C'est avec son roman posthume
le dernier été de la raison publié en France en 1999 que j'ai fait la connaissance du journaliste et écrivain algérien
Tahar Djaout.
J'avais été saisi par le sujet du roman prenant pour contexte la guerre civile algérienne au début des années 90 et l'histoire de la vie d'un libraire indépendant, défendant la liberté par le savoir, opposé à l'obscurantisme et à l'action des groupes islamistes qui sévissaient alors. Un texte dramatique chargé de prémonition...
L'écrivain et journaliste algérien était également poète. "Solstice barbelé", est le premier recueil qu'il publie, c'était en 1975. Malgré ses nombreuses activités d'éditorialiste et de romancier,
Tahar Djaout restera toujours attaché à la poésie - il est l'auteur de nombreux recueils mais aussi d'une anthologie de la poésie algérienne intitulée Les mots migrateurs – jusqu'à ses derniers jours.
En 1993, il fait publier Pérennes, qui restera comme son dernier recueil de poésie.
« Moi j'habite les questions
vivre dans l'entre-deux
et peut-être en connaître un jour
la source »
écrit l'auteur dans un de ses poèmes. Ses quelques vers pourraient résumer à eux-seuls toute l'engagement intellectuel et le travail d'écriture de
Tahar Djaout. Très attaché au pouvoir du langage, à la liberté qu'il procure, il s'oppose à tout pouvoir autoritaire et idéologique qui a prise sur la conscience des individus.
Tantôt teintés de gravité, d'ironie, de nostalgie, de sensualité, ses textes révèlent une opposition à l'ordre social imposé et une invitation à l'émancipation de chacun que la poésie, un chemin parmi d'autres, peut offrir. de manière insistante, il y a dans les poèmes de
Djaout une entreprise de déconstruction systématique des stéréotypes d'écriture et de tous les tabous sociaux que ces premiers induisent et reproduisent.
L'utilisation de vocables, de métaphores, de comparaisons chez
Djaout nous font entrer dans les thèmes récurrents de l' enfance, de la mémoire et de l' amnésie, de la communication charnelle avec la femme aimée, mais aussi avec la terre - une nature frémissante pleine d'odeurs et de volupté - où l' imaginaire prend le pas sur les discours politiques de la représentation et sur son pendant, le réalisme.
Pérenne est un de mes poèmes préférés de ce beau recueil de
Tahar Djaout. Il rend compte de la dualité de l'imaginaire et idéologie :
« Si simplement scolaire
ton désir d'asseoir la clarté,
de rendre le jour ton égal,
laboureur qui t'entêtes à houer dans le ravage,
cardeur qui enraies la nudité,
quand tout autour gagne la horde
avec ses treillis d'épines,
avec ses semailles d'épaves
et ses tisons qui pèlent la terre.
ils font de l'homme un appât,
ils vêtent la terre de gravats,
la dessolent de son gemme,
l'évident de ses rires rebelles.
persistes, tu lèves la tête,
tu proclames haut l'épiage,
tu plantes la graine pérenne
qui ferme la porte à l'aride.
les armes sont pourtant inégales,
elles sont de crus contraires :
ton émondoir contre les fusils,
ta nasse contre leurs lassos,
ton feu exempt d'incendies.
vos outils aux règnes adverses
ah, ils sont si habiles
à creuser sous nos pieds leurs labyrinthes,
ils sont si véloces
à figer sèves indociles,
à déboîter gestes qui n'acquiescent.
mais quand ton rire vainc leurs clameurs,
il fait soleil dans le ventre,
il fait soleil dans la tête. »
La lecture de « Pérennes » m'a confirmé l'attention particulière qu'il faut porter à
Tahar Djaout et à son oeuvre, qui font le portrait d'un homme sensible, modeste, d'un idéaliste convaincu que le langage et l'écriture nous engage et nous porte tous, au-delà de nous-mêmes.
Tahar Djaout fut le premier d'une liste d'intellectuels algériens menacés de mort par le groupe du Front Islamique du Salut (FIS). le 2 juin 1993 à Alger, Il fut la cible d'un attentat meurtrier. Quelques jours plus tard, il perdait la vie à la suite de ses blessures. Il avait 39 ans.