L'histoire se passe de nos jours en Californie ; une jeune femme, Mae, débute dans une société appelée
le Cercle. Mae est solide, sûre d'elle, elle sait ce qui lui convient, comme sortir en kayak pour se retrouver.
Elle est heureuse d'être embauchée, se sent privilégiée d'avoir été choisie. D'entrée de jeu, le malaise est là : son amie qui l'a cooptée lui fait une sombre blague à son arrivée dans l'entreprise.
Le Cercle est une société high tech, un mélange de Google, Apple, mais en plus grand. Il y a tout ce qu'il faut sur place pour que les dix mille employés se sentent chez eux, y compris des chambres d'hôtel améliorées … des fois que le temps ait si vite filé au travail.
Mae est confiante, elle ne remarque pas trop les attitudes étranges, ou elle préfère ne pas les voir. Assez vite le piège se referme sans qu'elle s'en rende compte et les responsables de cette entreprise ont des comportements semblables à ceux des gourous de secte.
Cette dystopie est très agréable à lire même si l'auteur ne se prive pas de décliner tout le fonctionnement du Cercle, avec force chiffres et détails qui ajoutent à la gêne.
Les mots employés par Cercle sont Communauté, Like, … toute ressemblance avec ce que vous savez n'est sans doute pas fortuite.
Le livre, publié aux Etats Unis en 2013, est pour moi une dénonciation de nos choix de société faits sans notre consentement.
Or c'est ce qui nous arrive déjà. Les revenus doivent désormais être déclarés par internet. Tout savoir sur la santé d'un patient via sa carte vitale permet de transmettre ensuite ces informations aux mutuelles. Celles-ci sont des organismes privés qui ne se « privent » pas d'exploiter toutes ces données.
Dans ces deux cas, l'Etat décide qu'il en sera ainsi. Mais pour combien de temps ? Qui décide des recherches à mener ? Certaines sociétés privées très riches peuvent déjà se permettre de chercher des moyens de prolonger la vie, de conserver les ovocytes de leurs employées … sans aucun débat éthique.
Le Cercle supplante les politiques sans difficulté, impossible de ne pas penser aux fake news, aux dernières élections américaines où les réseaux sociaux ont eu un rôle certain.
Il n'y a aucun intellectuel ni journaliste dans cette histoire.
L'héroïne est obsédée par l'amour virtuel des autres, conditionnée par le discours ambiant, très manipulateur, où tout repose sur la crainte de déplaire. Or est-ce si grave de déplaire ? Non, bien sûr. Pourtant Mae est désespérée dès qu'il lui manque un « like ». le rythme effréné des tâches à accomplir et les efforts à faire pour faire partie activement de la communauté, l'empêchent d'avoir du recul et de penser.
Par ailleurs, il est impossible de refuser de faire partie du système, c'est à dire de regarder sans cesse les autres, sans cesse parce qu'il y a stimulation constante, et d'accepter d'être observé. Les moyens de surveillance sont tels qu'il faut bel et bien disparaître pour y échapper, et ce, au prix de l'éloignement et de l'isolement total.
Eggers nous fait respirer un peu en introduisant un personnage énigmatique qui va à l'encontre de ce Cercle oppressant. Mae est intriguée, mais est surtout très attirée sexuellement par lui. Elle enfreint les règles seulement dans le cas où son instinct sexuel prend le dessus. Celui-ci ne peut pas être manipulé.
L'introduction de ce personnage est géniale car le lecteur ne peut s'empêcher de se demander si il ne s'agit pas d'une mise à l'épreuve de Mae.
Le Cercle est un livre dérangeant, mais son univers est plausible. Quelle sera la prochaine frontière franchie dans le tout numérique ?
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