Présenté par
Charles Bukowski, dans sa préface au livre, dont il fait un éloge appuyé que les relectures une trentaine d'années n'ont pas dénoncé ou affaiblie, en parlant d' « un homme qui avait changé l'écriture », voici un roman plutôt court qui explore les profondeurs de l'âme humaine, thème classique et récurrent s'il en est, dans un Los Angeles des années 30 :
"
Demande à la poussière" de
John Fante est le deuxième livre de la série mettant en vedette le personnage d'Arturo
Bandini. C'est en grande partie un alter ego de
John Fante lui-même qui partage une même origine modeste, le même rêve : devenir écrivain et les mêmes goûts.
Lâche et maladivement seul, Arturo
Bandini – et comme plus généralement tous les anti-héros de
J. Fante - se maintient en vie car il est habité par la faim, faim de la femme et faim de Dieu, faim de la femme c'est-à-dire faim de Dieu dans un cercle sans fin.
Dans un masochisme très chrétien, le personnage finit par prendre goût à ce manque, à la cruauté de l'isoler de la femme en tant qu'homme, et de l'inspiration en tant qu'écrivain, du Père en tant que fils.
Dans son délire, le personnage « jeune, affamé » confond la figure christique avec la figure féminine, puisque l'une et l'autre lui assurent le salut et lui offrent un moyen de nier sa propre négativité et de combler ce néant contrariant, creusé par la faim, dans le Los Angeles des wannabes et des laissés pour compte.
Il aime chacune de ces femmes détruites et humiliées par la prostitution autant qu'il aime sa propre mère, « même si (leur) bouche a l'air d'avoir été creusée à coups d'ongles, même si (leurs) yeux de vieille enfant nagent dans le sang comme des sonnets écrits par un maniaque. »
Dans «
Demande à la poussière », s'opère une ultime incarnation de la Vierge – c'est-à-dire la femme qui a « épousé » Dieu – chez Camilla, une jolie mexicaine qui balaie la poussière dans un bar de Los Angeles, que le personnage désire, mais qu'il ne possédera jamais.
Sans doute il faut y voir simplement un souvenir de la propre jeunesse de l'auteur, passée auprès des religieuses, avec les enfants de choeur où il associe à la figure de la Vierge Marie, la figure féminine et le souvenir de sa propre mère (nommée Maria…), qui lui apparaît en rêve sous les traits de la Vierge.
Et plus globalement, la relation particulière de
J. Fante avec Dieu, qui est celle de deux amants qui se quittent et se regrettent inlassablement. On comprend ainsi l'intensité particulière de sa foi, perceptible dans toute son écriture.
Le personnage entretient des comportements envers les femmes dégradants ou sexistes. Misogynie il y a sans nul doute, le contexte de l'époque et l'essence du personnage y contribuent.
Le récit est émaillé de descriptions viscérales et de monologues intérieurs, créant une ambiance particulière, intimiste ; passant d'un moment à l'autre de la vie du personnage sans transition fluide.
Une narration à la première personne qui permet de s'immerger dans son âme tourmentée, ses désirs, ses névroses, ses émotions contradictoires.
Une lecture qui marque. Mais serait-il publié en l'état aujourd'hui ?