est de rester en vie, pas d'empêcher l'agression.
Virginie Despentes s'est fait violer dans une voiture par trois mecs, un viol immonde. Elle avait un cran d'arrêt sur elle, et n'a pas du tout pensé à s'en servir, sa seule crainte était que les mecs le trouvent et la tuent. Je la comprends tellement. Mais comme elle le dit elle-même : « le jour où les mecs auront peur de se faire lacérer la bite à coups de cutter, ils sauront brusquement mieux contrôler leurs pulsions masculines ».
En gros, si je schématise ses propos, la société n'apprend pas aux filles à se défendre parce que cela convient au sexe fort que l'on ne sache pas se défendre. La société créé des aides a posteriori, où l'on peut appeler si drame il y a ou il y a eu. Mais si l'on apprenait à nos petites filles à se défendre, ou plutôt à nos petits garçons à avoir peur de mourir s'ils nous agressent, le monde irait (peut-être ?) différemment.
La dernière partie sur la pornographie a beaucoup moins d'intérêt pour moi car Despentes y est trop agressive, je vous laisse le soin de la découvrir si cela vous intéresse mais je n'ai retenu que bien peu d'arguments.
Voilà en gros ce que j'ai retenu de cet essai beaucoup plus riche que ce que j'en présente. Mais je ne prends pas de notes, du coup j'écris à partir de ce que j'en ai retenu, ce qui indéniablement le biais de l'exercice, bien qu'il ne s'agisse pas d'une fiche de lecture… Vous y trouverez également plein d'infos sur la difficile tâche d'être un homme etc.
En bref, un essai féministe intéressant qui contribue à me donner chaque jour l'envie d'agir pour nous, les femmes et pour reprendre les termes de l'auteure herself : « il ne s'agit pas d'opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l'air. Sur ce, salut les filles, et meilleure route… »
Jo la Frite
Lien :
http://coincescheznous.unblo..