Dès les premières lignes, avant même de savoir ce que l'histoire nous réserve ou de quoi ce livre va nous parler, on est frappé (à double titre) par l'écriture, son style et son urgence
« Un soir je suis assis sur le lit de ma chambre d'hôtel sur Bunker Hill, en plein coeur de Los Angeles. C'est un soir important dans ma vie, parce qu'il faut que je prenne une décision pour l'hôtel. Ou bien je paie ce que je dois ou bien je débarrasse le plancher. »
Le ton est donné, à l'urgence du départ (éventuel) de l'hôtel se mêle l'urgence de l'écriture de Fante qui jusqu'à la dernière page, ne se démentira pas. Apre, brûlante, impérieuse, elle fleure bon le jus de tripes. Pas le temps pour des tournures de phrases intello-académiciennes, pas l'intérêt non plus,
John Fante n'est pas là pour nous conter fleurette, ce n'est pas un ménestrel, c'est un chirurgien, il méprise le psaltérion pour le scalpel, il incise avec acuité, avec lucidité, il tranche dans le vif, il nous interpelle, nous réveille – particulièrement en ces temps de rentrée littéraire ou (honte à moi je vais généraliser, c'est mal, oui je sais, réduisons cela alors à tout ce qui est (sur)taxé de best-seller avant même d'être sorti de chez l'imprimeur) tout m'a semblé bien fade, déjà vu, déjà lu, déjà oublié. À peine le temps de faire connaissance avec Arturo
Bandini, personnage central du livre, qu'on est entraîné dans son sillage, dans son impatience, dans son extrémisme. On se retrouve à tellement aimer ça qu'on en redemande sans hésitation de cette écriture qui résonne en nous, trouve un écho, nous secoue... Merveilleuse sensation, n'est-ce pas là le plus beau cadeau que peut nous faire un écrivain ?
Fante, avec «
Demande à la Poussière » prend le pari d'arriver à mêler écriture brutale et sensibilité, à les marier et à les faire cohabiter avec génie. Pari réussi, ô combien. Même si ce style tendu comme une corde à linge pourrait à première vue passer pour familier voire pire, grossier (et pour le coup devenir assez vite lassant) ne vous y fiez pas, il n'en est rien. Chaque mot est travaillé, ciselé avec exactitude et cadré au millimètre pour produire le maximum d'effet. Fante fait preuve d'un talent de diamantaire parfaitement maîtrisé de bout en bout.
Avec ce style si particulier,
John Fante ne se contente pas de nous raconter l'histoire d'Arturo
Bandini, il est Arturo
Bandini, un garçon plein de paradoxes et d'émotions à fleur de peau, pressé de vivre, pressé d'aimer
« J'ai 20 ans, j'ai l'âge de raison, j'ai le droit d'aller écumer les rues en bas pour me chercher une femme »
Cette phrase tirée du début du livre résume à elle seule ce que ce personnage haut en couleurs voudrait, aimerait pouvoir faire s'il ne trouvait pas inlassablement sur son chemin cette sacro sainte religion catholique que sa si chère Mama lui a inculqué et dont il n'arrive pas à s'émanciper tout à fait. Alors il approche des femmes, s'imagine des relations qu'il n'aura jamais, finissant toujours par battre en retraite quand les choses deviennent trop sérieuses. Comment faire pour se débarrasser de ces encombrantes chaînes ? Arturo a un truc : il fantasme son avenir ! Il sera un grand écrivain. Un grand ? Non le plus grand, ce qui le mettra à même de pouvoir épouser une belle, riche et blonde américaine. À travers cette obsession, Fante injecte dans les veines de son personnage ce qu'il considère alors comme ses deux raisons de vivre : la littérature et les femmes.
« Ses cheveux coulaient sur l'oreiller comme une bouteille d'encre renversée »
C'est ainsi qu'Arturo
Bandini, à l'instar de son géniteur d'auteur, décide un beau jour de quitter son Colorado natal, de tout plaquer pour partir vivre à Los Angeles, la ville où tout arrive même aux pauvres fils d'immigrés italiens comme lui. D'ailleurs à L.A il fera oublier ces pondéreuses racines, là-bas, il sera un américain pur et dur !
Un programme parfait et dont l'esquisse se profile sûrement puisqu'il compte déjà à son actif « le Petit chien qui riait », une nouvelle exempte de toute ingérence canine publiée dans une revue d'importance. Un clin d'oeil explicite à H.L
Mencken, écrivain et rédacteur en chef de « The American Mercury », revue à laquelle Fante doit ses premières publications.
Arturo
Bandini est donc sur le bon chemin mais il faut réitérer l'exploit s'il veut se faire un nom et pour écrire, écrire la vie, écrire les sentiments, écrire les hommes, il doit trouver la matière que le manque d'expérience dû à son jeune âge ne lui fournit pas. Très bien, il ira au-devant de la vie s'il ne s'agit que de ça, et c'est là qu'il prendra conscience qu'il est facile de venir s'installer dans un bouge miteux de Los Angeles – et ils sont nombreux à tenter leurs chances en cette période de Grande Dépression aux Etats-Unis mais bien rares sont ceux qui décrochent leur billet pour la gloire. Pour tous ces sans noms, ces oubliés du rêve américain, Los Angeles, Mecque de la célébrité et du cinéma se transforme vite en Tartare poussiéreux. La poussière...
John Fante en parle jusque dans son titre car ici ce n'est pas juste un phénomène dû au sable venant de la proche côte pacifique, non, ça devient un personnage à part entière qui ne laisse jamais en paix la plèbe de la Cité des Anges et
Bandini n'y échappe pas. Collant à ses habits, à ses cheveux, à sa peau, elle l'accompagne dans tous les bas fonds où il se rend, même au café minable dans lequel travaille cette serveuse qui lui fait un tel effet qu'il préfère l'insulter que de s'avouer cette attirance (ce sera l'occasion de scènes joliment cocasses entres ces deux personnages, chacun n'ayant rien à envier au panache de l'autre). Cette Camilla, elle n'est pas vraiment la blonde qu'il espère, bon sang non, elle n'est même pas américaine. Malgré tout il en tombe amoureux et encore plus éperdument quand il apprend qu'elle aime ailleurs, ce qui donnera lieu à une fin de livre troublante et mémorable.