« Il y eut un ciel » /…/ « continuer… » Entre l'ouverture et la fermeture de son recueil, le poète
Pierre Dhainaut retrace « une épreuve limite » qui l'a mené de l'absolue nudité à la ré-appartenance à soi-même et au monde.
Le titre dit assez le cheminement de reconquête, porte après porte, modeste et phénoménal à la fois, depuis la première suite intitulée « À la merci du coeur » jusqu'à la quatrième « Quatre éléments plus un ».
Tout débute en hiver sur un lit d'hôpital où le poète se retrouve nu, abandonné, survivant emprisonné en lui-même avec « Rien à quoi / s'accrocher dans / la poitrine le temps / a le temps / de tomber. » Seuls restent le souffle ténu, les battements du coeur fragile, la douleur. La poésie elle-même a déserté les lieux « sous le masque à oxygène », elle souffre d'« absence d'air ». Elle ne sauve de rien, juste laisse-t-elle le poète retourner à l'origine de toute parole.
Après la vie reliée à un cathéter vient le temps du lent réapprentissage qui passe en premier lieu par la reconquête des sens : l'ouïe, la vue… Les couleurs peu à peu reviennent au bord de « la marche du seuil si bleue ».
Poèmes du souffle court, balbutié (quatre vers et peu de mots, cailloux posés pas à pas), la parole avec « l'embellie de mars » se redresse légèrement dans la deuxième suite « Verticale d'instants » (six vers au corps frêle qui essaient de tenir debout, le poème devant lui aussi « tenir bon »). Dès lors chaque détail de la vie minuscule devient vital : une pie qui sautille, un chat qui dort, un arbre, un lilas, un enfant qui joue, une épaule, il y a « tant de passages » vers l'unité retrouvée, vers cet « or qui coule » et revivifie les veines…
Les herbes,
les pierres,
les nuages,
un seul
monde
à dire,
en croissance,
en gloire.
Priorité aux vibrations, à la libre résonance, les mots font leur retour petit à petit « sans savoir », comme le lilas du printemps qui par contagion colore la couverture du recueil. de la lettre au mot, du mot à la phrase, le langage patiemment se reconquiert et avec lui le « goût de l'énigme ». Chaque mot est à retracer dans ses courbes premières « comme à l'école. le poète doit tout ré-apprendre, tout re-cartographier pour se sentir à nouveau inclus dans un « nous » qui le relie au monde.
L'inconnu
commence
où vont les mouettes
à l'intérieur
des terres.
Dans cette troisième suite « Lexique réinventé » (avec retour aux 5 vers), les mots sont vécus comme des particules d'énergie vitale, des quantas, aurait dit Guillevic, qui libèrent les « verrous », ouvrent le sens vers un horizon qui s'agrandit « à perte de vue » jusqu'au ciel, jusqu'à la mer.
Le livre,
la gorge,
tout se dénoue,
la nuit se charge
du courant d'air.
Liens dénoués, souffle plus ample, place à la reconquête des quatre éléments : l'eau « à la proue de l'haleine », l'air qui « n'en aura jamais fini », le feu pour « le relais des paroles », la terre toujours « de connivence » et enfin ce « plus un » annoncé dans le titre : le poème qui conjugue à lui seul tous les sens, la poésie demeurant ce qu'elle est par essence : un souffle en suspens, conditionnelle comme tout arbre confié à l'avenir.
Nous publierions un poème
comme on plante un arbre
sur la berge d'un fleuve, nous aurions plusieurs vies
pour l'accomplir, toucher terre
dans l'élan, incarner, rayonner,
continuer…
« le poème nous met au monde », écrivait Guillevic, puisse-t-il nous y remettre lorsque tout semble perdu. L'écriture de
Pierre Dhainaut, de l'extrême point nu à la pleine transparence, rapporte avec délicatesse, justesse et précision une expérience fondatrice de renaissance, un passage où la poésie, goutte à goutte décantée, se donne aussi pure que la neige, aussi fragile qu'un rai de lumière, aussi forte qu'une attente.