Monde féérique, humour et élégance du style, pour cette Fantasy riche en rebondissements.
Avec un sens raffiné de la parodie, l'auteur nous entraîne dans les aventures et mésaventures d'un héros malgré lui, plein de ruse et de faconde.
En effet, Daoine a l'art de se mettre dans le pétrin, souvent inspiré par son seul désir de faire de bonnes affaires ou de galantes rencontres.
Peu soucieux de moralité et toujours prêt à servir mensonges éhontés et contes à dormir debout à ceux qui sont victimes de ses manigances, c'est cependant un type sympathique. Audacieux, plein d'esprit, séducteur, brillant débatteur, toujours positif, faisant preuve d'optimiste dans les pires situations, c'est justice de lui reconnaître également la possession de vertus essentielles tels que courage, sens de l'honneur et altruisme.
L'argument de départ est simple, mais assez fort pour maintenir la tension du récit tout au long des 400 pages : dès le début, dans des circonstances montrant qu'il souffre d'une paradoxale naïveté, Daoine ingurgite un poison traitreusement offert par un dignitaire de la confrérie des Cent Félicités.
La potion est mortelle et aussi sournoise que la main qui la lui a tendue.
Il ne pourra en recevoir l'antidote qu'à condition de remplir le contrat que la confrérie lui impose. Il s'agit bien sûr d'une mission quasi impossible, à mener en moins de 30 jours, délai au-delà duquel il n'aura plus aucun souci à se faire, l'action létale du philtre étant alors irréversible.
Luc DidierJean est un auteur très imaginatif, armé d'une belle écriture, ample, rythmée, moqueuse, teintée ici d'une jolie patine médiévale, offrant un lexique vaste et précis, des tournures de phrases volontiers emphatiques et précieuses, dont les acrobaties réjouissent l'oeil et l'oreille.
On suit donc le personnage savoureux de Daoine dans une cascade de mésaventures qui l'emporte à travers des contrées décrites avec un soin de paysagiste sur porcelaine.
Le décor de cette épopée est un véritable patchwork de régions pittoresques qu'on dirait prélevées dans le monde entier, mêlant orient et occident, et on a le sentiment de glisser dans les différentes facettes d'un kaléidoscope.
C'est drôle, inventif, le charme du vocabulaire farci de néologismes cocasses, mais aussi de termes précis appartenant – entre autres – au champ de la botanique, fait scintiller le texte de mille attraits.
Je ne compte plus les séquences dont je me suis régalé. Cette profusion d'événements et de rencontres fabuleuses, est marquée selon moi par une inspiration fédératrice de nature LewisCarrollienne. Une façon fantaisiste de traiter les personnages, les situations qui les opposent, les scènes où ils négocient et s'affrontent, en jouant avec les mots et la logique qui décale tout joyeusement – même la violence – vers un certain absurde, plein d'humour et de poésie.
Le cadre général du livre, à peine suggéré tout au long du récit, est une anticipation post-apocalyptique où subsistent quelques ruines de vieilles civilisations détruites depuis des millénaires par les guerres thaumaturgiques. Ainsi Daoine aperçoit-il, lors d'un vol inoubliable en aéronef, l'étrange toupie de l'Oreille des Dieux…
Dans ce monde où l'homme moderne technologique, tel que nous le connaissons, a disparu, les forces élémentaires s'expriment librement et gaillardement, parfois incarnées par des êtres prodigieux. Dans les campagnes comme dans les citées capitales, l'irrationnel domine et ses apôtres y jouent un rôle de premier plan.
Quelques extraits illustrant le style :
« Il marchait d'un pas vif, et sa cape grise, que soulevaient par intermittence les bourrasques du vent marin, lui donnait l'aspect singulier d'un échassier arpentant fiévreusement les laisses à la recherche de son déjeuner. »
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« — Je vous prie d'excuser mon intrusion fortuite sur votre propriété, monseigneur. Mon nom est Daoine, je suis un honnête voyageur égaré par la malice de cette forêt. Mes provisions sont bien maigres, et vous m'obligeriez beaucoup en me permettant de cueillir quelques-uns des magnifiques champignons qui croissent dans votre parc. J'ai aperçu un rond de morchellots excellents... le visage de Tchamatz se fit impassible, et il dit d'une voix glaciale :
— N'y songez pas. Ce ne sont pas des morchellots excellents, mais des hybrides de morchellot et de golmote à pied de troll. N'avez-vous pas remarqué la volve napiforme et le tronc scroboculé ? »
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« — Pensez-vous qu'il me suffise de dire "muscade" pour me projeter où bon me semble ? L'archimage Pilandoss a lui-même énoncé le principe d'Incertitude de Transfert, après avoir malencontreusement téléporté sa jambe gauche et ses organes génitaux à cent lieues de son laboratoire ; et cependant ce n'était pas un novice dans cet art. »
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« Bientôt, les collines s'abaissèrent lentement et une végétation plus riche recouvrit le sol : graminées diverses, lin sauvage et bouillon blanc se dressant au-dessus des bouquets de sanguisorbe ou de chélidoine à lutin. Ils atteignirent finalement la ligne d'arbres, lesquels se révélèrent être de gigantesques cyprès élevant haut dans le ciel leurs quenouilles noires. »