On peut dire qu'au moins jusqu'à la Première Guerre mondiale, le navire Romantisme aura laissé un durable sillon dans l'océan littéraire.
Julia de Trécoeur, paru en 1872, le démontre impeccablement.
C'est là un roman aux atours stylistiques remarquables, dont la trame, faite de sentiments tourmentés, peut sembler désuète de là où j'écris, mais qui, face au tourbillon de nullité contemporaine égocentrique, a encore de quoi emporter les lecteurs bien nés. Entendez par-là, ceux qui ne risquent pas la crise d'apoplexie en lisant une description excédant deux lignes !
Par ailleurs, ces romans d'un autre temps – dont un certain nombre est tombé, hélas, dans l'oubli – recèlent, en plus d'une force romanesque certaine, des phrases qui sont autant d'aphorismes : « Il n'est pas très difficile, en effet, d'aimer ses enfants ; il suffit de n'être pas un monstre. L'amour qu'on leur porte n'est pas en lui-même une vertu : c'est une passion qui, comme toutes les autres, est bonne ou mauvaise, suivant qu'on est le maître ou le valet. » Dans cet exemple, on sent aussi l'influence
De Balzac, comme une ombre tutélaire de la littérature.
Tout commence donc avec les désillusions du mariage : « Madame de Trécoeur avait vécu avec son mari dans une région de tempêtes mauvaises où elle se sentait dépaysée et comme dégradée. Il la tourmentait de ses remords presque autant que de ses fautes. […] Elle eût préféré un malheur plus tranquille et sans phrases. »
La Madame de Trécoeur en question s'appelle Clotilde, veuve convoitée et mère de l'orageuse Julia, laquelle hante le récit de son instable humeur et sa beauté incomparable. Jeune personne qui n'est que passion, mêlée à une autorité qui la rend aussi irrésistible qu'effrayante. D'où les perturbations qu'elle inflige aux autres protagonistes, dans une sorte de quatuor des amours contraires. Ce qui plonge finalement le récit dans la tragédie irréversible.
Car la passion est souvent un champ de bataille, qui emporte tout sur son passage, ainsi que l'éprouve Lucan, personnage ébranlé par la jeune Julia : « C'était une ivresse folle que la saveur du crime exaltait. Devoir, loyauté, honneur, tout ce qui se dressait devant sa passion pour y faire obstacle en exaspérait la fureur. »
Petite anecdote : j'ai trouvé ce roman dans une ressourcerie où, désormais j'ai beaucoup plus de succès en matière de bonnes surprises romanesques que dans les rayons proprets d'une quelconque librairie parisienne très au fait de la mode idéologique. Et comme je ne suis pas un adepte de la « littérature » wokiste, je préfère aller boire à d'autres fontaines. Ce avant que les livres non conformes soient purement et simplement interdits, un peu comme en Union soviétique autrefois…
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