J'ai lu
Les Frères Karamazov de
Fédor Dostoïevski il y a bien des années, quand j'étais encore au lycée… Mes souvenirs en étaient un peu confus : deux pavés, quelque chose comme 1 500 pages, une famille compliquée et un parricide, des longues digressions et réflexions philosophiques, religieuses, morales… et, surtout, la magie et l'ambiance particulière de cette belle littérature russe, des personnages exaltés aux noms à rallonge et aux belles sonorités.
C'est le dernier roman écrit par l'auteur, d'abord publié en feuilleton puis édité à la fin du XIXème siècle, peu de temps avant sa mort.
Redécouvrir ce livre, dans la version audio magistralement lue par
Vincent Violette, a été un réel bonheur que j'ai échelonné, avec des pauses, de novembre 2020 aux dix premiers jours de janvier 2021.
Une chronique familiale…
Un père et ses quatre fils… Fiodor Pavlovitch Karamazov est un tyran domestique et un débauché. Il a eu deux épouses légitimes, épousées plutôt cavalièrement ; de la première qui le méprisait, il a eu Dimitri ; avec la seconde, beaucoup plus effacée, il a eu Ivan et Aliocha. À la mort de leurs mères, les trois garçons ont été élevés par des tiers et surtout par Grigori, le domestique dévoué et fidèle. le quatrième enfant est le fruit du viol par Karamazov d'une idiote surnommée « la puante », d'où son nom Smerdiakov (le mot russe smerdia a la même connotation que le mot français). Étrangement, c'est ce fils illégitime que le père indigne a choisi de garder auprès de lui, comme valet-cuisinier.
Un triangle amoureux… le père et l'un de ses fils convoitent la jeune Grouchenka, une femme de mauvaise vie…
Des questions d'argent et d'héritages… Dans ce livre on parle beaucoup de roubles, de trois milles roubles notamment. Il y a ceux qui ont des roubles et ceux qui n'ont même plus un kopeck… Dimitri s'est aussi vu spoiler de l'héritage de sa mère… Sa fiancée, Katerina, a une dette envers lui. Dans ce livre, on thésaurise, on dilapide, on se prête, on se rend, on promet de payer, on vend, on mendie, on cache, on vole, on perd … de l'argent.
Un parricide, annoncé dès le début, lors de la réunion chez le starets…
Lequel des fils va tuer le père ? Chacun des quatre en a eu envie, à un moment ou à un autre, consciemment ou non. Pour Dimitri, le père est un rival. Ivan quant à lui, méprise son père et considère l'absence de Dieu comme une invitation à tout se permettre ; son père devient alors l'archétype du bourreau d'enfants. Smerdiakov en déduit que le parricide est permis et va mettre en scène les désirs inconscients de ses demi-frères et d'Ivan en particulier.
Aliocha semble innocent au premier abord. Profondément pieux, il ne juge pas son père, préfère se mettre en retrait, se retirer dans un monastère ; fuyant le jouisseur et le débauché, il s'est choisi un père spirituel en la personne du starets Zosime. C'est sans doute sa façon à lui de tuer virtuellement le père…
Dostoïevski est un admirable conteur qui joue avec son lectorat.
Il nous plonge dans la Russie profonde en nous faisant découvrir plusieurs milieux : bourgeois, fonctionnaires, indigents, religieux, judiciaires, militaires, écoliers…
La narration est omnisciente et polyphonique à la fois autour des points de vue et des ressentis des quatre fils, véritables héros types, de l'homme de foi à l'intellectuel matérialiste en passant par l'exaltation impétueuse de l'âme russe, et des personnages secondaires. le lecteur participe à l'enquête et se fait et se défait un avis dans la quête du coupable tout en croisant un grand nombre de protagonistes, tous plus intéressants les uns que les autres.
L'auteur use et abuse des digressions, des histoires enchâssées, perdant parfois ses lecteurs en route, mais jamais ses fils conducteurs.
Les personnages masculins autant que féminins sont travaillés, détaillés, ciselés, formidables.
Le récit se fait philosophique, didactique, allégorique… le long poème d'Ivan reste un morceau d'anthologie, les enseignements du starets se veulent profession de foi, la question du bien et du mal est omniprésente…
C'est long, mais foisonnant et jubilatoire.
Un monument à lire et relire sans précipitation, avec humilité. Il faut savoir s'arrêter, laisser pauser, pour revenir plus tard si besoin mais, surtout, ne pas passer à côté.
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