APRÈS plusieurs années de méditation et de recueillement, maintenant que mon esprit a repris peu à peu sa vigueur, sa lucidité et son calme, je me sens pressé de décrire minutieuse-ment tout ce que j’ai vu, senti et éprouvé pendant les quelques semaines que j’ai passées sur une autre terre.
C’est mon ambition qui fut la première cause perceptible de toute cette affaire. J’étais aide-astronome à l’Observatoire de Paris, j’avais vingt-sept ans, j’étais très impatient d’arriver, de me faire un nom, et, pour cela, je ne m’épargnais pas, mais jusqu’alors mes observations et mes travaux n’avaient obtenu qu’un assez froid accueil de la part de mes maîtres.
Je me souviens très bien du jour où le grand savant Lador annonça qu’il avait découvert une comète nouvelle, qui s’avançait vers le système solaire avec une vitesse prodigieuse. Ce fut dans notre petit monde de jeunes astronomes, épris de gloire, une très grosse émotion, et dès qu’il fut avéré que l’astre inconnu passerait encore plus près de la Terre que la Comète de Halley en mil neuf cent dix, chacun se démena de son mieux pour obtenir une mission quelconque, un détail spécial à observer, des photographies ou des calculs à faire. Les plus favorisés, à mon sens, furent ceux qui obtinrent d’être envoyés en un point de l’équateur. Car c’était de la ligne équatoriale que le passage de la Comète de Lador devait vraisemblablement être le mieux visible.
Ces Anthéens n’étaient pas laids, mais ils défiaient toute comparaison avec aucun être vivant connu sur la Terre. Poulpes, coraux, étoiles de mer, arbres, papillons, oiseaux, c’était tout cela ensemble, et même c’étaient aussi des hommes
— C’est une petite planète qui sort on ne sait d’où. Elle est devenue notre satellite. Elle s’appelle Anthéa… d’après les désirs exprimés par moi-même…
— C’est vous qui l’avez aperçue le premier ?
— Oui, et comme on donne généralement aux planètes un nom mythologique, j’ai pensé à ce surnom d’Anthéa, dont les Grecs affublaient certaines déesses. Cela ne va pas trop mal, car notre Anthéa céleste a bien l’aspect d’une grande fleur épanouie là-haut…
— Mes félicitations, répondis-je. Nous tenons donc un monde inédit, mais le tenons-nous bien ?
Renflée à chaque extrémité, cette longue tige diaphane était parfaitement distincte sur toute son étendue. On eût dit que de l’astéroïde à la Terre une stalagmite et une stalactite de pur cristal s’étaient formées et rejointes…
Mon intelligence restait comme paralysée et incrédule devant cette miraculeuse apparition.
Merryman, lui, ne perdit pas possession de ses facultés. Au bout d’une demi-minute, il me donna triomphalement l’explication du phénomène :
— C’est une colonne d’air !
j’avais aperçu à l’horizon méridional, au-dessus des hauts sommets des Andes, une énorme masse ronde et d’un blanc laiteux qui ressemblait à la lune vue de jour et qui grossissait à mesure que nous nous rapprochions de l’équateur. C’était l’astre inconnu, le monde nouveau, que la Comète de Lador avait été cueillir dans les régions inexplorées de l’espace et avait abandonné là, tout près de notre vieille Terre !