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Avec Les Démons (ou Les Possédés, titre moins conforme mais plus célèbre en français, notamment en raison de l'adaptation théâtrale qu'en a faite Albert Camus, voir le nota bene au bas de cet avis), Dostoïevski s'attelle à un immense canevas politico-sociétal qu'il est difficile de définir en deux mots et dont les limites me semblent, elles-mêmes, assez floues.

Afin de situer quelque peu l'oeuvre, je vous propose de commencer par cet extrait, issu de la bouche de Stepan agonisant (Troisième partie, Chapitre VII, à la fin du sous-chapitre 2), qui me semble révélateur avant de commenter (N.B. : Dostoïevski vient de citer le passage correspondant dans les évangiles, pour ceux que cela intéresse, il s'agit de l'épisode du démoniaque gérasénien qu'on trouve dans les évangiles de Marc, Matthieu ou Luc) :

« Ces démons qui sortent d'un malade et entrent dans des porcs, ce sont toutes les plaies, tous les miasmes, toute l'impureté, tous ces grands et petits démons, qui se sont accumulés, pendant des siècles et des siècles, dans notre grande et chère malade, dans notre Russie. Oui, cette Russie que j'aimais toujours. Mais une grande idée et une grande volonté l'éclaireront d'en haut comme ce possédé du démon, et tous ces démons en sortiront, toute l'impureté, toute cette turpitude qui suppure à la surface... et ils demanderont eux-mêmes à entrer dans des porcs. D'ailleurs peut-être y sont-ils déjà entrés ; peut-être ! C'est nous, nous, et eux, et Petroucha... et les autres avec lui, et moi peut-être le premier, et nous nous précipiterons, déments et enragés, du haut du rocher dans la mer et nous nous noieront tous, et ce sera bien fait pour nous parce que nous ne sommes bons qu'à cela. Mais la malade guérira et "s'assoira aux pieds de Jésus"... »

On comprend bien, je pense, le message que cherche à nous délivrer l'auteur. En ces années 1870, la Russie connaît des troubles, l'ancien ordre établi vacille (notamment depuis l'abolition du servage en 1861), la religion vit une crise et les ferments de la révolte " à la française " commencent à voir le jour.

Des opportunistes de tout poil cherchent à souffler sur les étincelles à coups d'idéologies (socialiste, nihiliste, autres) pour mettre le feu à la Russie et se saisir du pouvoir, quitte à s'adonner au bain de sang. L'aristocratie déchue et proche de la ruine (suite au partage des terres lors de l'abandon du servage) n'y est pas étrangère.

C'est donc ce faisceau de craintes et de menaces que l'auteur essaie de dépeindre dans cet étrange ouvrage, mi politique, mi social, mi romantique, mi mystique (les amateurs de Pagnol et qui savent mieux compter que moi noteront que comme César, moi aussi j'ai quatre tiers dans mon cocktail, voire même un peu plus, mais je n'ai jamais réussi à dénombrer aussi loin).

Fiodor Dostoïevski bâtit un scénario à échafaudage complexe, animé d'une myriade de personnages (les noms russes avec prénom + patronyme, à la longue, finissent par tous se ressembler, je vous conseille de mettre un repère à la page de présentation des personnages, ça vous sera utile jusqu'au bout), dont les principaux semblent être Nikolaï Vsévolodovitch Stavroguine et Petr Stépanovitch Verkhovenski.

Le premier symbolisant l'aristocratie décadente, le second, les classes supérieures arrivistes semant le trouble ; l'ensemble constituant " les démons " dont la Russie " possédée " devra se débarrasser pour recouvrer sa sérénité séculaire.

En somme, une lecture un peu alambiquée, mais pas désagréable, on ne sait pas trop où l'auteur nous emmène, mais il nous emmène. Un séjour en apnée dans la demie folie ambiante de presque tous ses personnages (comme presque toujours chez Dostoïevski), parmi les démons de la Russie tsariste. Tout ceci, bien sûr, n'est que mon diable d'avis, dont je vous invite à vous déposséder s'il ne vous convient pas, car, à lui seul, il ne signifie pas grand-chose.

N. B. : Selon les éditions et les traductions, le titre est transcrit soit sous la forme " Les Possédés ", soit sous la forme " Les Démons ", mais il s'agit bien du même livre. Traditionnellement et parce que les premières traductions françaises l'ont transcrit ainsi, le titre Les Possédés s'est popularisé, tandis que les traductions plus récentes et plus soucieuses de la lettre ont tendance à privilégier Les Démons.

Cette différence, d'ailleurs, se résout à une histoire de contenant et de contenu, c'est selon. Certains mauvais esprits ont tendance à croire qu'il y aurait peut-être aussi une toute petite motivation financière à faire croire à du nouveau sous le soleil avec ces changements de titre, mais personnellement je serais fort surprise qu'un quelconque démon de l'appât du gain puisse posséder un quelconque éditeur, mais allez savoir ?...
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Quelles difficultés démoniaques m'ont posé Les Démons, alias Les Possédés, de Dostoievski ! Difficultés pratiques d'abord : il m'a fallu pas moins de 2 ans pour le lire, en revenant évidemment en arrière quand je le reprenais après de longues pauses. Puis pas loin de 3 mois pour écrire ma chronique, intimidée que j'étais par le maître Dostoiveski, également un peu paresseuse je l'avoue... le point d'orgue étant les 45 minutes que je viens de passer à chercher frénétiquement (et en vain) les notes prises pendant ma lecture !

Difficultés à suivre et à bien tout comprendre, ensuite. Car non seulement les personnages s'appellent tous pareil, ou presque, tels Piotr Schpountzovitch et Bidule Piotrovitch (le second étant naturellement le fils du premier), mais ils sont nombreux et se ressemblent beaucoup dans leur exaltation, leur agitation un peu stérile et leurs délires verbaux. Le livre mêle en outre des considérations politiques, la narration proprement dite, des morceaux de bravoure ironiques et des digressions philosophiques. Et il fonctionne souvent par allusions, ellipses ou énigmes. Inutile de dire que je m'y suis parfois perdue...

J'ai du m'accrocher, donc, mais ça en valait sans aucun doute la peine ! Je ne savais pas que Dostoiveski pouvait être si fin psychologue et si drôle, et je me suis régalée de sa verve, par exemple dans sa longue caricature de l'oisif exalté qui écrit 2 lettres par jour à son amie, de la pièce à côté... Ou encore dans sa description du bal avorté et de la réaction de la sotte et frivole comtesse...

Plus profondément, j'ai eu l'impression que le livre me mettait en contact avec "l'âme russe", pour utiliser les grands mots, un peu de la même façon que Middlemarch m'avait montré la vie dans une petite ville anglaise. Qu'ai-je retenu de "l'âme russe" selon Les Possédés? Qu'elle est bien différente de la nôtre : pas de retenue, en tout cas ici, mais de l'exaltation, des cris, des crises de nerfs, des pleurs, des sentiments exacerbés et exprimés...

Enfin, j'ai côtoyé des révolutionnaires russes : nihilistes, fouriéristes, idéalistes, actifs ou beaux parleurs. Si je n'ai, là non plus, pas bien saisi toutes les différences et les tendances, j'ai compris à quel point la Russie tsariste était à cette époque en déséquilibre, sur le fil, prête à basculer.

Challenge Pavés 25/xx, challenge XIXeme siècle 4/xx et challenge Variétés
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Dostoïevski mêle avec talent roman, philosophie, politique et réflexions métaphysiques. Les Démons, dont le titre initial choisi par le traducteur était Les Possédés, est un roman puissant. Certains personnages font preuve d'une noirceur troublante. Piotr Stépanovitch Verkhovenski est à la tête d'une cellule révolutionnaire nihiliste et harcèle Nicolas Stavroguine afin qu'il en devienne le chef. Celui-ci refuse. Tourmenté, il a causé de nombreux esclandres qui ont fait douter de sa santé mentale. Ce thème de la folie était déjà présent dans Crime et Châtiment à travers le personnage de Raskolnikov, étudiant féru de théories politiques sur les grands hommes, qui en vient à tuer une vieille usurière. Il est persuadé d'agir pour le Bien de l'humanité.
Avec Les Démons, Dostoïevski approfondit ce thème de l'homme intelligent que l'idéologie rend fou quand elle devient extrémiste. Il lui donne plus de force et de violence. Verkhovenski est un criminel froid, calculateur, implacable, redoutable et sans pitié. Son pouvoir de nuisance est effrayant. Il n'a rien à voir avec Raskolnikov, étudiant sympathique et compatissant, malgré son arrogance. Verkhovenski commandite l'assassinat d'un membre de sa cellule révolutionnaire, Chatov, car ce dernier veut les quitter et pourrait les dénoncer, provoquant ainsi leur arrestation. Chatov ne partage plus les idées extrémistes de ses camarades qui prônent le terrorisme, la destruction radicale des structures sociales. Touché par le retour de sa femme enceinte, qui vient accoucher chez lui après avoir été séduite et abandonnée par Nicolas Stavroguine, il n'est pas vigilant et se laisse piéger. Dostoïevski s'est inspiré de l'actualité : Netchaïev, chef d'une organisation révolutionnaire, avait assassiné, avec quatre complices, l'étudiant Ivanov, soupçonné d'avoir voulu dénoncer l'organisation à la police.

Ce livre sur, entre autres, l'activité d'une cellule terroriste et la folie idéologique de ses membres m'a fait réfléchir à notre époque, même si le contexte est différent. le terrorisme et les attentats perpétrés par des étudiants dans la société russe des années 1860 étaient dirigés contre le pouvoir absolu du tsar. Néanmoins, la description de cette violence est intemporelle. Dostoïevski a lui-même côtoyé ces étudiants, en a fait partie dans sa jeunesse, au point d'être arrêté, envoyé au bagne et croire qu'il allait être condamné à mort. Les tourments des personnages sur le bien, le mal, la violence politique sont sans doute le reflet de ceux de l'écrivain.

Les Démons est une oeuvre forte qui garde encore aujourd'hui une part de mystère et est source de débats, notamment autour d'un chapitre censuré par l'éditeur d'origine « Chez Tikhone ». Stavroguine s'y confesse à l'évêque Tikhone, il lui explique l'origine des démons qui le hantent : il a abusé d'une fille d'une dizaine d'années pour se distraire et elle s'est ensuite suicidée, elle s'est pendue dans le grenier pour échapper au poids de la honte. Ce drame, qui aide à mieux comprendre le comportement perturbé de Stavroguine, avait été effacé des premières éditions car il avait été jugé trop choquant. Dostoïevski s'était-il inspiré d'une réalité dont il avait été le témoin comme pour la cellule terroriste ? Il laisse en tout cas une oeuvre et des personnages riches et complexes.
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Bien que j'ai lu plusieurs livres de Dosteiveiski, je suis toujours assez déconcertée par ces romans.
Peut-être encore plus avec " Les possédés" alias les démons. André Markowicz à qui j'accorde beaucoup de respect, l'a rebaptisé ainsi et visiblement ce vocable est le plus proche du russe.
C'est souvent dans un univers clos qu'évolue une poignée de personnages, ayant souvent des liens de parenté lointains. Les Démons ne déroge pas à la règle.
Le narrateur nous propose une chronique d'un personnage dans une petite ville de province, lié à d'autres. La plupart des personnages sont médiocres, obscurs. La trame commune aux livres de Dosteiveiski semble bien être la folie qui habite la plupart des protagonistes. de cette simple nervosité exceptionnelle à la folie complète.
C'est assez saisissant et fascinant à lire. Néanmoins, on a souvent l'impression de tomber dans une pièce de théâtre qui épuise le lecteur ou même les acteurs de ce drame. Beaucoup de tumulte, beaucoup de bruit, de confusion pour somme toute des histoires assez languissantes.
Une des grandes préoccupations, me semble-t-il chez Dosteiveiski est de connaître, d'identifier ce qu'est le peuple russe, ce qui définit l'âme russe ?
C'est certainement ce qui m'attache à le lire depuis si longtemps.



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« Si Dieu n'existe pas, tout est permis. »
de Fiodor Dostoïevski ( Les Frères Karamazov)
Dans ce roman-pamphlétaire Dostoïevski met en garde la Russie conservatrice contre le progressisme libéral et contre toute doctrine abjurant dieu .
Si l'homme renie dieu , il devient homme-dieu . Pour Dostoïevski l'homme a besoin de se sentir dominer par une force divine qui reteint ses folies en l'empêchant de se suicider ( Kirilov et Stavroguine ) et de tuer ses semblables( Piotr Stépanovitch).
Pour les socialistes nihilistes de ladite époque la religion est un outil pour bercer le peuple . donc il faut s'en détacher .
Afin de bien peindre le volet philosophique et religieux du socialisme athée et du communisme , sachant que le communisme est la version révolutionnaire du socialisme (rouge) , l'auteur avait choisis des personnages malhonnêtes , intrigants , polémiqueurs et égoïstes . qui emploient tout les moyens (les tracts , la propagande mensongère , les assassinats ,les incendies , l'incitation a la révolte ...) pour s'emparer du pouvoir .
Une fois au pouvoir, Dostoïevski nous développe leur approche politique qui se base sur le CHIGALEVISME «Doctrine qui prône l'asservissement du peuple comme seul moyen de faire son bien »
Il est a noter que le volet économique du socialisme n'a pas été développé par l'auteur a part le mot (propriété) , peut être que l'auteur l'avait prémédité pour prouver que ces gens ne portaient pas un vrai projet de société .« D'où vient , c'est une chose que j'ai remarquée , me souffle un jour Stepan Trofimovitch à cette époque , d'où vient que tout ces socialistes et communistes enragés soient en même temps si incroyablement lardes , amasseurs de biens , qu'ils aient un tel sens de la propriété ,et cela au point que plus leur idées sont avancées , plus est fort leur sens de la propriété ..........d'où cela vient t-il ? Est -il possible que cela vienne aussi de leur sentimentalité ? »
Après avoir été partisan de cet état d'éspit ce qui lui avait coûté le goulag et en se basant sur un fait réel , l'assassinat de l'étudiant Ivanov (chatov) par le fanatique rouge Netchaïev ( Piotr Stépanovitch) , Dostoïevski tourne en ridicule cette idéologie et ces piliers , comme Tourgueniev qui l'a personnifié par Karmazinov , le fameux écrivain déconnecté , Hertzen , Bakounine . Fourier, Proudhon ...
Ce qui est envoûtant chez Dostoïevski c'est la psychologie , toujours au rendez-vous avec des personnages tourmentés , suspicieux , incertains et malades , tels que Stavroguine et Piotr Stépanovitch . Raskolnikov dans crime et châtiment . Ivan, Dimitri et Alexeï Karamazov dans les frères Karamazov et Goldiadkine dans le double. le mot DÉLIRE y revient toujours .
Dostoïevski avait bien pressenti févier 1917 !
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Dans cette Russie de 1870, une province de libéraux devient le théâtre d'événements tragiques : Varvara Petrovna, la Générale, héberge depuis 20 ans Stepan Trofimovitch Verkhovenski, l'ancien précepteur de son fils. Mais la tranquillité de cette petite société bienséante est soudain troublée par l'arrivée de Nicolas Vselodovitch Stavroguine (fils de le Générale) et de Pitor Stepanovitch Verkhovenski (fils de l'ancien précepteur). Ce dernier, distillant des idées révolutionnaires afin de renverser le pouvoir établi, souhaite mettre à la tête de son mouvement Nicolas Vselodovitch dont l'étrange charisme, pense t-il, servira ses desseins. La ville est alors secouée de scandales : complots, manipulations, trahisons, Piotr Verkhovenski est prêt à tout pour parvenir à ses fins (mensonges, meurtres). Malheureusement pour lui tout ne se passe pas comme prévu car tous les protagonistes de l'histoire sont possédés...

La naissance de l'oeuvre
Publié pour la première fois en 1871, Les possédés ou Les démons (selon les traductions) sont le résultat d'un processus d'écriture complexe : " L'oeuvre naquit dans les affres d'une création douloureuse ; l'auteur était littéralement possédé par son idée qui lui commandait et le menait dans les directions les plus imprévues, lui faisant découvrir des horizons inconnus, des paysages terrifiants" (p.564). Les carnets de travail laissés par l'auteur témoignent de ses travaux de recherche et révèlent ses hésitations, ses doutes et ses contradictions. D'après les commentaires de l'éditeur, Dostoeïsvki, mu par son instinct nationaliste, souhaitait exprimer ses craintes sur le destin de la Russie en dénonçant les mouvements révolutionnaires influencés par le libéralisme de l'Europe occidentale et l'athéisme. S'inspirant de l'affaire de Netchaïev comme point de départ de son roman, Dostoïevski concerné par tous les courants d'opposition, défend l'idée d'une Russie portée par " un homme russe nouveau " entâchée par celle d'une Russie peu à peu gangrenée par le socialisme et le nihilisme. Ainsi, " Enclin à une vision apocalyptique et manichéenne de l'histoire, Dostoiesvki voyait donc proche le moment où allait s'ouvrir au grand jour le combat entre les forces positives de l'homme russe nouveau et les puissances ténébreuses de la révolution et de l'athéisme." p.563. Conscient que son oeuvre ne pouvait pas représenter les forces en opposition sur la seule base de son idée initiale, l'auteur décide au risque de soulever la colère, de développer son roman en " sacrifiant " son pamphlet à la polémique...

Dostoïesvski, un romancier de l'idée
L'affaire Netchaïev (cf. le catéchisme du révolutionnaire du même Netchaïev) qui a servi d'intrigue au roman, n'a qu'un rôle secondaire dans le développement des Possédés. Si Dostoiesvski s'en est servi comme intrigue de départ, c'est parce qu'ayant lui-même été condamné à mort et envoyé au bagne en Sibérie (1849-1854) pour avoir fait partie du cercle de Petrachevski, il reconnaissait le danger de l'idéologie socialiste. Ainsi, ses personnages en proie à des conflits idéologiques, sont-ils possédés par des démons particulièrement capricieux. le thème de la possession chez Dostoïevski est remarquable en ce sens que ses personnages souffrent tous d'une dualité parfois incompréhensible. A tel point, qu'ils peuvent parfois paraître caricaturaux ou qu'ils peuvent passer pour de vrais schizophrènes : Stepan Strofimovitch, Varvara Petrovna, Nicolas Vseledovitch, Piotr Stepanovitch, Ivan Chatov, Kirilov, Lipoutine, Chigalev, Virguinski, Liamchine, Fedka, Lebiadkine, le couple des Lembke... sont tous "victimes" de leur possession/idée. Démon du socialisme athée, nihisme révolutionnaire ou encore superstition religieuse, les Possédés sont déchirés par des forces destructrices dont ils ne soupçonnent pas toujours la portée. Les personnages représentés incarnent d'ailleurs un bon échantillon des pensées en vogue dans la Russie des années 1870. Et Dostoievski profitant que " La vie littéraire de la Russie du XIXe siècle était le théâtre de polémiques particulièrement violentes ; la critique littéraire était en effet l'un des moyens les plus fréquemment utilisés pour exprimer des opinions politiques en déjouant la surveillance de la censure. " p.568, embraye pour prévenir du destin tragique vers lequel court la Russie. Évidemment, la folie qui frappe tous les possédés de ce roman reflète non seulement un esprit conservateur et nationaliste mais elle s'avère également être une critique particulièrement cinglante de tous les endoctrinements (" Est-il possible que jusqu'à présent vous n'ayez pas compris Kirilov, avec votre intelligence que tous les hommes sont pareils, qu'il n'y a ni meilleur ni pire mais seulement plus intelligent et plus bête, et que si tous sont des crapules (ce qui est d'ailleurs faux), c'est donc qu'il ne doit même pas y avoir de non-crapule ? " p. 510). Les réflexions que soulèvent ce romans sont d'ailleurs si nombreuses qu'il est difficile pour moi de toutes les évoquer (il existe déjà en ligne d'innombrables chroniques sur le livre).

Pour conclure, je dirais donc simplement que Les Possédés est une lecture ardue qui exige une connaissance de la biographie de Dostoïevski, une compréhension du contexte social (réforme paysanne et abolition du servage des moujiks), politique (règne de l'empereur de Russie Alexandre II) et religieux (croyance en l'église orthodoxe) de la Russie de la fin du XIXe siècle. Cette lecture nécessite également une appropriation des techniques narratives de l'auteur : la multitude des personnages (dont les noms sont pour nous difficiles à retenir) ainsi que les nombreux scénarios catastrophe qui ponctuent la fin de chaque chapitre, demandent par exemple beaucoup d'attention mais une fois toutes ces contraintes surmontées, le plaisir de la lecture est sans conteste au rendez-vous...

Pour aller plus loin, vous pouvez toujours lire cet intéressant article de la revue Chameaux sur une lecture nietzschéenne du suicide de Kirilov (un personnage que j'ai trouvé assez déconcertant). Sinon, la version PDF du livre en ligne sur Lirenligne.net.

En complément de ce compte-rendu, voici ci-dessous mon avis sur La confession de Stavroguine (http://livresacentalheure-alcapone.blogspot.fr/2013/02/la-confession-de-stavroguine-les.html).

Sur les instances de Dacha, Stavroguine se rend au Couvent de la Vierge pour rencontrer l'évêque Tikhone. La confession prend une tournure étrange lorsque Stavroguine après avoir avoué son athéisme, livre à Thikhone son intention de publier le récit des crimes commis sur la petite Matriocha pour se faire pénitence. Se laissant volontairement hanter par l'image de la petite levant contre lui un poing lourd de reproches, Stavroguine décide de mener une " vie ironique " qui finit par le lasser. Pensant que la publication de ses feuillets lui permettra de se repentir, Stavroguine se heurte à la " foi imparfaite " de Thikhone pour qui la démarche de Stravoguine n'est pas le fruit d'un esprit fou mais bien celle d'un homme à l'orgueil insensé...

Publiée à part du roman des Possédés, cette Confession de Stavroguine, censurée par l'éditeur de Dostoïesvki (Katkhov) à la sortie du roman en 1871, ne sera portée à la connaissance du public français qu'à partir de 1922 dans la Nouvelle revue française. Si les éditeurs successifs ont scrupuleusement respecté cette ligne éditoriale initialement imposée par Katkhov, ce n'est pourtant qu'à la lumière de cette confession que le personnage de Stavroguine prend toute sa profondeur. Beaucoup se sont accordés à dire que Stavroguine est la figure emblématique de la démonologie dostoïesvkienne. Mais c'est quelque chose que j'ai à peine deviné à la lecture des Possédés. Seule la connaissance de ce texte m'a révélé toute l'essence de la personnalité charismatique et mystérieuse de Stavroguine qui jusque là me parassait incohérente, voire insipide. Malgré les quelques coups d'éclat relatés par le chroniqueur des Possédés, l'arrogance de Stavroguine, ses contradictions, son indifférence et son mépris n'étaient jusqu'alors pour moi, que des effets de style employés par Dostoïevski uniquement dans le but d'étoffer le personnage. D'un coup, l'aura démoniaque du " nouvel homme russe " imaginé par Dostoïevski trouve ses explications. Pour comprendre le personnage de Stavroguine, la confession me semble donc un complément de lecture nécessaire. Sans cela, il n'est pas improbable que vous passiez à côté de l'oeuvre. C'est en tous cas mon point de vue...

L'âge d'or et le rêve de Stavroguine
Stavroguine évoque dans ses feuillets un rêve dans lequel Acis et Galathée, tableau de Claude Lorrain (cf. illustration ci-dessus) symbolise l'âge d'or : " C'est ce tableau que je vis en rêve, non comme un tableau pourtant, mais comme une réalité ". Ce rêve se transforme soudain en cauchemar avec l'apparition d'une araignée rouge. Stavroguine explique qu'au réveil de ce rêve : "Je vis devant moi (Oh ! pas réellement ! si seulement cela avait été une vraie hallucination !), je vis Matriocha, amaigrie, les yeux fiévreux, exactement telle qu'elle était lorsqu'elle se tenait sur le seuil de ma chambre et, hochant la tête, me menaçait de son petit poing. Et rien jamais ne me parut si douloureux. Pitoyable désespoir d'un petit être impuissant, à l'intelligence encore informe et qui me menaçait (de quoi ? que pouvait-il me faire ?) mais qui certainement n'accusait que lui-même. Jamais jusque-là rien de semblable ne m'était arrivé. Je restai assis toute la nuit, sans bouger, ayant perdu la notion du temps. Est-ce là ce qu'on appelle des remords de conscience, le repentir ? Je l'ignorais et ne le sais pas encore aujourd'hui. Il se peut que, même encore maintenant, le souvenir de mon action ne me paraisse pas répugnant. Il se peut même que ce souvenir contienne encore en soi quelque chose qui satisfait mes passions. Non, ce qui m'est insupportable, c'est uniquement cette vision, et justement sur le seuil, avec son petit poing levé et menaçant ; rien que l'aspect qu'elle avait à cette minute, rien que cet. instant, rien que ce hochement de tête. Voilà ce que je ne puis supporter ; car depuis lors elle m'apparaît presque chaque jour. Elle n'apparaît pas d'elle-même, mais je l'évoque et je ne peux pas ne pas l'évoquer et je ne peux pas vivre avec cela. Oh ! si je pouvais la voir une fois réellement, au moins en hallucination ! Ce rêve/cauchemar s'insinue profondément dans l'univers obsessionnel de Stavroguine et marque le début de sa " folie ".

Si comme moi, vous avez lu une édition à laquelle ne figure pas cette Confession de Stavroguine, notez qu'elle est accessible sur Wikisource.
Lien : http://livresacentalheure-al..
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Je ne sais pas si c'est le génie ou la complexité de ce roman qui m'a valu une année de lecture pour arriver jusqu'au bout, avec plusieurs pauses et plusieurs reprises! Dès les premières pages, la présentation dont l'auteur fait de son personnage principal nous promet qu'on aura affaire à une espèce d'héros purement antipathique, mais c'est au fur et à mesure qu'en avançant dans la lecture, qu'on comprend que toutes les faiblesses de ce personnage sont le fruit d'un monde totalement corrompu...
Un roman étourdissant! Ca vacille un peu partout, ça tangue dans tous les personnages, dans toutes les familles, on se perd bien souvent dans tous ces flux de situations. Les possédés, c'est l'image d'une Russie cisaillée, segmentée, morcelée tant sur le plan idéologique que su le plan politique, où les dessous présagent déjà l'éclatement de la révolution. Un livre qui se lit avec beaucoup d'attention! Véritable chef-d'œuvre du XIXe Siècle, on sort de là avec une tête engorgée, trop de philosophies, de croyances, de doctrines, on assiste à une confrontation des intelligences!
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Au détour d'une conférence à laquelle j'assistais, l'orateur a glissé « Si vous voulez comprendre le terrorisme actuel, lisez Les démons de Dostoïevski, tout est dit ». J'ai depuis tout oublié de la conférence et du conférencier, mais la remarque était suffisamment intrigante pour me donner envie de découvrir ce roman de Dostoïevski : certes, l'écrivain est fin psychologue, mais décrire notre situation actuelle 100 ans plus tôt, ça me semblait être trop beau pour être vrai.

La première partie du roman m'a laissé plutôt sceptique : en guise d'intrigue, une famille bourgeoise, un intellectuel désoeuvré, et un fils au comportement un peu original qu'on a bien du mal à marier. Si on n'enlèvera pas à Dostoïevski ce don de croquer ses personnages à la perfection et de trouver chez chacun les ressorts intimes qui guident toutes ses actions, le titre du roman paraît jusque là assez peu justifié.

Il prend cependant tout son sens dans les deux parties suivantes. Car la jeune génération de cette famille proprette a été en contact avec des révolutionnaires nihilistes (« La société est pourrie, brûlons tout, ce qui renaîtra des cendres sera forcément meilleur »), et les changements sociétaux en cours, dont l'abolition du servage, monte à la tête de ce petit monde, bien décidé à en découdre.

Dès lors que les premiers signes d'une action de leur part transpire dans la bonne société, tout le monde semble pris d'une étrange fébrilité. À force de se préparer au pire, les faux pas s'enchaînent et finissent par provoquer ce qu'ils cherchaient à éviter. L'équilibre des forces devient confus, et les conjurés eux-mêmes sont d'ailleurs bien incapables de déterminer s'ils sont 5 ou 500 000. Des pensées tenues jusque là bien secrètes se libèrent brusquement, et personne n'ose plus les contester trop vigoureusement, de peur d'être déjà dépassé par les événements, et en minorité, ce qui n'est jamais bon dans les époques de transition. En cette période de trouble, on a l'impression que le moindre épiphénomène peut s'imposer durablement dans les esprits par un (mal)heureux concours de circonstances.

Les démons est le roman de Dostoïevski qui m'a donné le plus de mal jusqu'à présent : j'ai trouvé la trame assez tortueuse, et on change parfois brutalement d'angle de vue sur un personnage ; ce n'est pas que ses actions deviennent incohérentes, mais certaines problématiques qui tournaient autour de lui disparaissent soudainement sans vraiment recevoir de conclusion. Mais comme tous les livres de l'écrivain russe, je sais déjà qu'il me laissera une forte impression : ses protagonistes sont tellement bien analysés, tellement bien ciselés, qu'ils restent dans ma tête pour de longues années.

Les démons ne m'ont pas permis de comprendre tout de notre situation actuelle, car il me semble que les contextes diffèrent par certains aspects ; mais merci au conférencier qui, s'il ne m'a rien laissé de ses thèses, m'a au moins conseillé un excellent livre, et a ainsi fait bien plus pour moi que la plupart de ses confrères.
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Les Possédés, ou les Démons selon la traduction, hantent ce livre mastodonte à chaque page. Ils sont nombreux et ils ont tous des noms alambiqués pour un lecteur qui n'est pas russe. Cette lecture difficile nécessite une grande attention tant le nombre de personnages est important. Aucun héro à qui s'accrocher. Les personnages, aussi bien féminins que masculins, sont remplis d'aspérités, plein de faiblesses et de noirceurs. Ils sont consumés à petit feu par la fièvre de Dostoïevski.

Nicolas Vsevolovitch le personnage central est celui vers qui tout converge même s'il est loin d'être omniprésent dans le récit. Il est comme un trou noir, attirant ses proches vers leur fin, personnage infiniment sombre et décadent. A l'opposé Stepan Trofimovitch représente l'ancienne Russie, un homme cultivé mais trop sensible, malade, refoulant ses sentiments quitte à tout perdre. Il a engendré Piotr Stepanovich et il est épouvanté du résultat. Son fils est brutal, exalté, il participe très activement à un mouvement naissant (nihiliste ? socialiste ?) qui s'est donné pour but de retourner la Russie à l'envers. Faire la révolution.

On comprend l'horreur qu'inspire à Dostoïevski ce basculement qu'il voit dans sa Russie de fin de siècle et dont il pressent les terribles actions à venir. Il s'inspire d'ailleurs pour son livre d'un fait divers, un crime crapuleux au sein d'une bande de « complotistes » qui veut se débarrasser d'un de ses membres par peur que ce dernier les dénonce. Autour de ce récit Dostoïevski construit une histoire complexe et très riche où chaque personnage nouveau prend une ampleur démesurée. Chacun porte cependant une forme de maladie dégénérative qui s'exprime par des crises de nerfs spectaculaires, d'épilepsie ou bascule dans la violence (suicide, meurtre).

Une lecture plutôt éreintante.

18 septembre 2012
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J'avais renoncé à rédiger un avis sur Crime et châtiment. Je ne me sentais pas du tout de taille à parler d'un monument pareil et d'autres l'ont fait beaucoup mieux que je n'aurais pu le faire.
Mais voilà que la question s'est reposée après ma lecture des Démons. Et j'ai décidé de quand même en parler parce qu'il est beaucoup moins lu que son illustre petit frère alors que pourtant je l'ai trouvé bien supérieur.

Néanmoins, c'était pas gagné. La première moitié du roman m'a semblée longue et je n'avais aucune idée de où Dostoïevski voulait m'emmener. Il faut dire que je n'avais pas lu de résumé avant et que je n'avais donc aucune idée de quoi ça parlerait. Donc pendant cette première moitié, impossible de déceler une véritable intrigue. Oh si, il y a bien ce personnage au comportement très étrange, Stavroguine mais Dostoïevski ne nous révèle rien. Certains dialogues entre les personnages sont très obscurs car ils s'entretiennent d'un sujet dont on ignore tout. Dostoïevski nous laisse sur la touche, on ronge son frein, on se pose plein de questions et on continue d'avancer parce que, non vraiment, on veut savoir ce qu'ils manigancent tous.

Peu à peu, on comprend bien que ça complote, qu'il s'agit de politique, de révolution. L'occasion pour Dostoïevski de faire part de ses inquiétudes quant à ces idées nouvelles qui circulent en Russie : athéisme, socialisme, fouriérisme, nihilisme. Chaque personnage représentant plus ou moins une de ces tendances, Les Démons est donc une véritable analyse politico-sociale de la Russie du XIXème siècle, une Russie qui commence peu à peu les réformes, subissant l'influence de l'extérieur, une Russie qui se cherche et représente donc un terrain propice à l'émergence d'un nouveau système.
Dostoïevski est alors très surprenant puisqu'il va jusqu'à prévoir ce qu'il adviendra réellement après les révolutions de 1917 nous montrant par là à quel point ses inquiétudes étaient justifiées.

Plus on avance dans la lecture, plus l'atmosphère s'alourdit. Les personnages s'embourbent tous dans des situations difficiles puis les évènements se déclenchent et s'enchaînent. Coups d'éclat, actes de malveillance, assassinats, on est pris dans le tourbillon et on assiste impuissant à la descente en enfer de tous les personnages. Pas un seul n'en sortira indemne. On est très loin de l'issue optimiste de Crime et châtiment.
Les personnages des Démons sont tous très fouillés avec mention particulière pour Stavroguine dont la fameuse confession ( qui avait été censurée à l'époque) est à glacer le sang mais aussi Piotr Stepanovitch le personnage le plus exécrable qu'il m'ait été donné de rencontrer au cours d'une lecture. D'ailleurs, on retient souvent Stavroguine comme personnage emblématique des Démons mais pour ma part c'est Piotr qui m'a le plus marquée. Manipulateur sans aucun scrupule, sans aucune morale, il est le type même du fanatique prêt à tout pour ses idées.

Après donc une première moitié où Dostoïevski prend bien le temps de mettre en place ses personnages et ses intrigues, tout finit par s'enchaîner à une vitesse folle dans la seconde moitié et c'est un vrai régal.
J'ai vraiment beaucoup aimé Les Démons, bien plus encore que Crime et châtiment. Je l'ai trouvé plus approfondi, plus riche en réflexions, avec des personnages encore plus forts et plus extrêmes, bref Dostoïevski va beaucoup plus loin dans ce roman qui pour moi est un véritable chef d'oeuvre.




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