Un titre en forme d'oxymore. Quand le scorpion mord, on ne sourit pas, on reste occis.
Cette ambivalence nous envoie dès le départ dans une confrontation entre le bien et le mal, le possible et l'impossible, la vérité et le mensonge, le réel et l'imaginaire.
C'est mon premier Gain, et pourtant les thrillers mâtinés de nature-writing, j'y ai beaucoup joué.
C'est ma troisième balade sur l'eau de l'année, enfin ce sont plutôt les auteurs qui nous baladent en général, avec des descentes tumultueuses, encore un mot prédestiné, tueuse en plein tumulte.
Après
La rivière de
Peter Heller et
le lac de nulle part de
Pete Fromm, deux histoires de canoë, voici le rafting qui se profile. C'est presque sûr, avec un engin pareil, il y aura forcément des sensations.
Tiens, des jumeaux, comme sur le lac de Fromm, mais ici, la famille est complète, le père, la mère et les deux enfants, fille et garçon.
Ils sont accompagnés d'un guide serbe, ah oui, je ne vous ai pas dit, ça se passe sur la Tara, au Montenegro. A gorge déployée, dans une nature sauvage et envoûtante, mais ça ne va pas rire longtemps.
Le rafting, ça secoue, ça part à l'envers, et parfois le courant ne passe pas. Tara en verlan, ça fait rata. Ratage, ratatiné, on sent que l'aventure n'est pas une promenade de santé, faut être sacrément costaud pour affronter les éléments, d'autant qu'ils ne sont pas tous naturels.
Un tatouage en forme de scorpion, une croix orthodoxe, un sourire figé, il avait un joli nom
le guide, Natha… et bien non, c'est Goran. C'est moins poétique, on sent la puissance et même la violence (contenue), dur au boulot, quand on bosse faut avoir la niaque, mais il est serbe, cruel dilemme !
Vous avez compris, ça va mal finir, peu de moments pour s'amuser.
Y a un bal quand ? Pas prévu, dans les montagnes ça vous gagne.
Quoi donc ? L'angoisse, le passé qui ressurgit, la mort rôde, y a des remous, ça s'en va et ça revient, mais ce n'est pas fait de tous petits riens.
Il y aura une deuxième partie, dans les Causses, avec de l'escalade près d'une maison familiale, mais il manque un protagoniste, la Tara a gardé le corps, l'esprit plane parmi les vautours, le loup n'est pas celui qu'on croit, la famille se disloque, ça part jusque dans un fjord norvégien, une dernière envolée.
C'est le fils qui raconte l'histoire. Jusqu'au bout ? Non, je ne vais rien divulgacher, sachez juste que sa faiblesse et sa naïveté vont être mises à rude épreuve.
Il s'appelle Tom et il a quinze ans. Contrairement au Slimane de la deuxième génération, il a tout à gagner, tout à perdre, surtout la vie, il n'aime pas tout ce qui fait peur, la douleur et la nuit.
Quand t'es témoin de choses qui te dépassent, t'es moins que rien, tu ne sais plus à quoi te raccrocher.
Il a rafté, doit-il cafter ? Toute vérité est-elle bonne à dire ?
L'écrivain fait allusion à «
Délivrance », de
James Dickey.
Mais qu'est-ce qui permet d'être délivré ? La vie ou la mort ? Survivre ou mourir ? Je vous le disais au début, le bien et le mal, deux principes opposés mais complémentaires. Une dualité antagoniste qui doit être surmontée, mais à quel prix ? Changer d'horizon, toujours partir, toujours, mais jusqu'où ?
L'itinérance est vulnérable, le destin n'est pas tracé.
L'écriture est simple, fluide, avec des phrases courtes qui n'empêchent pas des descriptions, de la nature et des personnages, pleines de justesse et de sincérité. Oppression et émotion s'entremêlent, le courant passe, le suspense est distillé par petites touches, une histoire « tara »biscotée qui nous entraîne jusqu'à l'insomnie, vers les démons de minuit. On en sort épuisé, comme après une poursuite endiablée.
Un roman noir, mais lumineux, comme un ciel étoilé baigné de nuages.
En attendant l'orage.