AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,53

sur 116 notes
5
5 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
3 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'Usage de la photo, récit écrit à deux voix par Annie Ernaux et Marc Marie, est de ces livres qui ont pu choquer au moment de leur parution, et qui demeurent encore peu explorés par la critique, sans doute parce que quelque chose a été « blessé », comme a pu le penser en son temps Roland Barthes face à d'autres ouvrages connaissant le même sort. le tabou relevait certainement, comme a pu me le suggérer Annie Ernaux elle-même, de l'utilisation dans son texte de photographies qui ne représentent pas des personnes, mais des vêtements, des vêtements épars et emmêlés, qui demeurent la seule trace matérielle de la jouissance éprouvée lors de l'acte amoureux. Car s'il est un thème qui dirige ce livre, c'est bien celui, controversé, de la consommation de l'amour, cet amour né entre Annie Ernaux et Marc Marie à une période où aucun des deux ne l'attendait, chacun se trouvant subitement confronté à la mort, la première parce qu'elle se voit annoncer son cancer du sein, le second parce qu'il vient de perdre sa mère. Jamais la citation de Georges Bataille placée en exergue du propos, qui veut que « l'érotisme [soit] l'approbation de la vie jusque dans la mort », n'aura alors eu autant de sens. de fait, s'il est ici question d'acte sexuel, c'est certainement d'abord parce qu'il peut être considéré comme une preuve de vie, d'autant plus essentielle alors que tout autour d'eux disait la maladie et devenait des « présages de mort », en commençant par le corps de la femme qui se trouvait profondément marqué par les stigmates de la maladie, que l'on songe à l'absence de cheveux et de poils, au cathéter placé sous la clavicule, ou encore à la poche de chimiothérapie parfois portée sur le ventre. Dire le plaisir pris dans l'ébat, c'est alors d'une certaine façon témoigner de ce que le cancer ne doit pas le prix que peut revêtir cette vie qui nous est si précieuse, et à laquelle il faut continuer de croire. Ainsi, Annie Ernaux pourra dire de cette relation avec Marc Marie, dans laquelle « la maladie n'est non seulement pas exclue mais, d'emblée, intégrée » sans toutefois qu'elle ne puisse jamais « atteindre [leur] amour », qu'elle « [la] fai[sai]t vivre au-dessus du cancer ».

Pour autant, la menace de la mort demeure, nul ne peut l'ignorer, et l'écriture à partir de photographies devient également une façon de la dire, peut-être même la seule possible : « Un jour, il m'a dit : « Tu n'as eu un cancer que pour l'écrire ». J'ai senti que, en un sens, il avait raison, mais jusqu'ici, je ne pouvais pas m'y résoudre. C'est seulement en commençant d'écrire sur ces photos que j'ai pu le faire. Comme si l'écriture des photos autorisait celle du cancer. Qu'il y ait un lien entre les deux. ». Si ce lien est de fait si puissant, c'est parce que la photographie induit, par son essence même, une dialectique absence/présence à même de figurer ce qui s'y joue pour l'individu. Parce qu'elle fige une scène selon un angle de vue particulier, elle ne peut prétendre saisir l'intégralité du monde qui nous entoure, et cache finalement autant qu'elle montre. Les auteurs insistent à de multiples reprises sur ce point fondamental, eux qui font régulièrement appel à leur mémoire pour restituer l'ambiance, les odeurs, les sensations qui ont pu accompagner la scène dont ne demeurent que quelques vestiges froids. Ainsi, de la « cuisine matinale, 16 mars », il ne demeure dans la photo « rien des odeurs de la cuisine le matin, mélange de café et de toasts, de nourriture pour chat, d'air de mars. Rien des bruits, le déclenchement régulier du frigo, peut-être la tondeuse des voisins, un avion vers Roissy. Juste de la lumière qui tombe pour toujours sur le carrelage, les oranges de la poubelle, le bouchon vert de la bouteille d'eau de Javel. Toutes les photos sont muettes, celles prises dans le soleil du matin plus que d'autres ». de là le pas est mince qui consiste à dire que la photographie « déréalise », à tel point même qu'Annie Ernaux pourra décrire plus loin son « impression que M. a photographié une toile abstraite dans une galerie de peinture [tant] tout est transfiguré et désincarné ». Désincarné, comme un corps sans vie: face à une photographie qui « n'éveille » plus « rien en elle », Annie Ernaux ne peut plus que se résoudre à faire le constat de la vie qui échappe: « Il n'y a plus ici ni la vie ni le temps. Ici je suis morte. ». Décrire des photographies comme le font ici les deux auteurs, devient alors nettement une façon de se confronter directement à cette disparition du corps, disparition qui la menaçait alors, et qui nous menace en réalité tous.

Dès lors, tout cet ouvrage peut être lu comme une belle tentative d'Annie Ernaux et de Marc Marie de poser un regard intime sur eux-mêmes, dans leur fragile condition d'êtres humains.


Lien : http://ecumedespages.wordpre..
Commenter  J’apprécie          210
A. et M. sont amants. Au matin, après leurs nuits d'amour, ils photographient les tas de vêtements qui traînent dans les appartements, hôtels et lieux de leurs rencontres et ils écrivent de manière croisée sur ce que leur évoque la photo...

Pris par hasard à la bibliothèque, ce petit roman a été un véritable coup de foudre pour moi. La démarche artistique qui sous-tend ce texte me plaît beaucoup car je suis une "visuelle" et les textes qui accompagnent les photos (choisies parmi toutes celles prises pendant leur liaison) racontent leur histoire d'amour, celle que chacun·e a vécu de son côté, à la fois semblable et différente. le cancer de A. (l'auteure) rôde, il est un personnage à part de ce duo qui parvient à lui faire prendre vie à travers les tas de vêtements répandus au sol.
Une réflexion sur la vie, l'amour, la mort, j'ai beaucoup aimé ce texte.
Commenter  J’apprécie          50
Curieux livre que j'ai dévoré un quatre mains basé sur des photos de vêtements vestiges de nuit d'amour et porteurs de souvenirs en lien avec le cancer du sein pour lequel Annie Ernaux a été soignée durant le début de leur relation et l'écriture du livre. On y retourne la finesse, le féminisme, la langue de cette immense dame de la littérature... quel plaisir et quel courage
Commenter  J’apprécie          10
Documenter sa vie, j'ai mis des mots sur cette pratique grâce à Élise Vandel qui a écrit le texte d'accompagnement des photos du premier livre de ma maison d'édition.
Depuis le journal intime, garder des tickets, petits objets et prendre des photos pour garder une trace, un souvenir déformé de toute façon.
J'avais ce titre dans ma wishlist à cause du titre et je l'ai trouvé chez recyclivre.
Ma première lecture de Annie Ernaux, les années, j'ai détesté. Ensuite j'ai découvert Georges Perec les choses et je me souviens. Finalement j'ai retenté Ernaux avec l'événement que j'ai adoré.
Bref, ce livre choisi pour son titre, je m'attendais à un essai mais non.
A et M sont amants et décident, chaque matin de photographier leurs vêtements laissés en vrac le soir au moment de faire l'amour : dans le couloir, la cuisine, le bureau, ... des photos argentiques, il faut attendre avant de découvrir les clichés.
Ensuite chacun de son côté a écrit sur la photo. Et bien entendu ils n'écrivent pas la même histoire. Une fois la scène décrite, elle leur évoque des souvenirs différents.
Commenter  J’apprécie          00
Le livre est aussi beau pour les images que pour le texte... Il s'empare d'un objet rare et difficile en littérature, le cancer, et parvient à montrer que la mort et l'érotisme sont indissociables. C'est un tour de force, mais c'est tellement vrai.
Commenter  J’apprécie          00


Lecteurs (278) Voir plus



Quiz Voir plus

Connaissez-vous vraiment Annie Ernaux ?

Où Annie Ernaux passe-t-elle son enfance ?

Lillebonne
Yvetot
Bolbec
Fécamp

10 questions
292 lecteurs ont répondu
Thème : Annie ErnauxCréer un quiz sur ce livre

{* *}