Sous le signe du combat toujours recommencé, du bonheur de vivre différemment et de l'
utopie radicale, une vigilante et joyeuse dérive à deux par les rues et les places de la Commune imaginaire de Belleville.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/05/note-de-lecture-
maraudes-dilem-bri/
Retour à la Commune de Belleville, que l'on avait connu pleine de bruit et de fureur, au milieu des combats de rue, des menées souterraines, des vengeances et de la vindicte ordo-capitaliste, dans «
Melmoth furieux » (2021). Avec ce «
Maraude(s) », publié à La Volte en octobre 2022, concocté à deux voix par
Sabrina Calvo (Bri) avec le poète urbain Dilem, nous voici conviés sur le même terrain à un périple en apparence plus apaisé, quasiment bucolique, par places et ruelles connaissant une forme de répit armé et toujours vigilant face à la domination qui rôde aux alentours. Parcours allègre d'un périmètre de défense (on verra à la lecture que
Elsa Dorlin et son «
Se défendre » ne sont pas être si loin), occasions de convivialité authentique glanées au fil du fortuit (mais qui sont d'autant plus significatives qu'elles émanent volontiers d'une lutte aux objectifs majoritairement partagés – malgré les ou grâce aux différences d'appréciation de la situation par toutes les composantes de la Commune), dérive placée d'emblée ou presque sous le signe debordien de la psychogéographie appliquée (les cercles concentriques et les pénétrantes tracées par le
Iain Sinclair de «
London Orbital », «
London Overground » et «
Quitter Londres » proposent bien ici leurs échos) : «
Maraude(s) » – dont le titre renvoie aussi, naturellement, à cet élément permanent du paysage contemporain affligé que sont désormais les rondes conduites par les associations pour offrir leurs services de première nécessité aux sans domicile fixe, aux migrants, aux travailleuses et travailleurs du sexe, et à tout que la Cité capitaliste rejette et déclasse si volontiers à ses marges – nous offre tout cela. Mais cette novella le fait à sa manière bien personnelle, inscrivant dans la marche même parmi les paysages urbains des XIXème et XXème arrondissements parisiens ses traits d'humour noir, ses formules-chocs, ses pas de côté inattendus et ses slogans joyeusement multivoques.
Dans une échappée d'écriture devenue relativement rare dans la fiction contemporaine (on retiendra parmi les heureuses exceptions des textes d'
Alain Damasio ou de
Kim Stanley Robinson, d'Ursula K.
Le Guin ou de
Doris Lessing), «
Maraude(s) » accepte, voire recherche le triple choc de la théorie, de la discussion et de la praxis, se refusant ainsi à céder sans résistance à la doxa du show don't tell, mécanique littéraire si souvent dominatrice même lorsque la « règle » gagnerait à être mise de côté.
Dans cette collection Eutopia de la Volte qui s'efforce depuis maintenant quelques années de nous proposer des textes à la fois courts et roboratifs, contribuant à redonner du souffle utopique à nos principes espérance en jachère, à l'image du «
Résolution » de
Li-Cam, du «
Collisions par temps calme » de
Stéphane Beauverger ou même du «
Un souvenir de Loti » de
Philippe Curval (d'une tout autre manière), «
Maraude(s) » se signale aussi par plusieurs phrases révélatrices (citons par exemple « Nous avons besoin d'un but, pas simplement de résister : l'imaginaire des cabanes ne suffit plus » ou « Comment inventer l'avenir si le passé nous échappe ? ») qui la placent résolument, davantage encore sans doute que «
Toxoplasma » et «
Melmoth furieux », du côté de cette
utopie radicale qu'appelle de ses voeux
Alice Carabédian dans son récent essai tonique, du même nom. Et cette convergence combative des imaginations littéraires et politiques à bien de quoi nous réjouir.
Lien :
https://charybde2.wordpress...