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Critique de gerardmuller


La malédiction d'Edgar / Marc Dugain
le récit commence par un prologue dans lequel un premier narrateur, visiblement écrivain rencontre une éditrice pour évoquer le cas d'un manuscrit que la maison d'édition a acquis et dont lui l'écrivain va devenir possesseur. Ce manuscrit dont l'authenticité est mise en doute, écrit de la main d'un certain Clyde Tolson, membre du FBI à partir de 1928, se situe entre la biographie historique et la confession personnelle évoquant sa relation avec Edgar Hoover patron du FBI de 1924 à 1972. le contenu du manuscrit couvrant la période allant de 1932 à 1972 constitue la substance de ce roman. Faux ou authentique, peu importe. Et puis la prétendue objectivité d'un mémorialiste est aussi nuisible à la vérité que l'intention de falsifier des faits.
le premier personnage évoqué par Clyde Tolson est Joseph Patrick Kennedy, appelé Joe, un homme né en 1888 qui a fait fortune dans les années 30 dans divers domaines. Marié à Rose Fitzgerald, fille de John Francis Fitzgerald (1863-1950) maire de Boston et de Josephine Hannon (1865-1964), il eut 9 enfants dont le puîné fut John Fitzgerald Kennedy dit Jack, né en 1917.
Joe personnage charismatique se comportant comme une légende vivante, soutint Franklin Delano Roosevelt pour l'élection de 1932 puis 1936. Considéré comme un génie en affaires, aimant l'argent et les femmes, il était vu comme un abruti en politique. Il fut nommé ambassadeur en Grande Bretagne en 1938 après avoir été un des piliers des grandes réformes de Roosevelt dans le domaine de la finance. Ses ambitions présidentielles pour succéder à Roosevelt ne connurent pas leur aboutissement.
La suite parle du pouvoir d'Edgar Hoover pour qui son ami Tolson aurait bien vu un destin présidentiel. Mais manquant d'assise, d'influence et de moyens financiers, il préféra le pouvoir de faire ou de défaire un président, nuire à ou favoriser une élection, barrer la route à un candidat. Il fera tout pour empêcher Joe de succéder à Roosevelt, barrer la route à ce catholique irlandais intrus au milieu des WASP. Roosevelt pouvait compter sur Edgar pour faire pression sur la presse et mettre en place des écoutes téléphoniques. Il devint ainsi l'unique mesure de la pertinence morale et politique durant près d'un demi siècle.
Edgar n'aimait pas les femmes excepté sa mère. Il les considérait comme des êtres complexes et imprévisibles dotés d'une redoutable perversité. Il ne voyait en elles que calcul et dévoiement. Un seul être resta proche de lui après la mort de sa mère, Clyde Tolson, son proche collaborateur. On l'a compris, Edgar et Clyde étaient amants.
On retrouve un peu plus loin Joe Kennedy qui ayant renoncé à briguer la présidence prépare son fils aîné Joe Junior à cette occurrence. Il a 25 ans et diplômé d'Harvard. Entre temps Roosevelt est réélu pour la troisième fois en 1940. Mais ce qui préoccupe Edgar, c'est John Kennedy, qui s'est amouraché d'une certaine Inga Arvad, double espionne danoise soupçonnée de travailler pour les Nazis, journaliste au Times Herald. Étroitement surveillé, John n'en poursuit pas moins la belle danoise de ses assiduités.
Avril 1945 voit la mort subite de Roosevelt, à quelques semaines de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Truman, le vice président lui succède et décide de révolutionner le FBI en créant la CIA, ôtant ainsi à Edgar nombre de ses prérogatives. Finie l'Amérique latine et les surveillances à l'étranger. le FBI se voit cantonné à des surveillances intérieures. La CIA dépend directement du Président. Edgar fait front et avec Clyde, son double, il poursuit ses investigations notamment au sein de la pègre qu'il n'hésite pas à fréquenter que ce soit à New York, en Floride ou sur la côte Ouest. Sans rendre de service particulier à la pègre, Edgar s'en sert pour lutter contre l'ennemi mortel : le communisme ou tout ce qui lui ressemble. En 1947, c'est une véritable croisade qu'entreprend Edgar contre le communisme. Il trouve des alliés notamment en la personne du jeune Richard Nixon, récemment élu à la chambre des représentants, et de Ronald Reagan, un acteur de western de deuxième catégorie. Dans le collimateur on trouve des célébrités comme Pearl Buck, Thomas Mann, Hemingway, Steinbeck, Aldous Huxley, Arthur Miller, Truman Capote, et même Albert Einstein. Celui qui fut littéralement banni en 1952, c'est Charlie Chaplin, sympathisant communiste notoire.
Joe Kennedy rejoint Edgar et Clyde au FBI, mais tandis que ses affaires vont pour le mieux, sa famille sombre dans le drame. Joe junior, l'aîné des fils, trouve la mort en mission aérienne en août 1944 au Royaume Uni et John est gravement blessé au combat en 1943 au large des îles Salomon. Une de ses filles est lourdement handicapée suite à une lobotomie hasardeuse et Kathleen son autre fille, s'écrase avec son avion dans l'Ardèche en mai 1948. Et John, riche, désinvolte, intellectuel coureur de femmes, tout à fait immoral, continue d'être étroitement surveillé par Clyde alors qu'il se prépare à entrer en politique, reléguant dans l'ombre son père. Il est élu à la chambre des représentants en 1948.
1952 : Eisenhower, soutenu par le bouillant Richard Nixon et Joseph Mac Carthy le tribun de l'anticommunisme, le militant sans faille à la grande gueule sans méthode de travail, est élu président alors que c'était le général Mac Arthur qui était pressenti du côté républicain. Pour Edgar et Clyde, c'est une présidence confortable. Tous du même bord, ils rament ensemble. John Kennedy se marie en 1953 avec Jacqueline Bouvier.
1960 : l'élection présidentielle voit s'affronter Richard Nixon soutenu par Edgar et Clyde et J.F.K. qui n'a pas manqué de prévenir qu'en cas de victoire, Edgar Hoover serait confirmé dans ses fonctions à la tête du FBI. Malgré des problèmes de santé (Maladie d'Addison et fragilité de la colonne vertébrale), J.F.K. continue de courir les femmes de façon effrénée. John Kennedy est élu avec la bénédiction de la Mafia et choisit Lyndon Baines Johnson comme vice président et son frère Robert, dit Bob, comme ministre de la justice, ce qui fait un peu grincer des dents Edgar. En effet, Bob fait tout dans la provocation en méprisant la hiérarchie et les usages, ne respectant pas les anciens notamment ceux du FBI. Bob Kennedy reproche à Edgar de trop concentrer ses activités dans la chasse aux communistes, laissant la pègre en faire un peu trop à son goût.
le chapitre sur les rapports d'Edgar avec son psychanalyste est un moment savoureux du récit et Tolson ne nous cache rien, du moins c'est ce que l'on suppose.
Edgar met le président en garde quant à ses relations extraconjugales et notamment avec une certaine Judith Campbell qui est aussi la maîtresse d'un des barons de la Mafia, un certain Giancana. Des menaces venant de la Mafia planent sur John et Bob : Edgar prévient le président. Par ailleurs dans sa volonté de réformer les droits civiques notamment des Noirs, JFK et Bob révoltent certaines populations blanches.
Edgar se fait du souci quant aux imprudences de JFK qui ne respecte guère les consignes de sa garde rapprochée. JFK se comporte comme la star qu'il est devenu : pour la première fois, les Américains ont une star mondiale à la tête de leur pays. Mais l'addiction au sexe de JFK inquiète Edgar. Puis survient le fiasco de la Baie des Cochons pour tenter de renverser Castro suivi de l'opération Mangouste qui avorte avant même son exécution. JFK se retrouve isolé et le doute s'installe. Dans ses rapports avec l'Est, il n'a pas la main : Krouchtchev fait construire le mur de Berlin sans que JFK ne bronche. Trop flexible, JFK renvoie une image de faible aux yeux de l'URSS.
Compte tenu de l'attrait irrépressible de J.F.K. pour les femmes, il n'était pas pensable qu'il fît l'impasse sur le symbole sexuel le plus adulé d'une génération : Marilyn Monroe, qui était déjà la maîtresse de son frère Bob. Tous les indices relevés par le FBI montreront que Marilyn a été victime d'un assassinat, et personne n'avait intérêt à faire disparaître l'actrice hormis les frères Kennedy comme le montre l'enquête secrète du FBI. Edgar et Clyde estiment avoir croisé au cours de leur longue carrière les pires malfaiteurs déguisés en gendres idéaux en la personne des deux frères Kennedy. Opportunistes, francs-tireurs, ils étaient sans code de bonnes manières. Ils pensaient qu'ils pouvaient tout se permettre en raison du fait qu'ils bénéficiaient d'un énorme soutien populaire uniquement fondé sur leur image d'hommes jeunes et modernes. Dans les allées du pouvoir cependant, ils étaient considérés comme des galeux. L'idée que le président pourrait être assassiné n'étonne plus Tolson.
Et Kennedy est mort par là où il a péché : la Mafia a eu raison de lui. Toute l'enquête du FBI est relatée dans ce long chapitre sur les tenants et les aboutissants concernant l'assassinat de J.F.K. Il y eut la version officielle bien sûr et puis il y eut la secrète enquête en interne du FBI qui montre que Oswald fut un pion manipulé par la CIA et passage à l'action initié par la Mafia. Tolson révèle tout ce qu'il a découvert sur Oswald et ur Ruby, l'assassin de Oswald. Il y eut plusieurs tireurs dont trois tireurs d'élite corses rapidement exfiltrés du pays grâce à tout un réseau mafieux. Et Tolson va plus loin encore : il affirme que l'on ne peut assassiner un président des Etats-Unis sans l'assentiment de la CIA et du FBI, sans qu'ils participent directement au meurtre.
Pour Tolson, le courage ne demande que de l'inconscience, alors que la lâcheté demande de l'intelligence ; et lui ne respecte que l'intelligence.
Suit un beau chapitre sur la pensée d'Albert Camus que Tolson ne porte pas dans son coeur.
Avril 1968 voit l'assassinat de Martin Luther King à Memphis. Puis quelques mois plus tard celui de Bob Kennedy en pleine campagne présidentielle. Un assassinat monté très exactement selon les mêmes règles que celui de son frère, commandité par la CIA et la Mafia texane protégée par Johnson : un tireur isolé Shiran Shiran et un finisseur à bout portant. Kennedy disparu, c'est Nixon qui est élu. Un homme dont l'Amérique avait besoin selon Tolson. Hélas l'affaire du Watergate le contraint à la démission.
Edgar Hoover meurt subitement en 1972. Des funérailles nationales sont organisées pour cet homme qui avait servi sous huit présidents des Etats-Unis. Il fut inhumé comme un chef d'état après un règne de 48 années, grand régisseur de cinq décennies de vie politique américaine, avec un immense pouvoir sans avoir jamais eu à affronter les électeurs.
500 pages de révélations et d'anecdotes passionnantes. Tout ce récit tout s'appuie sur des événements réels et des personnages portant leur nom véritable. Une bibliographie citant les sources est proposée en fin d'ouvrage : dialogues, comptes rendus d'écoute, fiches de renseignements, le tout réuni pour des mémoires attribuées à Clyde Tolson, le second du FBI et amant d'Edgar.
Extrait : Qu'est-ce qui fait le propre de l'homme ? Selon Thomas Huxley, c'est la morale. Pour les marxistes, c'est l'outil. Pour Platon, c'est la bipédie. Pour Aristote, l'homme est le seul animal politique, c'est à dire le seul animal doté d'un double langage.




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