Et maintenant j’ai rendez-vous avec le petit jour
Comme on n’aimerait pas en rencontrer au coin d’un bois.
Comme il fait froid
Dans un grand cœur qui s’ensommeille
Versez la vie.
Deux doigts,
Deux doigts de femme
De la tisane des grands vents.
Cinq heures, dit l’horloge. La mousse du café s’assemble au bord de
la tasse.
On dit que ce sont les baisers perdus.
La buée sur la vitre
Est une femme qui regarde.
Effacez la vitre.
C’est vite le geste de l’adieu.
L’air est une fourrure soluble.
Dans la glace est restée une épaule de jour.
Les ongles des ronces en sont à leur premier quartier.
Je salue, comme la fougère,
Du poing fermé de la forêt.
(Les maisons de feuillages, éditions St Germain-des-Près, 1976)
La feuille
De toutes les feuilles que j’ai frôlées dans les taillis avant
que le vent nomade ne les entraînât sur les routes,
Je n’en veux retenir qu’une seule, la plus commune, mais
qui les réunit toutes
Parmi les alertées, les craintives, les soleilleuses, la celle-là
Qui, dans le temps où elle appartenait encore à la branche,
timidement bruissait entre les mots que j’écris là,
Une feuille, pour que l’été sauvé ait son visage !
Cette page, c’est la nuit, elle brûle. Toutes les pages
et les nuits brûlent, nuits sans étoiles mais avec beau-
coup de formes délirantes qui sont les constellations
de l’homme adulte. On y entre et nul ne sait quand il
en sortira. Une nuit de draps froissés et d’herbes for-
tes, une nuit de forêt, une nuit paysanne, une nuit fai-
te de miroirs, et de chuchotements, de spasmes, d’ar-
bres qui frottent leurs branches, une nuit sans suite,
de désespoir et de combat. Une nuit aveugle. La fem-
me que j’aime est belle et mon sang lui appartient.
C’est une nuit que je poursuis depuis toujours, jamais
la même, puisque je ressemble à l’éclair qui se fraie
un passage entre les branches et déracine la plainte
qui habite le cœur de la terre. Tendu à l’extrême com-
me pour faire jouir l’amour dans les années, j’y vais de
tout le poids de mon âge et de ma science. Depuis que
j’aime, je sais qu’elle approche quand les feuilles frémis-
sent et derrière la poésie, par-delà le cercle de feu, dont
la Walkyrie. Je voudrais inventer tous les mots, et cette
page, c’est ton corps, c’est le poème qui chante comme
une blessure.
p.118
Le temps se plaît sur les limites du feuillage,
Comment peut-on vivre avec cette douceur, dans ce silence ?
Les mots s'effondrent.
L'habitude du malheur et de la joie nous a donné
Une âme de paille et d'airain.
Je passe désarmé dans ce monde sensible
Où les ombres à genoux supplient.
Le temps est amer, disent-elles.
Et moi, je me courbe, j'ai mal au coeur
Et les taches de rouille sur les mains me parlent
D'une terre promise
À l'occasion de l'édition 2021 (Auteur/lecteur) du Festival Résonances, les rencontres du patrimoine littéraire et de la création, nous vous proposons ici "Trajectoires d’écoute", une série d'entretiens avec Pierre Dhainaut, par Thomas Demoulin.
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