Avant de lire «
Ubik », roman publié en 1969 et considéré comme le chef d'oeuvre de Philip K.Dick, mon appréhension de l'univers du célèbre auteur de
Science-Fiction se limitait à Blade Runner, le film culte des années quatre-vingts où
Harrison Ford pourchassait des androïdes.
Et pourtant, dès la première page, j'ai été emporté par le tourbillon vibrionnant de l'intrigue, j'ai plongé dans le vortex qui conduit les protagonistes dans un improbable voyage temporel aux allures cauchemardesques.
L'auteur situe son intrigue en 1992, dans un monde où règnent la technologie et l'argent. le héros impécunieux du roman, Joe Chip, aussi paranoïaque et désabusé que tenace, travaille pour la société Runciter Associates, spécialisée dans la chasse de télépathes.
Ella, la femme du dirigeant Glen Runciter est maintenue en demi-vie dans un Moratorium situé en Suisse. Si le corps de la jeune femme repose dans un cercueil transparent, elle a conservé une forme de conscience et est en mesure de communiquer avec son mari, qui la consulte dès lors que l'avenir de l'entreprise est en jeu.
Runciter se voit proposer un contrat mirifique par le richissime Stanton Mick, qui évoque une sorte d'avatar prémonitoire d'Ellon Musk, dont l'objet est de sécuriser des installations lunaires mises en danger par l'intrusion de dangereux télépathes. Incapable de résister à la tentation du contrat du siècle, Runciter monte une équipe de onze traqueurs de télépathes dirigée par Joe Chip, et y intègre la mystérieuse Pat Conley qui prétend être en mesure de modifier le passé récent.
Las, rien ne se passe comme prévu, et le cauchemar éveillé commence, emportant ses protagonistes dans un voyage temporel à rebours qui les conduira dans « le piège final des réalités ».
Les chapitres du roman foisonnant de Philip K.Dick sont parsemés de publicités pour des articles
Ubiks toujours différents. Comme leur nom évoquant le principe d'ubiquité l'indique, les
Ubiks sont partout et peuvent être compris comme une manière de dénoncer la dérive d'un système capitaliste dévoré par le mercantilisme. Si l'humanité n'a pas encore envahi la lune, l'auteur voit juste en anticipant la domination à venir du néo-libéralisme et la naissance d'un monde où l'argent est roi.
La demi-vie dans laquelle est plongée Ella évoque «
Ravage » de
Barjavel, où un culte est voué aux morts qui sont conservés après réduction dans la maison familiale. «
Ravage », comme «
Ubik » refusent l'enterrement, c'est à dire la disparition définitive des morts. Philip K.Dick va encore plus loin que
Barjavel en imaginant une conscience léthargique qu'il est possible d'animer ponctuellement afin d'entrer en contact avec les vivants, ainsi qu'une forme de « vie intermédiaire » au travers des possibles interactions entre les demi-vivants placés dans un même Moratorium.
Métaphore d'un monde agonisant, dévoré par le mercantilisme et la technologie, labyrinthe existentiel, «
Ubik » questionne l'hubris d'une civilisation à la dérive qui refuse la mort et préfère maintenir les mourants dans un état de conscience léthargique absolument terrifiant.
Proposant une trame romanesque qui s'apparente à un R(
ubik)'s cube, et offre plusieurs grilles de lectures, dont aucune ne semble totalement rationnelle, le roman culte de Philip K.Dick nous plonge dans un cauchemar vertigineux dont on a hâte de s'éveiller.