Citations sur Reste (165)
Je ne t'ai sans doute pas assez remercié, mon amour. On oublie toujours de dire merci, on dit « je t'aime » et on croit que ça suffit. Alors merci, pour tout ce que tu sais déjà, pour m'avoir aidée à réaliser que j'étais autre chose qu'une fille sexy en short, merci d'avoir aimé mes muscles, ma force, mon agressivité, d'avoir ri à mes blagues pas drôles, respecté mon besoin de solitude, merci de m'avoir embrassée en pleine rue, merci pour le cul qu'on a réappris ensemble. Merci pour ta fragilité. Merci d'avoir accepté de te débarrasser avec moi des artifices à la con du manège amoureux, la jalousie, la possession, les preuves à brandir, merci de m'avoir vue comme une alliée, pas comme une adversaire, merci d'être devenu mon meilleur ami. Au revoir, mon amour.
On dit séparation, divorce, rupture, on fait le deuil du passé, alors que le chagrin d’amour fait plutôt le deuil de l’avenir. C’est une histoire avortée.
M. est là, allongé près de moi. Il est mort.
Il est mort.
J'espère, en les écrivant, que ces mots m'aideront à appréhender cette réalité.
Je les observe, les déchiffre tandis qu'ils se forment sous ma main, les écris encore, pour en saisir la chair.
Ils m'échappent, me glissent hors des yeux, je recommence.
C’était comme ça que nous définissions notre lien, nous en avions fait une sorte de devise ou de promesse, que nous avions empruntée à Camus, ou à René Char, je ne sais plus. L’un écrivait à l’autre : « Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. »
Je me suis mise à rouler vers le barrage en rêvant d'un brasier flottant, comme j'ai dû en voir, je ne me souviens pas bien où, sans doute un film ou un documentaire sur des îles lointaines. Des gens en pagne sur une plage, confiant leur mort à l'océan, sur un radeau qui s'embrase en s'éloignant vers l'horizon, entouré de fleurs rouges prétentieuses. Je suis arrivée dans la vallée, ai pris un nouveau versant. Est-ce que j'étais prête à brûler M. ? Je ne voulais pas qu'il pourrisse, je ne voulais pas l'enterrer, ni le faire disparaître au fond d'un lac. J'aurais eu l'impression de l'abandonner. Je préférais rester près de lui jusqu'au bout. Si j'avais pu lui tenir la main pendant qu'il brûlait, je l'aurais fait. M'allonger près de lui, me consumer, mélanger nos cendres.
La conscience de sa mort a laissé la place à autre chose, une chute infinie. Sans M. le monde n’est plus le monde. Les années qu’il me reste à marcher sur cette planète seront fades, trouées, peuplées de son absence. Il n’y aura plus personne à aimer.
Dialogue des mots, bien sûr, dialogue des corps, dialogue affamé de ceux qui viennent de se rencontrer.
On ne finit jamais de connaître l'autre.
Le présent ne me va pas, je retourne à mes souvenirs.
J'ai dormi presque trois heures à côté de M. Je crois que maintenant je sais qu'il est mort. Je veux dire, en me réveillant je n'ai pas ressenti le choc d'hier, mon sang aspiré hors de mon corps en revenant à la réalité, ce cri intérieur. Mais la conscience de sa mort a laissé la place à autre chose, une chute infinie. Sans M. le monde n'est plus le monde. Les années qu’il me reste à marcher sur cette planète seront fades, trouées, peuplées de son absence. Il n'y aura plus personne à aimer. Ma fille, ma mère, ma sœur ne suffiront pas. Plus personne ne suffira jamais. Le lit m’aspire, les draps collent à ma peau, semblent vouloir m'absorber.
(p.61)