A HENRY W. LONGFELLOW
A L'OCCASION DE SON VOYAGE EN EUROPE
Un soir, tu t'envolas comme l'oiseau de met
Dont le coup d'aile altier nargue le gouffre amer :
Et moi, debout sur la colline,
Murmurant à la brise un chant d'Hiawatha,
Longtemps je regardai le flot qui t'emporta,
0 doux chantre d'Évangeline !
Comme on voit l'astre d'or, plongeant an sein des eaux,
Laisser derrière lui de lumineux réseaux
Dorer les vagues infinies,
Quand ta barque sombrait à l'horizon brumeux,
On entendit longtemps sur l'abîme écumeux
Flotter d'étranges harmonies.
Tu caressais ton luth d'un doigt mélodieux,
0 barde ! et; je t'ai vu d'un long regard d'adieux
Embrasser nos rives aimées,
Rêvant pour ton retour d'innombrables moissons
De poèmes ailés, de sublimes chansons
Et de légendes parfumées.
Tu partis, et longtemps ta lyre résonna
Des vallons de Kildare aux penchants de l'Etna,
Sur le Danube et sur la Loire ;
Et, brillante fanfare ou fier coup de canon,
La brise qui soufflait nous apportait ton nom
Dans un long murmure de gloire !
Dans ces pays dorés où l'art a des autels,
Tu passais saluant tous les fronts immortels
De l'Europe, en grands noms féconde ;
Et, de Rome à Paris, de Londres à Guernesey,
Les maîtres t'acclamaient, rival improvisé
Qui surgissais du Nouveau-Monde
Mais, comme une aile blanche ouverte dans le vent,
J'ai vu poindre une voile aux lueurs du Levant,
Dans un rayonnement féerique !
Le bronze de Cambridge a grondé dans sa tour ;
Et, dans son noble orgueil, d'un long frisson d'amour
Tressaille la jeune Amérique !
Écoutez !—mille voix s'élèvent dans les airs.
De la cité vivante et du fond des déserts
Monte une immense symphonie.
Écoutez ces accents, par la brise portés
Des bords de la Floride aux coteaux enchantés
De la blonde Pensylvanie !
Des gorges du Catskill au rivage lointain
Où le vieux Missouri, dans son cours incertain,
Roule ses eaux couleur d'orange ;
Sous les arceaux touffus des grands bois ténébreux,
Au bord des lacs géants et des bayous ombreux,
S'élève une cantate étrange
Hosanna ! ces rumeurs, ces chants mystérieux,
C'est un monde hélant son barde glorieux ;—
Car le flot dont tu t'environnes,
0 vieux roc de Plymouth, berce encor ton enfant,
Poète bien-aimé qui revient triomphant,
Le front tout chargé de couronnes !
Août 1869
Les Mille-Iles
Massifs harmonieux, édens des flots tranquilles,
D’oasis aux fleurs d’or innombrables réseaux,
Que la vague caresse et que les blonds roseaux
Encadrent du fouillis de leurs tiges mobiles.
Bosquets que l’onde berce au doux chant des oiseaux,
Des zéphirs et des nids pittoresques asiles,
Mystérieux et frais labyrinthe, Mille-Iles,
Chapelet d’émeraude égrené sur les eaux.
Quand la première fois je vis, sous vos ombrages,
Les magiques reflets de vos brillants mirages,
Un chaud soleil de juin dorait vos verts abris;
D’enivrantes senteurs allaient des bois aux grèves;
Et je crus entrevoir ce beau pays des rêves
Où la sylphide jongle avec les colibris.
Montebello
Pittoresque manoir, retraite hospitalière
Où Papineau vaincu coula ses derniers jours,
J’aime à revoir tes murs, ta terrasse, tes tours
Secouant au soleil leur panache de lierre.
Qui suit de tes sentiers la courbe irrégulière,
En s’égarant sous bois, s’imagine toujours
Voir, dans le calme ombreux de leurs secrets détours,
Glisser du grand tribun l’image familière.
Car il vit tout entier ici -dans chaque objet;
Il aimait ce fauteuil, cet arbre l’ombrageait;
Tout nous parle de lui, tout garde sa mémoire;
Et, pour suprême attrait, sur ce seuil enchanté,
Le cœur tout grand ouvert, la Grâce et la Beauté
Ajoutent leur prestige aux souvenirs de gloire.
Juillet
Depuis les feux de l’aube aux feux du crépuscule,
Le soleil verse à flots ses torrides rayons;
On voit pencher la fleur et jaunir les sillons
Voici les jours poudreux de l’âpre canicule.
Le chant des nids a fait place au chant des grillons;
Un fluide énervant autour de nous circule;
La nature, qui vit dans chaque animalcule,
Fait frissonner d’émoi tout ce que nous voyons.
Mais quand le bœuf qui broute à l’ombre des grands chênes
Se tourne haletant vers les sources prochaines,
Quel est donc, dites-vous, ce groupe échevelé
Qui frappe les échos de ses chansons rieuses?
Hélas! c’est la saison des vacances joyeuses…
Comme il est loin de nous ce beau temps envolé!
Je connais un petit ange
Lequel n’a jamais mouillé
Sa blanche robe à la fange
Dont notre monde est souillé.
C’est lui qui donne le change
Au pauvre cœur dépouillé
Que l’amour, vautour étrange,
D’un bec cruel a fouillé.
Cet ange, qui vous ressemble,
Sous son aile nous rassemble
C’est la divine Amitié.
Son regard est doux et calme;
Il m’offre sa chaste palme…
En voulez-vous la moitié?
Louis-Honoré Fréchette – Novembre