Avec
Zhang Zhung, nous entrons dans une dimension plus aboutie de la lecture à réalité augmentée que proposent les éditions du Grimoire. L'auteur a travaillé avec un illustrateur et un musicien pour offrir au lecteur une expérience plus complète. La musique permet une immersion plus profonde dans l'histoire, elle permet de mieux s'imprégner de l'atmosphère. Au début, c'était un peu difficile car je ne suis pas habituée à lire en écoutant de la musique ; mais peu à peu, je m'y suis faite. Les illustrations sont aussi très bien pensées : les traits d'encre présentent un naturel primitif proche du sujet abordé. Les objets peints se retrouvent dans l'histoire que conte le chapitre. Chaque chapitre porte le nom de l'animal représenté au début et comporte une caractéristique de cet animal (voire l'animal lui-même, comme les chevaux présents dans le chapitre « Le cheval »). Tous les chapitres sont introduits par de courts textes poétiques et énigmatiques, sortes de paroles initiatiques.
Dans ce roman, l'auteur nous raconte l'histoire de
Zhang Zhung, une civilisation chamanique perdu dans les montagnes tibétaines, dont les membres vivent en communion avec la nature. Jinkuaï, un soldat déserteur et profiteur, la découvre par hasard. Impressionné par les techniques inventées par ce peuple, Jinkuaï décide de conduire son général et l'armée de Shu à
Zhang Zhung. S'en suivent pillages, massacres et trahisons, chaque camp luttant pour la survie des siens.
C'est donc au choc entre deux cultures qu'on assiste d'abord. Après avoir passé du temps chez les habitants de
Zhang Zhung, Jinkuaï les qualifie de « moutons divins qui broutent l'herbe » (p. 35). le soldat est en effet incapable de comprendre qu'une civilisation soit mue non pas par le désir de s'enrichir et de tout s'accaparer mais par celui de faire profiter les uns et les autres de leurs dons. Un message à la
Nancy Kress (
L'une rêve l'autre pas) sur fond tibétain.
Le début m'a paru un peu long et trop fourni en informations sur l'histoire de la guerre entre les États de Qin et de Shu, que j'ai immédiatement oubliées.
Le ton universitaire, point que j'ai pu reprocher à la nouvelle dans du Plomb à la Lumière, revient par moments (comme pour la description de la charrue utilisée par un paysan de
Zhang Zhung dans le chapitre 1, ou lors de la description de la spiritualité des Enfers de Shu dans le chapitre 9) mais il est bien moins prononcé : l'auteur a réussi à mieux intégrer ses connaissances scientifiques dans le récit.
Ce n'est que vers le milieu du roman que j'ai vraiment été captivée par l'histoire et que j'ai commencé à comprendre ce qui était en jeu.
L'invasion de
Zhang Zhung par la violence des peuples extérieurs se fait très progressivement, un peu comme une gangrène. Mais une gangrène qui était déjà présente ; car
Zhang Zhung n'est pas un paradis idyllique où tout le monde est bon et innocent (genre trip écolo manichéen avec le narrateur qui s'écrie « Regardez les méchants soldats piller et massacrer les gentils habitants de
Zhang Zhung »). Pour protéger leurs terres, certains autochtones se montrent immédiatement capables de violence (parfois poussée à l'extrême) et d'avarice. Je dis « certains » car on voit la différence de réaction entre l'herboriste Visakta et le berger, dans la suite du texte, ou Bhainsi (p. 140 : il considère que tuer un homme est mieux que d'écraser une fleur ; encore une fois, une opinion trouble puisqu'elle est confondue avec celle de la tante et, plus tard, de Visakta (voir p.147)). On observe la ruse des uns et la candeur des autres : les plus malins mentent, les autres ne savent pas le faire. L'emploi du terme « malin » est sans appel : ce ne semble pas être un jugement de valeur négatif, au contraire. À l'opposé de ce qu'on pourrait croire en lisant le début, le roman n'est pas là pour dire que les humains sont corrompus par la civilisation et qu'ils restent purs s'ils gardent un contact de la nature. le message est plus subtil et complexe, et c'est ce que j'ai apprécié dans ce roman. Il y a un environnement et c'est ce que fait l'humain de cet environnement qui importe : plusieurs déclencheurs font des actes des personnages des actes bons, mauvais ou troubles. Par exemple, j'ai beaucoup apprécié le dilemme de Ghoda dans le chapitre « Le Cheval » : il se demande s'il est juste, si c'est moralement acceptable d'empoisonner et de tuer, même pour sauver son peuple.
La légende du yardukota (pp. 183-184), la « chenille à deux destins », synthétise et métaphorise très bien la complexité du roman : ce n'est ni tout noir ni tout blanc. Je n'en dis pas plus et vous laisse découvrir.
L'histoire est parsemée de contes enchâssés, dont deux m'ont particulièrement frappée : le conte d'origine du chamanisme (que j'ai eu grand plaisir à découvrir) et celui de Santulana et des animaux, une version tibétaine du conte japonais qui décrit la naissance des signes astrologiques.
En revanche, la fin ne m'a pas trop convaincue (mais je préfère ne pas en dire plus pour ne pas spoiler).
Au final,
Zhang Zhung est un roman qui n'est pas ce qu'il a l'air d'être. Je vous en conseille la lecture, notamment si vous êtes amateurs de culture chamanique ou si vous souhaitez en découvrir un peu plus à ce sujet à travers une histoire fictive.