Le sens commun considère aujourd’hui comme naturel que le travail procure identité et bien-être aux humains et qu’il constitue le pivot de l’agir social et de la citoyenneté. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Ce n’est pas un hasard, en effet, si le mot « travail » dérive du latin labor, fatigue, et si l’usage le distingue du mot « œuvre », entendu comme activité de réalisation de la créativité et de l’esprit.
Considérer le travail comme un bien signifie le considérer comme une fin à atteindre. Le considérer comme un « bien commun » signifie affirmer que cette fin est « positive », voire « utile ».
Nous avons vu comment, au cours des derniers siècles, s’est déployé un dispositif social, juridique et économique de grande ampleur pour diffuser cette croyance. Plus le travail se pliait aux exigences du processus d’accumulation capitaliste et devenait formellement libre, plus il était nécessaire que cette même activité de travail devienne le but principal et la raison première de la vie. Et par conséquent, l’absence de travail devenait la pire des conditions existentielles possibles.
Si nous entendons par travail le résultat de l’agir quotidien du genre humain dans la satisfaction de ses besoins et de ses rêves1 matériels et immatériels, ou comme le résultat d’un agir et d’un choix libres à l'intérieur d’une communauté également libre et exempte de hiérarchies et d’impositions, alors nous ne sommes pas en train de parler de travail, au moins dans le sens communément admis : nous sommes en train de parler, en réalité, de la vie, c’est-à-dire d’une activité dédiée à l’œuvre et à l’oisiveté.