Ce n'est pas un roman d'
Annie Ernaux, reposant sur des éléments autobiographiques, des souvenirs qui permettent par petites touches d'évoquer l'atmosphère sensorielle d'une époque, d'inscrire un destin singulier car unique dans le déroulement des années. Mais ce
retour à Yvetot est lui aussi en partie autobiographique :
Annie Ernaux revient dans sa ville d'origine, pour la première fois en tant que femme de lettres, pour parler de lettres. Elle y est revenue comme ille, comme orpheline après la mort de ses parents, mais là, c'est l'artiste, celle qui a réussi, qui revient, et celle qui a réussi par un mode qui semblait "étranger à sa race" dans sa
jeunesse, celui de l'écrit, si éloigné pour une fille d'ouvriers ayant connu une toute petite ascension sociale en devenant épiciers.
Qu'une toute petite ascension sociale, car les parents d'
Annie Ernaux travaillent à Yvetot, petite ville au milieu de la campagne normande entre
Le Havre et Rouen, détruite par les bombardements en 1944 et en pleine reconstruction.
Annie Ernaux a donc le souvenir d'une ville qui n'est plus, celle de l'enfance et des impressions d'enfance, celle d'un contexte particulier. Elle parle de "mémoire des lieux" - ce qui m'évoque à moi, plus historienne que femme de lettres, les "lieux de mémoire" de
Pierre Nora, ces objets historiques investis par l'émotion. Et, comme souvent dans ma lecture d'
Annie Ernaux, je suis partagée. Je suis normande moi aussi, je viens aussi d'une ville détruite qui a été bombardée puis reconstruite - même si je n'ai pas connu les ruines, je n'ai pas le même âge que l'autrice. Je connais quelques mots de patois du Pays de Caux. J'ai aussi quitté ma Normandie pour "monter à Paris" faire des études littéraires. Mais je n'ai pas honte de le dire, je ne dissimule pas le nom de ma ville par ses initiales, comme elle dans ses premiers romans où elle parlait de "Y", où elle changeait les noms des rues.
Mais, contrairement à d'autres oeuvres, je n'ai pas trouvé ici ce qui me dérange parfois en la lisant, à savoir ce que je ressens comme un mépris envers son milieu d'origine. Non, ici, elle explique - en s'inscrivant dans la lignée de
Flaubert, lui aussi passé par Yvetot - que, par l'écriture, Yvetot accède au rang de mythe, c'est-à-dire accède à la beauté. L'écriture même transfigure les lieux en leur donnant une histoire, les faisant sortir de la mémoire pour en faire des lieux de mémoire. C'est donc, pour moi, un des premiers livres d'
Annie Ernaux qui me fait ressentir de l'émotion, peut-être parce que je la comprends, que je comprends cet attachement au lieu de l'enfance.