C'est un roman singulier que nous livre
Lionel Duroy, parce qu'il diffère de la plupart de ceux qu'il a écrits depuis
le chagrin,
Priez pour nous,
Vertiges, où sous les traits de son double en littérature il se raconte, s'interrogeant sans cesse sur l'amour, ce qui le fait exister ou se déliter, les relations familiales...
Roman singulier parce qu'il prend place en Roumanie entre 1935 et 1945 et s'ancre dans
L Histoire. Et cependant, les thèmes chers à Duroy n'en sont pas absents. Il est question de l'amour que porte
Eugenia, brillante étudiante roumaine, au romancier et dramaturge juif Mihai Sebastian, mais que lui ne sait pas témoigner. Il est question des relations d'
Eugenia avec sa famille, alors que son frère aîné a rejoint les Légionnaires de la Garde de Fer, alors que la conscience politique de ses parents n'a pas subi l'heureuse influence d'une enseignante, comme c'est le cas pour
Eugenia.
Eugenia devenue journaliste s'oppose à ses parents qui ne s'indignent pas des positions antisémites de son frère et de celles que prend peu à peu le régime, menaçant celui qu'elle aime et qui ne veut quitter la Roumanie parce que cette guerre et les menaces qui pèsent sur lui sont aussi une raison de vivre (plus forte que la présence d'
Eugenia ?). Ses parents ne sont pas des barbares, pas eux, ils sont la voix silencieuse du discours dominant en Roumanie, d'inspiration nazie. L'Allemagne nazie prend ses aises en Roumanie après la rupture du pacte germano-soviétique et chacun alors s'accommode tant bien que mal de cette collaboration : sympathisants antisémites par habitude ou par lâcheté, résistants actifs, collaborateurs passifs, coupables pendant le pogrom de Jassy.
Eugenia croise, avec Sebastian qui les considère toujours comme ses amis, des écrivains tels
Nae Ionescu,
Camil Petrescu,
Mircea Eliade, Emil
Cioran, dont l'antisémitisme, plus éclairé que celui de leurs compatriotes - ce sont des intellectuels, et ils connaissent la confession de Sebastian - est plus effroyable et condamnable (je ne lirai pas
Cioran).
Eugenia croise encore
Curzio Malaparte, dans une fonction de journaliste-écrivain un peu trouble, dont on ne sait vraiment quelle cause il sert, sinon la sienne peut-être.
C'est aussi une partie de l'histoire de la Roumanie que nous donne à découvrir Duroy, prise dans l'étau entre nazis et soviétiques, gouvernée par le "Pétain roumain", Antonescu. Et ce parallèle n'est pas le dernier intérêt du livre...