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EAN : 9782130818229
284 pages
Presses Universitaires de France (27/01/2021)
4.5/5   5 notes
Résumé :
La cause animale est aujourd’hui à un tournant de son histoire car la science économique porte désormais un intérêt croissant à la question animale et s’interroge particulièrement sur le rapport paradoxal que nous entretenons avec les animaux : alors que le bien-être animal n’a jamais été aussi consensuel, plus de 3 milliards d’animaux sont tués tous les ans en raison de nos choix alimentaires.

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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La théorie économique peut éclairer et orienter notre utilisation individuelle et collective des biens non marchands dont nous bénéficions directement, tel l'air que nous respirons et l'eau stockée dans les tourbières et milieux humides qui n'inonde pas nos maisons. le peut-elle pour cet autre domaine non moins négligeable qui concerne notre vie morale où les bénéfices sont moins clairement mesurables, qui relèvent de la diminution de la souffrance et de l'aversion que nous avons à la considérer ? L'objectif central de cet ouvrage est d'offrir une réponse par l'affirmative en ce qui a trait aux conditions de vie et de mort des animaux d'élevage, de laboratoire, de cirque et de chasse. Il est aussi de mieux outiller, autant le consommateur conscientisé que le militant. Espinosa y parvient en utilisant, dans la majeure partie de sa réflexion, les moyens de l'économie comportementale et les résultats d'expériences qu'il a lui-même mises sur pied et conduites dans plusieurs cas. Avec aplomb, élégance et en maîtrise d'une diversité de théories (sa commande de Kahneman, Système 1/2 est digne de mention), il nous procure la satisfaction de refermer le livre avec la vive impression d'être plus intelligent qu'auparavant.

Dans un premier temps, il s'attache à préciser la mesure dans laquelle le bien-être animal peut être considéré comme une utilité, comme relevant du bien-être humain que l'économie tend à maximiser via l'orientation des choix politiques. Il remonte notamment, pour ce faire, aux classiques, Bentham et Mill, dont les arguments ont été injustement délaissés ou ignorés par la postérité. La capacité de souffrir doit, dans leur esprit, pouvoir conférer un droit de protection et le droit de propriété ne peut servir de limitation à la reconnaissance de ce droit et au cautionnement de ses violations (ce qui, du moins au Québec, n'est toujours pas le cas, les éleveurs ayant le libre choix de définir ce qui compte comme le bien-être des animaux dont ils sont propriétaires). Espinosa ne mentionne pas ce point, mais l'impossibilité d'user du droit de propriété comme d'une limitation du droit de protection dont jouit ce qui est possédé a contribué à la démise de l'esclavage comme institution (voir Alain Testart, L'institution de l'esclavage, une enquête mondiale).

Espinosa cherche ensuite, toujours en première partie d'ouvrage, à préciser l'angle sous lequel des gains en bien-être animal peuvent être convertis en biens au sens économique, soit une portion centrale de la question fondamentale de l'approche des bien non-marchands. L'une d'elles est indirecte. Ils ne peuvent être convertis qu'en bien-être des humains pour lesquels le bien-être animal compte. L'amélioration de leur bien-être contribue à celui de cette portion de la population qui dit se soucier du bien-être animal et s'y montrer sensible (ressentir négativement la vue de la souffrance et des mauvais traitements).

Conformément aux statistiques françaises disponibles, et en contradiction avec une certaine vision de l'homme que l'on croirait fusionnée à la théorie économique, il soutien que cette portion de la population qui peut être dite altruiste est majoritaire en ce qui a trait aux animaux (non seulement domestiques, mais également d'élevage). Cette portion de la population est celle qui est dite bénéficiaire de l'augmentation du bien-être des animaux, considérant, et ceci est la limite de la théorie économique dans le cas présent, à savoir qu'il nous est à ce jour impossible de calculer l'utilité en terme monétaire que représente, par exemple, pour un cochon de vivre à l'extérieur sur un terrain gazonné plutôt que dans une cage loin de toute lumière du jour.
En l'absence d'une manière de mesurer l'utilité en ce sens, mais en prenant appui sur la population altruiste, un moyen parmi ceux employés de parvenir à une mesure fiable de l'utilité qu'il y a à améliorer le sort des animaux est de recourir aux préférences révélées, à l'aide à la base des enquêtes citées dans lesquelles les participants sont conviés à dire quel montant annuel d'argent il serait prêt à payer pour que les conditions d'élevage des animaux leur évitent de souffrir tandis qu'ils vivent ou sont abattus. On apprend ainsi que la somme disponible si chaque citoyen contribuable, en Grand-Bretagne, donnait 20 livres annuellement pour rehausser les conditions d'élevage et d'abattage, que cette somme représente une faction du coût estimé réel pour parvenir à cette fin.

Aparté : en plus des gains cognitifs que l'on réalise à voir Espinosa approcher ce sujet avec un esprit de science expérimentale attentif aux enjeux/limitations méthodologiques, son adoption d'une vision charitable mais statiquement fondée à l'effet que la majorité des gens est altruiste et se souci du bien-être d'autrui y compris des animaux, ce choix montre, de l'économie, une image qui est loin de la caricature que doivent maintenir au sujet de cette dernière les partisans notamment d'une sociologie restée fidèle à son ambition dite originelle (celle de réfuter, comme Marx, l'utilitarisme et l'économie politique qui en découle, voir à ce sujet, Laval, L'ambition sociologique).

Pourquoi les positionnements favorables au bien-être animal, qui sont majoritaires au sein de la population, ne se reflètent pas en choix de consommation cohérents ni en vote? Dans la seconde partie de l'ouvrage, qui a été pour moi la plus stimulante, ces questions sont campées à travers une série d'expériences conduites à la lumière de théories sur le choix, la coordination des décisions et le traitement de l'information. Ces théories incluent : l'ignorance sincère (les gens ne savent sincèrement pas comment l'animal qu'il consomme a été traité et abattu), l'ignorance délibérée (confronté à une dissonance cognitive entre ce qu'ils disent et font, certains optent pour ignorer activement ce qu'ils savent, choix qui peut être démasqué lorsqu'on rémunère non leur participation à l'étude tout court mais leur réponse exacte aux questions qui leur sont posées), le manque de coordination des coopérateurs inconditionnels (qui s'engagent dans les entreprises collectives, coûte que coûte), et des coopérateurs conditionnels (qui s'engagent si les autres s'engagent en nombre suffisant) contre les passagers clandestins (qui ne font jamais rien mais bénéficient des efforts des autres) ; le manque de déclenchement du système 2 (résolution de problème conscient, par calcul, comparaison) par le système 1 (l'habitude aveugle, l'hostilité à l'effort et l'utilisation comme renfort contre la réflexion d'image anecdotique mais statistiquement insignifiante comme l'animal souriant dans la fermette familiale) ; l'altruisme impur de la licence morale (les actions favorables envers certains animaux, domestiques par exemple, donnent l'équivalent d'un droit de maltraiter les autres sans pour autant compromettre l'opinion que nous avons de protéger et d'aimer les animaux), et l'altruisme impur du warm glow (la chaleur que nous procure, parce qu'il redore notre estime personnelle, le don à un organisme d'aide aux animaux, peu nous importe que l'organisme parvienne à cette fin, si nous l'avons obtenu en donnant à l'organisme 1, les dons successifs à d'autre organismes ne nous le donnent plus, aussi ne donnons-nous pas à ceux-ci), la réactance (le rejet de la légitimité du choix et de celui qui propose le choix si celui-ci est ressenti comme la privation d'une liberté que nous avions auparavant), l'empathie localisée (loin des yeux, loin du coeur, jusqu'à une vidéo nous éveille de notre torpeur en nous montrant les réelles conditions d'élevage et d'abattage qui sont en amont des produits sur nos tablettes), l'apprentissage social (apprendre quelque chose sur le monde et sur autrui à partir de ses actions et de ses choix : si une personne gentille achète x, l'item x doit être un bon item ou il doit être correct d'acheter x) et la désirabilité sociale (faire partie du groupe) sont autant d'hypothèses psychologiques expérimentées et illustrées par Espinosa pour rendre compte des questions précitées (pour rappel : pourquoi les positions de la majorité de la population en faveur du bien-être des animaux d'élevage ou animaux sauvage et chassés ne se traduisent pas en choix de consommation ni en vote). Cette partie du livre est des plus stimulante et elle à mon avis en digne d'éloge.

La dernière partie de l'ouvrage porte sur les effets qu'exercent différents types de militantisme et de formatage des proposions militantes sur les gens non, peu ou moyennement favorables à la protection des animaux et celle de leur bien-être. Comment réagissent- ils, dans leur choix d'achat, après avoir entendu des messages informatifs, accusatoires, moralisateurs, welfaristes (visant une amélioration des conditions d'élevage et d'abattage) ou abolitionnistes? Il est surprenant d'apprendre que les participants les moins opposés à une alimentation végétarienne par sympathie envers les animaux réagissent plus fortement aux campagnes d'information agressive à l'endroit de l'élevage industriel, en se distanciant de l'alimentation végétarienne!

Une portion de l'analyse subséquente est consacrée à une comparaison des cibles du militantisme en fonction de leur portée stratégique et ce, suivant chacune des questions centrales que sont : combien d'animaux sont affectés par des conditions de vie et d'exploitation pénible présentement dans les fermes industrielles, dans les laboratoires pharmaceutiques, dans les cirques et corrida, et dans la nature lorsqu'ils sont chassés ? Quels sont les chances de parvenir à modifier ces conditions? Combien d'animaux en bénéficieront et y a-t-il des chances que ces gains en viennent à bénéficier à d'autres animaux, d'autres causes?

Espinosa s'intéresse non moins aux organisations militantes devenues des intermédiaires de régulation, c'est-à-dire, des porteuses de conseils et de réformes s'adressant directement aux producteurs. Il cite des études attestant de l'impact favorable qu'exerce sur les consommateurs l'étiquetage que certaines de ces organisations ont pu mettre en place sur des produits en fonction de leur respect de standards de bien-être animal et une transparence accrue. Ce domaine est éclairé autant dans ses promesses que ses enjeux (notamment celui de l'éparpillement des standards et certifications, celui des compagnies qui se certifient elles-mêmes, et ce que plusieurs savent ou pressentent déjà, à savoir que les labels bien-être , bio et "en liberté" ont avant tout viser à donner bonne conscience aux consommateurs sans changer les conditions de vie des animaux de façon notable).

D'autres pistes de changement, employant un niveau de contrainte également minimale sur les consommateurs, dont les nudge (les coups de pouce cognitifs) sont explorées qui indiquent que la modification du choix de menu par défaut dans une cantine scolaire ou un degré de visibilité accru des produits végé augmentent leur consommation.

La partie finale concerne l'alliance de l'état français avec les gros producteurs de viande et le lobby des chasseurs, et ses conséquences, dont un contrôle du vocabulaire avec lequel les nouveaux produits et joueurs de la protéine végétale sont nommés, des guides alimentaires auto-promotionnels en décalage avec les conseils nutritionnels généralement admis, et le triste sabotage de l'utilisation législative des résultats d'un référendum mené en 2017, résultats démontrant un désaveu massif par la population françaises de l'élevage et de l'abattage industriel notamment. Ici encore, l'exposé d'Espinosa brille de rigueur et de clarté.

Comment sauver les animaux est un livre est admirablement écrit. Il est un modèle d'exercice scientifique que je recommanderais de suivre pour l'étude des biens non marchands, en plus d'avoir une portée pratique à la fois pour le consommateur et le militant désireux de faire des choix éclairés. À mille lieux, et d'une vision caricaturale de la théorie économique (je l'ai suffisamment souligné) et d'une posture (que j'ai moi-même adopté jadis) de dénonciation et d'accusation, il hisse le niveau auquel le débat et les égards à l'endroit de la question animale devraient être situés.
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