HOGARTH ET LES ACADEMIES
Il y a aux Etats-Unis un mouvement d'opinion en faveur de la création d'un ministère des beaux-arts semblable au nôtre. Du reste, en Angleterre aussi, il a été parfois question d'une protection officielle des arts dans le genre de nos ministère_, académie et école des beaux-arts.
Certain lord avait invité Hogarth à donner son avis sur les avantages d'une académie des beaux-arts d'après le modèle français. Hogarth, qui était un indépendant, était plutôt défavorable au projet. « Je n'ai jamais su, dit-il, que les arts y eussent gagné en France, et les seuls bienfaits que les membres en retirent me semblent représentés par leurs maigres appointements. » Il s'appuya sur Voltaire « lequel, auteur sensé et spirituel, a remarqué que, depuis la fondation de l'Académie française, pas une seule œuvre de génie n'a fait son apparition, toute la compagnie étant tombée dans le maniérisme et l'imitation ». Et l'auteur de la jolie Shrimp-Girl, de la National Gallery, ajoute : " On pourrait répondre que toute la peinture n'est qu'imitation. Entendu, mais si nous ne faisons que copier ceux qui nous ont précédés, que faisons-nous? Car, quand deux hommes enfourchent un même cheval, l'un d'eux se trouvera forcément derrière l'autre." En un mot, Hogarth avait horreur de l'académique et du poncif et guerroya contre eux toute sa vie.
Meryon fait paraître au milieu du siècle une espèce d'homme nouvelle et qui n'a presque rien de commun avec le romantisme. Des graveurs qui vinrent après lui, Lalanne, Buhot, conservent des traces de romantisme, — romantisme spirituel, romantisme pittoresque, obsédé par le caractère ou par l'effet. Rien de semblable chez Meryon. Le romantisme est un faste, une abondance, un trop-plein; il se déploie, il est magnifique, il est prodigue : la sévère économie de Meryon ramasse et concentre toutes ses forces. Le romantisme est une interprétation passionnée de la nature et de l'homme, une longue effusion du moi : l'art de Meryon est strictement objectif. Dans sa hâte de créer et de donner la vie, le romantisme invente des raccourcis précipités, la matière où il inscrit ses songes est toute chaude de sa fièvre : le Paris de Meryon est la construction la plus patiente. Quel prétexte à romantisme que l'exotisme des voyages lointains ! Meryon a voyagé par delà les mers, il a connu, il a senti la poésie des îlots volcaniques et des plages de corail, il a dessiné les maos malaises et les pirogues de guerre... Mais c'est Paris, un Paris de bâtisses où pas une pierre ne manque, où les perspectives définies déterminent dans l'espace des figures inexorablement régulières, qui a fixé son génie et sa gloire.
...Vous souvenez-vous du Chef-d'œuvre inconnu de Balzac? Si vous avez dix minutes, relisez-le. Il y a là des choses définitives sur la lumière et l'ombre et sur ce mystère de la conduite d'un tableau en train de devenir une chose totale.
Il me semble qu'une fois de plus je vois clair comme il m'arrive quand je retourne à mon repos solaire. Je voudrais pouvoir dire mon émotion simplement comme ceux qui m'ont précédé ont dit la leur et oublier que j'ai voulu, moi aussi, inventer la peinture.
Et pourtant, et pourtant! Il me semble qu'avec notre vieille clé rouillée nous avons senti parfois, moi et quelques peintres de ma génération, que, dans la formidable serrure, le pêne tournait quelque peu, oh! imperceptiblement, mais assez pour nous inquiéter jusqu'à la fin de nos jours. Cette inquiétude dépasse les mots, et c'est pourquoi le mot cubisme est affreusement étroit pour dire notre angoisse. Vous voyez, cher ami, que ma lucidité de tout à l'heure est partie. Heureusement, demain matin, la séance devant le massage des vagues va mettre bon ordre dans tout cela.
Le premier Salon d'Automne naquit dans une cave obscure — le sous-sol du Petit-Palais. Ah ! les deux ou trois jours qui précédèrent ce vernissage du 30 octobre 1903, alors que dans les galeries souterraines se croisaient des ombres fantomatiques, ombres d'exposants, ombres de critiques, ombres affairées de Frantz Jourdain, de Rambosson, de Paul-Louis Garnier, de Lopisgich ! Vernirait-on aux lanternes? Grande était l'anxiété dans les jeunes milieux d'art, où tant de vœux étaient formés pour la réussite de ce salon d'esprit nouveau, qui avait déjà ses ennemis, prêts à la raillerie et à l'invective. Et cependant les amis du Salon d'Automne étaient loin d'imaginer à quelles difficultés se heurtaient sans cesse les organisateurs de cette grande première. Ils ignoraient que d'heure en heure tout était remis en question, les autorisations administratives, les installations et la concession même de cette désolante crypte municipale. Car rien ne fut épargné pour abattre l'énergique volonté de Frantz Jourdain et de ses collaborateurs.