Ici il n’y a rien. Et puisqu’il n’y a rien, il y a tout, pardon pour ce poncif, mais la forêt, le lac, les oiseaux, les herbes sauvages, c’est tout.
La conscience de sa mort a laissé la place à autre chose, une chute infinie. Sans M. le monde n’est plus le monde. Les années qu’il me reste a marcher sur cette planète seront fades, trouées, peuplées de son absence. Il n’y aura plus personne à aimer.
Le monde d’Hugo ne m’intéressait pas parce qu’il me rendait triste. Il m’a fallu plusieurs mois après notre séparation pour identifier exactement l’origine de cette tristesse. C’était son vocabulaire. Management, CEO, implémenter, data, digitalisation , customer, gestion des flux, expérience client, ressources humaines, target. Un vocabulaire de nazi. Hugo et moi ne parlions pas la même langue. Pourtant c’était un homme intelligent. Peut-être que c’est ça aussi qui me rendait triste. Toute cette intelligence gâchée .
J'aime l'ennui. J'aime le vertige des journées interminables.
Le présent ne me va pas, je retourne à mes souvenirs.
Pourquoi n'avait-on aucun contrôle sur le temps?
— Je sais pas exactement... Je voulais... je voulais trouver autre chose pour lui, pas les funérailles classiques, je voulais qu’il soit bien, je voulais pas l'abandonner, je voulais pas le quitter mais maintenant je sais pas. Toute seule j'y arrive pas. Je pouvais pas affronter le regard de ma mère, ou de ma fille, je voulais pas les mêler à ça. On s’est aimés seuls tous les deux, je veux dire, dans notre coin, cachés, j’ai voulu continuer comme ça, le garder pour moi. Mais voilà, je suis fatiguée. Et puis il y a sa femme et son fils et tous les gens qui l'attendent et qui ne le voient pas revenir, je sais bien que je n'ai pas le droit de faire ça mais merde... p. 202-203
...la séparation avec Romain a été horrible, mais est-ce qu'on parle encore de chagrin d'amour quand il est question de garde alternée, de notaire, de qui va garder ll'appart, et la voiture, et l'album photo des cinq premières années de la petite? On dit séparation, divorce, rupture, on fait deuil du passé, alors que le chagrin d'amour fait plutôt deuil de l'avenir? C'est une histoire avortée.
pages 188-189.
Je ne pense pas qu'on m'ait appris à me taire. Simplement, on ne m'a pas appris à parler. Et on m'a dissuadée d'essayer. J'ai compris très tôt que pour être aimée des hommes il fallait éviter de leur prendre la tête, d'éviter d'être une chieuse, une grande gueule, une mégère.
Le présent ne me va pas, je retourne à mes souvenirs.