« Vive Karamazov ! » Ce sont les derniers mots de ce livre grandiose et j'ajouterais « Vive
Dostoïevski » tant j'aimerais témoigner du génie de l'auteur russe et de la grandeur de son roman. Sachez que vous devrez vous réserver un mois de lecture pour le parcourir et qu'il n'est pas d'une lecture facile, car derrière le mystère d'un parricide se cache une oeuvre philosophique touffue. Mais cela en vaut la peine. L'intrigue tourne autour du meurtre d'un des personnages de fiction les plus ignobles jamais imaginés, Fiodor Pavlovitch, le père des frères Karamazov. Mais le meurtre n'est finalement qu'un détail dans l'architecture incroyable de l'oeuvre, car le roman n'est pas tant une histoire qu'une longue dissertation sur la nature humaine, qu'une exposition détaillée de la psychologie des personnages et qu'une série de digressions sur des sujets fondamentaux comme le libre arbitre, l'existence de Dieu, la responsabilité morale ou la vérité. C'est un roman plein d'esprit qui aborde des sujets intellectuels profonds et le génie de
Dostoïevski est indiscutable. "Le Grand Inquisiteur" est par exemple un chapitre extrêmement étrange et singulier, le récit du procès un moment d'opposition dialectique inégalé. Et la famille Karamazov, quelle famille ! Chacun de ces membres incarne des qualités ou des positions contradictoires : Fiodor, le père, est un homme riche, malhonnête et dépravé ; Mitia, l'ainé, hérite des passions de son père, l'impulsivité, l'orgueil, l'exaltation, mais il s'apaise parfois lors de touchants moments de tempérance ; Yvan, le cadet, est matérialiste, inflexible et cynique, c'est un intellectuel distingué dont la pensée évolue vers une intense curiosité spirituelle ; Aliocha, enfin, le benjamin, est idéaliste, aimant et aimable, sincère, dévot et naïf. Et puis il y a le fils illégitime, Smerdiakov, le serviteur du père, personnage difficile à cerner, épileptique, influençable et manquant d'éducation. Je terminerai avec les femmes qui les rendent fous et qui ne sont pas que des faire-valoir dans le roman. Grouchenka est une jeune beauté russe épanouie, autrefois humiliée. Elle est fière et arrogante et n'est pas perturbée par ses relations simultanées avec plusieurs hommes. Également fière, Katérina est issue de la noblesse, elle est généreuse et possède de la grandeur d'âme. Bref, on retrouve dans cette histoire une sorte de condensé de la société russe de l'époque. de grands thèmes sont abordés dans l'ouvrage que je ne vais pas détailler, mais seulement citer : la paternité, l'existence de Dieu, la religion et sa nécessité, la foi et ses bases, le libre arbitre, la vérité, le crime et l'efficacité de la punition, l'espoir et le cynisme, le nihilisme et l'absurdité de la vie, le destin des personnages dans un roman, l'architecture d'un récit, l'opposition dialectique de points de vue contradictoires. Je m'attarderai sur le thème de la paternité qui envahit le récit.
Dostoïevski l'aborde en permanence que ce soit pour poser la question du meurtre du père (Dieu ou Fiodor), mais aussi pour tenter d'exorciser la mort de son propre fils Alexeï peu de temps avant. L'irruption dans le récit de nombreux enfants est l'occasion de bouleversantes évocations, d'émotions simples, de moments de tendresse qui embellissent le roman d'une innocente douceur. Ilioucha, par exemple, enfant malade et mourant, apparait dans le roman à la fois pour expliquer que des actions apparemment insignifiantes peuvent avoir de lourdes conséquences, mais aussi pour illustrer le drame paternel qu'est la perte d'un enfant.
Dostoïevski dissèque les coeurs, ausculte les âmes, espionne les êtres, leurs certitudes, leurs illusions avec pudeur et mordant. "
Les frères Karamazov" est un récit fascinant qui transporte, enchante, fait réfléchir, sourire ou pleurer et auquel il faut dédier un jour ou l'autre un peu de son temps.