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3,88

sur 1281 notes
J'avais lu ce roman au lycée et il m'avait laissé une forte impression. Cette relecture fut pour moi l'occasion de me frotter à nouveau à la langue ordonnée et démonstratrice du Philosophe. Beaucoup de narration franche et directe, parfois même des résumés. Pourtant, avec peu d'effets déployés, Diderot raconte des horreurs et la presque froideur du ton les rends plus horribles encore. On verra une jeune fille trainée dans les corridors à moitié consciente, marcher sur des éclats de verre répandus devant sa porte à dessein, privée de chaussures, de drap, réduite à manger du pain gâté avec du charbon, et en dernier recours, privée de sa Bible et interdite d'office. La scène de l'exorcisme est absolument poignante, et l'on voit à quel point Diderot a en horreur la vie monastique subie, épinglant au passage le fanatisme entraîné par une réclusion soumise à une autorité religieuse.
Mais lorsqu'elle parvient, grâce à l'intervention d'un avocat outré par de tels agissements, à changer de couvent, ce n'est que pour tomber de Charybde en Scylla: la nouvelle mère supérieure se montre tendre, attentionné. Bien trop, d'ailleurs. Mais la jeune, l'innocente Suzanne, n'y voit aucun mal, ne comprend pas ces caresses pressantes et ces baisers, même si le lecteur comprend qu'il y a là non seulement ce qui à l'époque relève de la perversion, mais surtout que la supérieure se sert de son autorité quasi totale sur Suzanne pour assouvir ses envies. Cette seconde partie m'en a semblé presque pire que la première puisque Suzanne ne se rend pas compte de ce à quoi elle est livrée. La critique du monde reclus est sévère, creuset de toutes les dérives et de tous les délires.
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Quel terrible livre! Sous prétexte de dénoncer les abus des couvents de son temps, Diderot nous offre tout en patûre. Rien ne nous est épargné. C'est donc à frémir. Et ce n'est donc plus guère crédible.
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Le style de l'auteur est très lisible, la compréhension est aisée. Diderot manie la langue afin que tous puissent la comprendre et ainsi recevoir son message du XVIIIème siècle. Diderot se fait passer pour une religieuse et "raconte ainsi son histoire" au marquis de Croismare, ce dernier y croyant fortement. le style que veut Diderot est un désir d'authenticité.

L'auteur s'inscrit dans l'ère de son temps, à savoir donner l'importance aux femmes du XVIIIème siècle. Suzanne Simonin est une jeune fille rejetée par ses parents n'étant pas l'aînée de la famille. Diderot nous met donc en avant la société des Lumières où la femme a une place toute particulière. Celle-ci s'intéresse aux romans et elle devient donc la victime des écrivains qui veulent également les mettre en avant. L'originalité tient à la recherche d'authenticité du roman, du personnage de Suzanne.

Ayant cette volonté de coller au réel et de créer un récit propre à son temps, Diderot prend en compte le lecteur, il tente par tous les moyens de le faire douter sur le côté fiction/réalisme de son récit. le personnage de Suzanne est reflet de l'ignorance et de l'innocence des femmes qui sont la plupart du temps coupées du monde.

Nous sommes confrontés à une mise en relief de la société du XVIIIème siècle, Diderot créant ici une satire virulente des couvents. le style est lisible et donc permet au lecteur de lire un livre classique en éprouvant plus de plaisir que ce qu'il pourrait avoir avec d'autres auteurs. Cependant il faut lire entre les lignes pour comprendre le message de l'auteur et être patient, que ce soit avec le personnage qui est "ignorant" de tout ou avec le déroulement de l'intrigue.
Lien : http://mary-book.blogspot.fr..
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Un ouvrage très plaisant
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Très bonne histoire mais je me suis ennuyée ...est ce du au style (un peu desuet) ou bien à l'intrigue (peu de rebondissement) ?
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Selon son propre auteur, Denis Diderot, le roman "La Religieuse" est une « effrayante satire des couvents ». Autant dire que le célèbre encyclopédiste emploie ici toute la force de sa plume pour nous dresser un tableau accablant des « maisons closes » tant répandues en France et en Europe en plein siècle des Lumières. Tout s'oppose effectivement entre la pensée libérale de Diderot et les rigoureux principes de ces mystérieux cloîtres. Il n'est donc pas étonnant qu'il se soit appliqué à composer une oeuvre pour y dénoncer les abus et les horreurs issues de l'organisation même de ces systèmes oppressifs, surtout quand on sait que sa propre soeur y fut internée et y perdit la raison puis la vie.
Un concours de circonstances lui permit de se lancer dans l'entreprise sous forme de lettres écrites à un ami, le marquis de Croismare, par une certaine soeur Marguerite Delamarre, véritable religieuse ayant voulu rompre ses voeux pour retrouver sa liberté. L'ami mystifié se prit si bien au jeu que Diderot fût contraint, au fur et à mesure que la correspondance se prolongeait, de donner corps à cette jeune nonne désespérée par la vie des couvents. (Toute cette histoire est très bien expliquée dans la préface de Claire Jaquier).
Diderot donne donc voix à son roman par l'intermédiaire de la jeune soeur Suzanne Simonin composant une sorte de journal intime rédigé afin de mettre à jour tous les vices cachés derrières les noires murailles de communautés soi-disant vouées à Dieu : tortures, supplices, extorsions et harcèlements. La tableau dressé par la narratrice montre des individus rendus fous par la claustration et les privations, les seuls personnages sensés étant ceux bénéficiant de leur liberté.
Diderot réussit à peindre une soeur n'agissant que sous le moteur de la raison, rendant les différentes mères supérieures qu'elle rencontre totalement déconcertées, car elle les confronte à l'inanité de leur prières et de leur vie. Tout ce qu'elles font n'a alors plus de sens.
Suzanne Simonin étant la négation même de Dieu.
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Avec La Religieuse, Diderot s'attaque aux institutions de la religion, sans critiquer cette dernière directement et sa dimension spirituelle. C'est à travers la figure de Suzanne Simonin, jeune femme qui est forcée d'entrer au couvent et de prononcer ses voeux, que l'auteur fait de son roman une oeuvre anticléricale. Mais bien plus que cela, il condamne les couvents, lieux, selon lui, qui écartent les individus de la société et pervertissent les sentiments naturels sans cesse écrasés et refoulés par ce système. Entiché de liberté, le personnage demande de retourner dans le monde, mais on lui refuse l'accès. Foudroyé par sa communauté et sa mère supérieure, parce qu'elle renie ses voeux, elle se voit transférée dans un autre couvent après un combat judiciaire, dans lequel sa nouvelle mère supérieure lui porte une tendresse exacerbée et des plus ambiguë.

Pour ce roman, Diderot s'est inspiré d'une mystification, celle de l'histoire de Marguerite Delamarre, une religieuse ayant été la victime de la cupidité de la famille et des couvents. Il a eu vent de cet événement par le biais d'un de ses amis, le marquis de Croismare, qui s'était intéressé au sort de la jeune femme. Diderot a eu la plaisanterie de lui adresser des lettres soi-disant écrites par la religieuse qui lui demandait du secours pour l'aider à sortir de ce cloître. Tombé dans le piège, une correspondance s'est entamée et pris par son propre jeu, l'écrivain à dévelfopper son histoire où ce joue un jeu complexe entre la vérité et la fiction, entre l'illusion et l'ironie. En travaillant de façon malléable son sujet d'origine, il met en vigueur toute sa conception de décanter le mélange trouble du réel et de la fiction, et de créer une fiction prépondérante qui fait un trait sur les pouvoirs artificiels de l'illusion. On pourrait y voir une farce cruelle où se mêlent humour et colère, pathos et cynisme, sadisme et tendresse, philosophie et érotisme. Et, en effet, Suzanne vit une réelle passion christique, cette dernière, à travers ses mémoires (du moins le récit nous est donné comme tel) transmet sa douleur, sa souffrance, ses privations, ses châtiments et ses injures. A travers la voix de Suzanne, c'est bien Diderot lui-même qui parle et impose dixit l'auteur : « Une effrayante satire des couvents ». Satire donc, mais aussi le livre est la voix d'une vérité engagée contre la complaisance carcérale et exigeante des familles et de l'Église.

Mais n'oublions pas que ses mémoires servent à vouloir attendrir le marquis, montrer qu'elle est une victime exemplaire au milieu de ces scandales chaotiques. Ce sont des mémoires subjectives, il se loge alors au sein de l'oeuvre cette ambiguïté entre l'objectivité d'une chronique et un plaidoyer écrit par intérêt. le personnage est plein d'illusions et d'ignorances, comme sa naïveté à ne pas comprendre ce que peuvent faire les femmes entre elles et à croire que l'extase sexuelle est un symptôme physiologique. Mais fait-elle exprès de ne pas savoir ce que c'est pour prouver son innocence idéale afin de mieux attendrir le marquis ? Est-elle rusé ou est-elle si crédule qu'elle veut le montrer ? Là se trouve toute l'ambiguïté provenant de son ignorance volontaire ou non, face à des cas comme l'homosexualité féminine.

Nous pouvons découper le roman en trois parties : la première se concentre sur le drame familial de Suzanne. On apprend que ses parents la méprisent au profit de ses deux soeurs, ils se comportent en bourreaux contre elle. La malheureuse apprend que sa mère culpabilise d'un péché qui pèse dans la balance de son cheminement. Cette dernière a eu Suzanne avec un autre homme, elle est donc une enfant illégitime dont le soi-disant père n'est finalement qu'un étranger la détestant. La mère veut absolument mettre sa fille dans un couvent afin de nettoyer égoïstement son péché, mais aussi pour éviter de partager l'héritage entre les soeurs. le protagoniste devient alors la victime expiatoire de la famille, elle se sacrifie sans que jamais elle n'accepte réellement ce sacrifice.

La deuxième partie est celle du séjour dans le monastère de Longchamp. Elle qui était déjà dans une prison au sein de sa famille, elle subit le même sort où les religieuses mettent en oeuvre leurs missions de manière glaciale. L'auteur instaure une angoisse profonde dans l'acceptation forcée des voeux du personnage, notamment par le corps qui se libère dans des symptômes morbides. Entre évanouissement, démence, folie, séquestrations, violences, crises nerveuses, colère ou encore idées noires sur le suicide et ses tentatives, l'auteur développe sur des sujets tabous tout au long du roman. C'est progressivement et dans un bel équilibre que Diderot instaure ces sujets explicites, car la partie débute d'abord comme l'idée d'une capture qui deviendra ensuite persécution. Protégé au début par la mère supérieure Moni, une femme plein de bonté et d'indulgence (mais qui reste un monstre de voyance et de prophétie), avec qui elle tient une union harmonieuse, cette protection sera temporaire, suite au décès de celle-ci. Il découle à partir de là un enfer ténébreux pour Suzanne où elle sera tenue à l'écart, emprisonnée, exécutée symboliquement, comme si elle avait Satan en elle. Mais les persécutions ne pas sont gratuites, car elles sont les réponses aux initiatives qu'entreprend Suzanne pour briser ses voeux. Elle se révolte contre la méchanceté des soeurs, mais on y retrouve une certaine complaisance et une forme de contentement à se délecter dans la faiblesse, pour on imagine, mieux toucher le marquis. Cela fait sentir une contradiction entre la façon qu'à la femme de s'élever spirituellement et son sacrifice chrétien, et son obsession de vouloir s'évader, tiraillé entre vouloir vivre et mourir. le personnage de Diderot devient de ce point de vue un vrai sujet dramatique et passionnel.

Le transfert de Suzanne au couvent de Saint-Eutrope, près d'Arpajon, peut être vu comme la troisième partie. Ce couvent se veut comme le contraire de Longchamp où tout était sinistre, austère et froid, car celui-ci est plus aimable, sensuel et confortable. Dans ce lieu, on joue, on rit, on fait de la musique et de la broderie, on mange et on boit, on s'épanouit dans un bien-être. Mais pourtant, le cauchemar continue, car la nouvelle mère supérieure, qui succède à une mère supérieure illuminée (Moni) puis une mère supérieure, cruellement sadique et superstitieuse (Sainte-Christine), est une maniaque sexuelle et complètement névrosée. C'est dans cette partie que Suzanne joue de sa soi-disant innocence et qu'elle est prompte à jouer la comédie. Finalement, elle arrive à s'enfuir, mais sa vie continue dans une misère déchirante, presque admise à l'hôpital et violée par un moine, elle devient une pauvre lingère. Ses mémoires se terminent sur un appel à l'aide où elle fait un subtil chantage au suicide, démontrant encore l'ambiguïté de ce personnage qui pour conclure se dit un peu coquette, mais naturellement et sans artifice.

Pour conclure, La Religieuse, à travers sa fiction pathétique et son argumentation passionnelle, fait une critique satirique des couvents, lieux chers aux institutions de la religion où derrière son apparat de lieu sacré, se loge les haines les plus abjectes. Un endroit également qui était pour les familles bourgeoises et de la haute noblesse un moyen de faire disparaître des enfants considérés comme indignes. Diderot veut démanteler le confort moral et hypocrite (souvent tourné autour de la question de l'argent) entre le pouvoir, l'Église et la famille. C'est également une oeuvre philosophique mettant en exergue la question de l'être humain (et spécifiquement de la femme dans ce cas) contraint à vivre contre sa nature et la nature humaine dans un lieu infernal et clos où l'humanité ne peut pas y entrer. Pour Rousseau, ce monde clos et protégé de l'extérieur serait une aubaine, car pour lui, l'humain n'est pas un être social (il a une idée métaphysique de l'Homme et de sa nature) tandis que pour Diderot, qui pense tout le contraire, cette vision close du monde est un cauchemar. Lui ne voit que les contradictions, car l'Homme prend sens seulement dans sa relation avec autrui. S'il cherche à s'enfermer, il se détruit inéluctablement, traversant les pires étapes de l'existence : la mélancolie, l'obsession du suicide, la diffamation, la haine, la cruauté, la frénésie sexuelle... Et si même dans l'oeuvre les femmes ne sont pas cruelles comme à Longchamp, elles sont des êtres sans substances comme à Saint-Eutrope. Diderot reproche alors à la religion d'avoir ignoré la nature sociable de l'Homme au profit du salut individuel qu'elle a forgé comme un mythe.

Enfin, le plus passionnant est le cas ambigu de Suzanne, personnage pathétique qui touche lorsqu'elle demande à Dieu sa libération, mais aime jouer sur sa Passion christique (pour probablement attendrir le marquis), comme si malgré elle, l'esprit du cloître l'avait gangréné ou parce que sa coquetterie naturelle lui forme une falsification mystique. Elle représente une victime comme tant d'autres que l'on trouve dans le roman et pas forcément celles qui ont été contraintes d'y être amenés. À travers ces mères supérieures ou les soeurs proches d'elle, l'auteur fait le répertoire des névroses de ses femmes, dépassées par leur vocation, qui s'exorcise par l'aliénation morbide du cloître. Nous pouvons dire que La Religieuse est une oeuvre à la violence profondément tragique et funèbre, mais qui garde toujours sa pincée satirique et ironique, rhétorique et philosophique, afin de toujours nuancer un propos visionnaire.
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Si le XVIIIè siècle m'était conté … tel était le thème de novembre chez les classiques c'est fantastique. Pour illustrer le propos, j'ai choisi « La Religieuse » de Diderot, un roman-mémoires édité à titre posthume en 1796. Je n'en avais lu que quelques extraits au cours de mes études puis j'ai oublié de le lire.

Que dire de ce roman sinon qu'il est extraordinaire tant il est moderne dans sa construction et outrecuidant par sa liberté de penser, d'écrire et de réflexion sur la société de l'époque. Suzanne Simonin est une jeune fille de très bonne famille, peut-être noble, belle et éduquée comme il convient : elle joue du clavecin, elle sait lire les partitions musicales, a une très belle voix et est cultivée. Elle a tout pour plaire, un peu trop car, pour éviter qu'elle ne fasse de l'ombre à ses soeurs, ses parents s'empressent de la destiner au couvent, la réclusion à perpétuité pour se débarrasser des rejetons encombrants. On apprend très vite qu'elle est une enfant adultérine et qu'elle est donc promise au couvent pour expier la faute de sa mère. Suzanne, passeport pour la rédemption de sa mère ? le problème est que Suzanne n'a pas la vocation, bien qu'elle croie en Dieu, et refuse son enfermement. Elle sera d'abord envoyée au couvent de Longchamp où elle sera sous la tutelle de deux Mères Supérieures : Mère de Moni, la bienveillance incarnée dont le seul défaut est d'être un peu trop mystique, elle parvient à adoucir la réclusion de la jeune fille ; Soeur Sainte-Christine succède à Mère de Moni et l'atmosphère du couvent change radicalement. Très vite la nouvelle Mère Supérieure prend en aversion les favorites de sa prédécesseur qui subissent maltraitance physique et morale. Suzanne vit un calvaire sous la houlette brutale de Soeur Sainte-Christine assistée de nonnes, dont elle encourage tous les bas instincts, au point de frôler la folie. Comme Suzanne a porté plainte contre son couvent, tout au long du procès, elle subira moult violences et humiliations. Certaines nonnes prennent, sans état d'âme, l'habit du bourreau pour torturer mentalement et physiquement la jeune rebelle. Las, pour notre héroïne, elle perd son procès. Cependant, elle obtient la grâce de changer de couvent et est envoyée au cloître d'Arpajon où elle sera accueillie avec chaleur et bienveillance. La Mère Supérieure peut être aussi libérale que soudainement austère, elle a un caractère changeant et des humeurs étranges. Après les tortures subies sous les ordres de Soeur Sainte-Christine, Suzanne se voit comblée de caresses, souvent languides, par la Mère Supérieure de Saint-Eutrope, et aussi jalousée par une ancienne favorite. Toujours désireuse de quitter l'état de religieuse, Suzanne n'aura de cesse d'appeler à l'aide les personnes l'ayant assistée dans son procès, des personnes éclairées par les idées nouvelles des Lumières, des personnes portées par une philosophie de tolérance et de bienveillance envers les abus de l'Eglise. Un soir, elle s'évade et s'enfuit pour Paris où elle cherche une condition pour subvenir à ses besoins, une condition autre que dans une maison de tolérance. Suzanne est confrontée à la dure réalité que vivent les femmes loin de toute protection juridique.

« La Religieuse » de Diderot est un véritable procès contre l'enfermement conventuel auquel les familles aisées obligeaient leurs filles ou leurs fils. Dans le monde de la clôture, les Supérieurs ont tous les pouvoirs ce qui peut amener certains à laisser s'exprimer leurs pires instincts. La cruauté mentale, les tortures physiques, les humiliations font sombrer dans la folie celles qui n'ont pas l'heur de plaire. Il y a une scène terrible, celle où Suzanne interdite de messe attend, épuisée, à la porte, elle s'est couchée sur le dallage et quand les soeurs sortent, la Supérieure les invite à marcher sur le corps de la jeune fille.

« J'étais couchée à terre, la tête et le dos appuyés contre un des murs, les bras croisés sur ma poitrine, et le reste de mon corps étendu fermait le passage ; lorsque l'office finit, et que les religieuses se présentèrent pour sortir, la première s'arrêta tout court ; les autres arrivèrent à sa suite ; la supérieure se douta de ce que c'était et dit :

« Marchez sur elle, ce n'est qu'un cadavre. »

Quelques unes obéirent et me foulèrent aux pieds ; d'autres furent moins inhumaines ; mais aucune n'osa me tendre la main pour me relever. » (p 294)

C'est vivre un enfer dans un lieu consacré à Dieu que d'être privé de tout : linge de toilette, eau, nourriture, rosaire, bible, accès aux cabinets d'aisance, absence de literie et de vêtements de rechange et vivre dans la plus grande solitude.

Diderot dénonce une autre part d'ombre observée dans les couvents : les tendresses dites contre nature. La Supérieure de Saint-Eutrope s'entiche de ses moniales, les aiment plus que de raison. Suzanne est désarçonnée par ce comportement sans pour autant penser à mal, elle qui ne fut pas aimée de sa mère et fut torturée par Soeur Sainte-Christine. Elle ne peut rejeter la tendresse intrusive de sa nouvelle supérieure.

« La Religieuse » est un réquisitoire envers la violence faite aux moniales qui n'ont pas choisi leur état. L'enfermement des personnes provoque des dérives allant du mysticisme au sadisme le plus odieux en passant par les amours contre nature, autrement dit l'homosexualité. La religion et les dogmes peuvent couper les plus croyants de la vie réelle. Or, en enfermant le corps, n'emprisonne-t-on pas l'esprit au point qu'il n'ait plus accès à son libre-arbitre ? Perdre sa liberté individuelle est une catastrophe pour Diderot pour qui elle est sacrée. Osa-t-il franchir le pas, avec « La Religieuse », de dire que la religion est un moyen d'aliéner l'esprit ? S'il ne l'exprime pas de manière explicite, certains passages invitent à le penser d'autant que chaque débordement de la part des mères supérieures les conduisent à la mort, teintée de folie.

Il n'empêche qu'au-delà des accusations envers une société fermée aux bruits et aux évolutions du monde intellectuel et scientifique, « La Religieuse » est un roman, un vrai roman, qui se lit facilement grâce aux émotions que les mots et le style de Diderot font passer. Les personnages sont bien incarnés, on éprouve de l'empathie ou de la détestation pour eux, alors que le roman en est à ses prémices, les dialogues rondement menés, le tout est doté de la force d'évocation des mots et du rythme des phrases. J'étais abasourdie devant la cruauté, j'en suis sûre à peine exagérée, de Soeur Sainte-Christine digne d'un démon officiant dans un goulag ou un camp de concentration.

« La Religieuse » a scandalisé, forcément, à sa sortie au même titre que le film de Rivette, en 1966, qui fut censuré. C'est qu'il y a dans ce brillant texte beaucoup de vérités qui dérangent.
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La Religieuse/Denis Diderot (1713-1784)
5 étoiles.
Suzanne Simonin est une bâtarde, fruit d'un adultère maternel, contrainte par sa famille à s'engager en religion. Elle s'adresse au Marquis de C. pour qu'il lui porte secours et lui conte sa vie semée d'épreuves et d'humiliations.
« Mon corps est ici, mais mon coeur n'y est pas, il est au dehors, et s'il fallait opter entre la mort et la clôture perpétuelle, je ne balancerais pas à mourir ».
Ainsi s'exprime Suzanne auprès du marquis ; elle ne manque pas de grandeur d'âme au demeurant : « J'ai souffert. J'ai beaucoup souffert, mais le sort de mes persécutrices me paraît et m'a toujours paru plus à plaindre que le mien. »
Sa révolte contre le despotisme familial et les effets déplorables du célibat des prêtres, sont deux aspects essentiels du roman
Ce roman que Diderot a mis 22 ans à écrire (1760-1782), présente non seulement un aspect pathétique de par la misère morale de Suzanne mais encore politique du fait que Suzanne ne demande que justice. C'est aussi un roman qui se penche sur les passions troubles engendrées par les interdits sexuels. Les âmes et les corps sont au coeur du récit.
La Religieuse est une oeuvre posthume puisqu'elle ne fut publiée qu'en 1796. Ce brûlot anticlérical ne pouvait paraître avant la Révolution. Diderot mettant au défit quiconque de trouver quoi que ce soit de criminel dans le plaisir sexuel allait à l'encontre des bonnes moeurs de l'époque. Évoquer même de façon allusive et mettre en scène indirectement le lesbianisme régnant au couvent de Saint-Eutrope eût été passible de la prison.
« le premier soir, j'eus la visite de la supérieure ; elle vint à mon déshabiller. Ce fut elle qui m'ôta mon voile et ma guimpe et qui me coiffa de nuit, ce fut elle qui me déshabilla. Elle me tint cent propos doux et me fit mille caresses qui m'embarrassèrent un peu…Elle me baisa le cou, les épaules, les bras… »
Il faut bien voir que même au XIX é siècle, la Religieuse fait partie de ces oeuvres inavouables que la pudibonderie du temps censure et que les tribunaux condamnent, mais que tout le monde lit !
Diderot, dans la droite ligne de la pensée des Lumières laisse poindre son matérialisme et fait montre de son militantisme pour le droit à la sexualité dont il affirme haut et fort que c'est un besoin vital. Cependant en homme bien éduqué et respectueux des conventions, Diderot use du régime allusif pour nous décrire les scènes comme celle du clavecin, jetant un voile sur la réalité licencieuse que la bienséance exige de ne pas restituer littéralement.
« Je fis d'abord des accords, ensuite je jouai quelques pièces de Couperin, de Rameau, de Scarlatti ; cependant elle avait levé un coin de mon linge de cou, sa main était placée sur mon épaule nue et l'extrémité de ses doigts posée sur ma gorge. La main qu'elle avait posée sur mon genou se promenant sur tous mes vêtements depuis l'extrémité de mes pieds jusqu'à ma ceinture. Enfin il vint un moment, je ne sais si ce fut de plaisir ou de peine, où elle devint pâle comme la mort, ses yeux se fermèrent d'abord, sa bouche s'entrouvrit et elle me parut mourir en poussant un grand soupir. Et elle écartait mon linge de cou et de tête, elle entrouvrait le haut de ma robe, mes cheveux tombaient épars sur mes épaules découvertes, ma poitrine était à demi nue et ses baisers se répandaient sur mon cou, sur mes épaules découvertes et sur ma poitrine à demi nue. »
Diderot poursuit le combat des Lumières et prêche pour l'universalité de la liberté. Il se rebelle et son anticléricalisme se fait jour nettement au fil des pages :
« Les couvents sont-ils donc si essentiels à la constitution d'un État ? Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? Quel besoin a l'époux de tant de vierges folles et l'espèce humaine de tant de victimes ? Toutes les prières de routine qui se font là valent-elles une obole que la commisération donne au pauvre ? Toutes ces cérémonies lugubres qu'on observe à la prise d'habit et à la profession quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire, ne se réveillent-elles pas dans le silence, la contrainte et l'oisiveté avec une violence inconnue aux gens du monde qu'une foule de distractions emportent ? Faire voeu de pauvreté, c'est s'engager par serment à être paresseux et voleur. Faire voeu de chasteté, c'est promettre à Dieu l'infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois….La vie claustrale est d'un fanatique ou d'un hypocrite. »
Enfin, c'est avec beaucoup de tendresse et de délicatesse que Diderot nous conte l'histoire de Soeur Suzanne.
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⭐️⭐️⭐️/5

- LA PLUME -

J'ai été assez étonnée de la plume de Diderot, je m'attendais à quelque chose d'assez lourd et trop philosophique, mais pas vraiment. C'était écrit assez fluidement, légèrement. Les dialogues sont simples et efficaces. On comprend bien les tenants, aboutissants et la souffrance qu'a vécu et dont éprouve Marie-Suzanne.

- L'HISTOIRE -

On suit Marie-Suzanne, une jeune fille délaissée et peu aimée par sa famille. On la pousse au couvent, afin que ses soeurs soient privilégiées. Mais ce n'est pas ce dont elle souhaite. Elle aime Dieu, mais ne souhaite pas une vie cloîtrée, elle cherche sa liberté. Elle va ainsi se battre pour cette liberté et endurer toute sorte de souffrance. On sent qu'il s'agit d'un ouvrage datant de l'époque des Lumières, mais il ne s'agit pas d'une critique envers la religion, mais d'une critique envers la société ecclésiastique et ses moeurs, son éthique.
En effet, on nous peint les couvents comme des lieux où l'on cloître les jeunes filles, leur abandonnant leur liberté. En prenant l'habit, les femmes doivent délaisser de nombreuses choses derrière elles, et doivent refréner des "pulsions" et des envies naturelles, menant à la folie, à l'exacerbation de ce manque et de ces envies notamment.
Marie-Suzanne passe ainsi de couvent en couvent, tous très différents, mais qui marquera son chemin.

- LES PERSONNAGES -

Marie-Suzanne est donc l'objet même du livre. Elle est l'incarnation d'une jeunesse qui souhaite entreprendre et mener sa propre vie, et qui refuse que l'on lui impose. Ainsi elle se battra pour éviter de prendre le voile, puis qu'on lui retire ses voeux. Néanmoins, elle se verra confrontés à de nombreuses déconvenues et souffrance. Nous ne pouvons que ressentir de la pitié face à cette jeune fille douce et innocente, qui vit le martyre. Les autres personnages sont dépeints soient comme de véritables démons assoiffés de vengeance, soit comme des femmes exubérantes d'amour ou de folie. Diderot nous dépeint donc des soeurs qui ne sont pas dans la modération, mais dans des réactions et personnalités extrêmes. Diderot nous montre ainsi comment le couvent impacte le mental et l'esprit.
De plus, à travers ses personnages, il dénonce comment la foi envers Dieu peut-être aveugle, irrationnelle et que Dieu peut être une excuse pour tout et n'importe quoi. Un passage m'a marquée par rapport à cela, il s'agissait de Marie-Suzanne qui racontait que les uns disaient qu'une chose pouvait être de la providence de Dieu, et pour d'autre que c'était l'oeuvre du Malin.
Enfin bref, on est touché par le sort de cette pauvre soeur Suzanne... j'aurais bien aimé d'un petit épilogue pour connaitre son sort final !

- CONCLUSION -

C'était une plutôt bonne lecture, touchante et assez révélatrice des pensées d'un philosophe et auteur des Lumières, ce qui est intéressant !
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