Anne Duvivier a mué. de chrysalide elle est devenue papillon. Et même « passeuse » puisque son dernier roman, le plus abouti de tous, est dédié à sa fille et à ses petites-filles. «
Eden Beach 1970 », c'est une histoire d'amour qui se fait la malle, une héroïne qui rebondit, avec en arrière-plan, la guerre du Vietnam et la condition des Noirs américains. C'est un zoom sur ce point pivot que furent les années 70, quand la pilule faisait enfin souffler un vent de liberté, quand les slogans de Mai 68 refusaient de mourir.
Charlotte a grandi dans la soie. Dans cette petite Belgique où les bonnes familles s'entrecroisent et où les rallyes évitent les mésalliances. Là où, à cette époque, les femmes savaient encore garder leur place, elles étaient dactylos, infirmières ou assistantes sociales. Peu importe puisque l'objectif était de décrocher un mari, bardé de diplômes et de flatteuse ascendance. Charlotte, elle, a rencontré Miguel, un jeune loup hispanique, ambitieux à souhaits. Avec pour toute carte de visite un Master en business administration. Elle l'a épousé contre vents et marées, l' a suivi aux Etats-Unis. Il faut dire qu'à la maison, en dépit des petites cuillères en argent, la vie n'était pas drôle entre une mère neurasthénique et un père qui n'avait pas compris que le monde était en pleine mutation.
Eden Beach, c'est l'histoire brève d'une désillusion, d'une histoire d'amour qui n'a jamais existé. Et la formidable réponse d'une femme qui rebondit et conquiert ce mot auquel elle n'avait peut-être jamais réfléchi : « Liberté ». En 15 jours, elle réécrit le script de sa vie. Elle brise la porte des interdits pour s'ouvrir au Désir. À L'indépendance, à la conquête de ses droits. A la vie.
Mais Eden Beach, c'est aussi un décor bien planté : l'Amérique dans ses côtés sombres, la guerre du Vietnam bat son plein et les Noirs n'en finissent plus de tenter, en vain, de rompre avec leur condition. Et aussi bien sûr la précarité de l'emploi et la drogue. Une Amérique un peu désarticulée, à l'image de l'amour.
Le livre fait mouche car il est écrit avec détermination, presque rudesse. le style est assez dépouillé. L'auteur ne cède à aucun moment à la facilité d'un « happy end », la liberté a un prix et
Anne Duvivier ne le cache pas. le rapport aux hommes se complexifie, les princes charmants ont pris la fuite, les amants réveillent brusquement les belles au bois dormant.
Si Eden Beach a un côté coup de poing , c'est aussi un roman parsemé de formidables histoires d'amitié. Rassurantes et réconfortantes.
A lire, assurément !
Colette Frère
Publié dans la revue Nos Lettres, septembre 2023, AEB.