Madeleine est une vieille dame aveugle. Elle vit dans une maison au bord d'une falaise dangereuse, puisque les intempéries la grignotent petit à petit. « Il y a vingt ans, je n'avais pas trop d'une journée entière pour faire mon jardin. Aujourd'hui, c'est plié en deux minutes. » le maire ne peut pas laisser cette bâtisse s'abîmer sur la plage, emportant son occupante. Il met tout en oeuvre pour la faire partir.
Je l'ai déjà dit, écouter les critiques de bandes dessinées est dangereux pour le porte-monnaie.
Thierry Bellefroid, dont j'aime beaucoup les
chroniques, présente ce volume avec chaleur. Donc, je l'achète. Et je ne le regrette pas !
L'histoire se situe à Troumesnil, un village imaginaire de la Côte d'albâtre en Normandie. En effectuant quelques recherches, je découvrirai que l'auteur s'est en fait inspiré de Quiberville-sur-mer. La Normandie est une région chère à mon coeur. Bon début donc. Sur la première planche, divisée en trois vignettes, j'ai déjà le sourire, car on découvre un clin d'oeil à Astérix. Ce n'est pas le seul. Ainsi, par exemple, l'héroïne s'appelle Madeleine
Proust. Elle a connu bien des malheurs. En effet, elle est aveugle de naissance. Son mari adoré a disparu en mer. Elle vit seule avec un chat dans une habitation vouée à disparaître.
C'est donc fort triste. Eh bien, non. Car Madeleine a un caractère bien trempé. Tous les jours, elle descend dans le centre pour faire ses courses. Elle prépare le repas pour Jules et elle et lui dresse son couvert. Mais, puisque Jules est mort, c'est Balthazar, le chat, qui mange sa portion. Sa maîtresse n'oublie pourtant pas de lui remplir sa gamelle de croquettes. L'animal est donc plus qu'obèse !
Le maire est déterminé à lui faire quitter la place. Pour son bien ? Ou pour s'éviter à lui-même reproches et ennuis ?
Madeleine ira visiter la maison de repos où on veut la reléguer. C'est à la fois émouvant et drôle. La responsable accumule gaffe sur gaffe : « rien ne vaut un bon coup d'oeil pour se faire une idée », « La salle à manger donne sur le jardin », ou « la chambre avec vue sur mer ».
Tout le volume joue sur cette opposition. Les couleurs sont douces et pastel, les paysages enchanteurs. Mais le chant de cette mouette est un goudron de marée noire. Sur la plage, un bunker est tombé tout droit. A peine arrosé, le massif de roses fait le plongeon.
Il y a des planches entières en noir et blanc, avec de terrifiantes évocations des orages. Il y a des vignettes avec cette femme éternellement seule : jeune, mûre, vieille : elle attend
le retour du pêcheur, elle reçoit le coup de fil fatal, elle dit : « j'ai visiblement la longévité d'un condamné à mort au Texas... ça fait des années que je suis dans le couloir, mais je n'arrive pas à trouver la porte. » Et, malgré tout, Madeleine a une volonté de fer. Contre vents et marées (c'est le cas de le dire), contre ceux qui ne veulent « que son bien », elle résiste. Ni contrainte, ni forcée, elle ne partira
JAMAIS.
Bonne idée : l'album se termine par un « making of ». Duhamel nous montre les photos dont il s'est inspiré, l'évolution de son travail, ses recherches de personnages, les croquis de Madeleine et de son chat. C'est une vraie réussite. Je vous le recommande chaudement. Moi, je l'ai adoré.