Ça a duré comme ça quelques semaines, des cafés en fin de journée.
Puis un jour je l’ai regardé quitter le bar après une heure de bavardage, on était vendredi, je savais que je ne le reverrais pas avant lundi et j’ai eu le sentiment qu’on m’attachait un organe. Je sais, c’est idiot, on boit des verres régulièrement avec un inconnu et on ne voit pas venir l’amour ? Sérieusement ? Oui, sérieusement.
Je fais le deuil de lui depuis le début. Je n’ai rien à regretter, je n’ai pas gaspillé une seconde. Je l’ai aimé comme je n’aurais pas pu aimer à vingt ans. Je crois qu’on ne s’aime vraiment qu’à l’ombre de la mort. Ou quelque chose comme ça.
Ces journées me semblaient infinies. Avec M. elles étaient toujours trop courtes. Au début on se retrouvait le matin, vers 9 heures, et on ne se quittait qu'à 17 heures. J'appelais le lycée, prétextais une indisposition quelconque. Lui, il déléguait le boulot à ses collègues, inventait un déplacement imprévu.
Je pensais que ça ne durerait pas, le sentiment d'urgence nous rendait imprudents, fiévreux. Nos huit heures s'évaporaient si vite que ça me mettait en colère. Comment une journée de cours pouvait-elle être si longue, une journée d'amour si courte ? Pourquoi n'avait-on aucun contrôle sur le temps ?
Le chalet n’est pas grand. Une chambre, une salle de bains, une cuisine sommaire qui ouvre sur un salon fatigué. Des truites naturalisées aux murs, des hameçons et des appâts dans des vitrines poussiéreuses. Un poêle à bois. Les murs exhalent un parfum de sel, froid, minéral. Je crois que nous aimions venir ici pour l’exiguïté du lieu.
La collision avec le réel arrache tout, brise l’entendement, écorche si profondément que les émotions se taisent.
Je ne pense pas qu'on m'ait appris à me taire. Simplement, on m'a appris à parler. Et on m'a dissuadée d'essayer. j'ai compris très tôt que pour être aime des hommes il fallait éviter de leur prendre la tête, éviter d'être une chieuse, une grande gueule, une mégère.
page ç_.
Mais la vérité, ma vérité, c’est que je chérissais ces soirées silencieuses, le ronronnement du chat, me coucher seule, me branler, penser à ce que je voulais, m’arrêter en plein milieu si l’envie de dormir me prenait, rêver de M., me réveiller sans me préoccuper de l’autre, sans avoir à me demander : ai-je envie de faire l’amour ? Et si je n’avais pas envie et que lui oui, ou l’inverse ? Et s’il voulait dormir et que je voulais allumer pour lire ?[…]
Je sais bien que ce qui me rend la vie à deux impossible, viens de moi. J’étais parvenue à ne plus être une chose molle, liquide, dans une relation à distance, mais au quotidien, dans la proximité, j’en aurais été incapable. Ou alors, au prix d’une vigilance et une énergie exténuantes. Ma solitude me permettait de retrouver mon centre, m’accorder de l’attention, me rééquilibrer.
(Page 239).
Ma grand-mère était l’aînée d’une fratrie de filles. (C’est curieux, il n’existe pas de mot pour désigner un groupe de sœurs, comme si le frère allait de soi, toujours. On pourrait dire une sororie?)
(Page 173).
Nos huit heures s’évaporaient si vite que cela me mettait en colère. Comment une journée de cours pouvait-elle être si longue, une journée d’amour si courte?
Il y a une part de transformation dans les histoires d'amour, j'en suis certaine, mais le désir qui meurt, c'est le désir qui meurt. Point.