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Isabelle Guignon (Traducteur)
EAN : 9782267044621
160 pages
Christian Bourgois Editeur (26/08/2021)
3.54/5   72 notes
Résumé :
Récit de la chute et de la décadence d’une famille, Mortepeau est un conte noir.
Lucas, un jeune homme, s’adresse à son père décédé et enterré dans le jardin familial. Autrefois, il était luxuriant et entretenu par Josephina, sa mère passionnée de botanique. Dorénavant, il n’est plus que mauvaises herbes et désolation. Si la famille en est arrivée là, c’est à cause de deux hommes mystérieux invités dans la maison, bouleversant son équilibre et la précipitant... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (37) Voir plus Ajouter une critique
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La sublime et troublante couverture est à l'image de ce texte incandescent. J'ai eu un véritable coup de coeur pour cette lecture non consensuelle, d'une beauté rare à la tonalité sépia. Métaphores et scènes sensorielles étonnantes m'ont ensorcelée, m'ont prise et enroulée dans leur toile. Toile surréaliste sur laquelle perle une poésie, inquiétante et lyrique, telles des gouttes de rosée dans lesquelles s'abreuver. Ces gouttes font office de loupe mais tout y est un peu flou…l'ambiance l'emporte sur le fonds et nous buvons ce petit lait noir avec délice tout en frissonnant.

Ne pas redouter la métamorphose mais la désirer, la transformation permettant de basculer dans l'autre monde, non pas celui des morts, non, mais celui des insectes. Kafkaïen me diriez-vous, gothique plutôt, noir mais d'un noir lumineux tel le noir des carapaces, brillantes et lisses, puissantes et géométriques, parfaites, des insectes, souvent redoutés, rarement aimés. Quelques vagues baudelairiennes aussi nous assaillent de leur écume à la lecture de ce livre, lorsque les insectes prennent vie de façon explosive grâce à la décomposition de la chair…une charogne…La vie des insectes plus forte que celle des humains, vie éclatante et foisonnante, sur le dos de la mort humaine. Terreau fertile. Résurrection de la chair.

Nous sommes dans les pensées d'un petit garçon Lucas (quel âge a-t-il ?) qui grandit dans une société où la religion catholique est très présente, et surtout au sein d'une famille dysfonctionnelle. Même si l'endroit n'est jamais mentionné, il me plait d'imaginer qu'il s'agit d'une zone reculée de l'Equateur, pays d'origine de la jeune auteure, Natalia Garcia Freire. le père autoritaire, à la fois vénéré et haï, est désormais mort et enterré dans ce qui reste du jardin de la mère, mère considérée comme folle (son amour absolu pour les plantes et pour son jardin ayant fait d'elle une personne impie, impure, aux yeux de l'idéologie bien-pensante où seul Dieu doit être adoré) et internée de force après l'arrivée de deux étranges personnages malsains et moribonds au sein même de la maison, deux étrangers que le père, en bon croyant, a accueilli comme des frères.

« Dieu ordonnait cela. Eh bien, allez dire à votre Dieu que maintenant ils dorment dans votre lit, portent vos vêtements et ont enterré votre corps dans votre jardin pour le piétiner tous les jours ».

Le petit garçon, orphelin, revient vers la maison familiale, veut réintégrer la maison de son enfance, désormais habitée par ces deux monstres. Ces deux êtres sales, dont la peau se desquame, peaux mortes semblant pourrir la maison, le jardin, les récoltes… Maltraité, triste prince d'un royaume d'insectes et de végétaux, Lucas survit comme il peut dans le jardin à l'abandon, et parle au père enterré. Ou plutôt il crie silencieusement. Il crie toute sa haine de la religion et du patriarcat, sa haine des pensées utilitaires de ce père dérisoirement dévot, dénoué d'attention pour la nature, pour les plantes et les insectes, ce dont lui, Lucas, vénère depuis tout petit. le ton se veut cynique, poétique, brutal, viscéral :

« Mais à présent, avec tous ces vers autour de vous, vous devez vous dire qu'en fin de compte ces choses-là avaient leur importance, n'est-ce pas ? Puisque ces asticots s'insinuent dans votre bouche et vos oreilles et, qui sait, peut-être même dans votre cul, et qu'ils vous piquent la nuit ; qu'ils rampent le long de votre corps, de haut en bas, cherchant ce qui reste de vous et qui pourrait leur servir, qu'ils se posent sur vos mains et vos pieds en se tortillant. Vous n'avez pas l'impression qu'à la fin de la vie, à la fin de tout, ils sont plus forts que nous ? ».

Il lui parle donc à ce père, dans un mélange de haine mais aussi de vénération, vouvoiement respectueux et distant car homme, malgré tout, à l'image de Lucas : « Cette terre comme un miroir. Moi d'un côté. Vous de l'autre ». Mais même mort il est encore capable de lui soulever le coeur. Ce ne sont pas les insectes qui sont issus de la puanteur et de la pourriture mais bien les êtres humains à ses yeux. Si laids, si sales, si brutaux et médiocres, se transformer en insecte serait la solution finale pour rejoindre ce monde de perfection au plus près de la terre nourricière, au plus près des racines végétales, au plus près des forces telluriques, loin de la société des hommes :

« Je sors, déambule dans le jardin jusqu'à ce que je découvre une parcelle de terre où creuser un trou, un berceau. Je m'y roule, me frotte contre la terre et en tire du plaisir. La terre apaise mon corps muet, mon coeur se multiplie. Les lombrics ont dix coeurs. Et ils rampent. Je me frotte jusqu'à avoir les coudes et les genoux en sang, jusqu'à égratigner cette peau qui n'est pas la mienne. Je mange des racines et de l'herbe sèche, j'en avale autant que possible pour m'expulser ensuite : naître est ainsi. Je veux liquéfier mes viscères, oublier mon langage, brouiller les mois et sortir de ce corps. Ci-gît un prince en son royaume profané. »

Quelle beauté que ce monde de l'infiniment petit, dont Lucas comprend le langage secret ! Quelle force dans ces armures noires si protectrices en comparaison de nos peaux mortes. Voyez le chapitre consacré à l'araignée, pour moi, arachnophobe, ce fut une lecture faite réellement les yeux écarquillés :

« J'adore Mademoiselle Nancy. Je l'ai rencontrée en traînant près des buissons désordonnés, dans la vieille terre. Elle scrutait un trou en forme de volcan d'où sortaient des fourmis, cachée derrière un tronc de trompettes-des-anges, ses pattes de velours déployées. Quel plaisir de la voir ! Dans la nuit d'encre, elle était le noir le plus chaste [… ] Déjà adultes et vêtues avec élégance dès la naissance, les araignées ont des pattes majestueuses et leur corps ovulaire fait songer à un joli cul dissimulé derrière une mousseline ».

Un premier roman délicieusement horrifique, pour ma part inoubliable, j'attends avec curiosité et ravissement le prochain livre de la prometteuse Natalia Garcia Freire, déjà désireuse de retrouver cet univers si singulier ! Et n'oublions jamais en attendant :

« Tout cela nous entoure. Pendant que nous dormons ils sortent pour mener leur vie tels les dieux de nos rêves, se promènent dans les parages, et un jour ils régneront de nouveau sur ce monde qui leur appartient ».
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Rentrée littéraire 2021 #17

Il y a des romans qui vous emportent juste par la puissance évocatrice de leur prose, au point que tu comprends parfois à peine de quoi il parle sans que cela ne te dérange le moins du monde. C'est le cas de ce dérangeant conte noir, quasi gothique, qui m'a à la fois fascinée et ensorcelée.

Lucas rentre chez lui après en avoir été chassé suite à l'invasion de son foyer par deux mystérieux individus. Ils y sont toujours, mais la famille n'existe plus, entraînée dans une décadence qui semble irrémédiable. Lucas veut à tout prix réintégrer la maison de son enfance. A partir de cette situation initiale, Natalia García Freire construit un monologue souvent halluciné, en fait une conversation avec son père, enterré dans le jardin, qui se transforme tour à tour en long reproche, en invocation et en plaidoyer qui lie les souvenirs au moment présent avec une nébulosité saisissante.

La démonstration d'écriture est éclatante. le lecteur est pris dans un tourbillon évocateur de métaphores et de scènes suggestives à la beauté effrayante. L'expérience est hautement sensorielle, organique même tant on lit avec les oreilles, le nez ou la bouche. Les phrases sont pleines de terres, d'humus, de putréfaction, de fleurs séchées et d'insectes.

«  Je sors, déambule dans le jardin jusqu'à ce que je découvre une parcelle de terre où creuser un trou, un berceau. Je m'y roule, me frotte contre la terre et en tire du plaisir. La terre apaise mon corps muet, mon coeur se multiplie. Les lombrics ont dix coeurs. Et ils rampent. Je me frotte jusqu'à avoir les coudes et les genoux en sang, jusqu'à égratigner cette peau qui n'est pas la mienne. Je mange des racines et de l'herbe sèche, j'en avale autant que possible pour m'expulser ensuite : naître est ainsi. Je veux liquéfier mes viscères, oublier mon langage, brouiller les mois et sortir de ce corps. Ci-gît un prince en son royaume profané. »

La poésie étrange et lyrique infuse lentement pour diffuser une atmosphère surréaliste imprégnée d'inquiétude, aux confins de la folie pour dézinguer indirectement la violence du patriarcat et l'hypocrisie d'une religion chrétienne qui absout les crimes. Surtout cette prose à haute voltage permet de pénétrer l'intériorité de Lucas, faisant fi de toute caractérisation psychologique habituelle pour développer un personnage en crise. Dans une mélodie de la décomposition, Natalia García Freire préfère l'entourer d'insectes, symboles d'une reconnexion à la terre nourricière et aux forces souterraines afin de se confronter efficacement aux carences familiales ou sociétales.

Une expérience de lecture étonnante qui demande un total abandon pour en saisir la beauté et la force.
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« Nous entendons les insectes et les voix humaines d'une oreille différente. »
Kobayashi Issa

Ce premier roman de l'équatorienne Natalia García Freire entraîne le lecteur dans un monde sombre, envoûtant et magnétique, où la beauté sensorielle se mélange aux exhalaisons putrides des corps qui se décomposent et des petites bêtes qui y grouillent et se repaissent des chairs décomposées.

Ce roman produit un effet étrange et déstabilisant sur le lecteur, bercé par la poésie du texte et décontenancé par l'ambiance macabre et austère.
*
« Mortepeau » est un monologue intérieur plein de reproche et de haine de Lucas à l'égard de son père décédé dont le corps est enterré dans le jardin de sa mère.

« Et j'ai commencé à vous détester, père. Vous plus que les autres.
À présent, j'en comprends la raison : tout père abrite un dieu et considère ses enfants comme des figurines d'argile toujours inachevées qu'il cherche sans cesse à recréer à son image pour finir par les condamner : il les accable de fléaux et de déluges, les maudit, puis leur pardonne sa propre vanité. Et nous autres, humains, sommes tous des enfants d'argile timorés et craquelés qui errent de leur vivant, dépourvus de bras, de jambes, ou encore difformes. »

Il lui reproche d'avoir abandonné sa famille, sa maison et sa terre aux mains de deux étrangers, qui, insidieusement, ont pris possession du domaine et ont chassé l'enfant à son décès.
Après plusieurs années d'absence, Lucas revient dans sa maison où vivent toujours les deux hommes et s'adresse à son père.
Passé et présent s'entrecroisent et s'entrechoquent pour composer une histoire aussi belle et profonde que troublante et bouleversante.

« Bien que je puisse me passer de mon prénom, j'ai eu une famille. Notre maison m'attend comme une succession de rêves dans lesquels je ne cesse de retomber. Je suis arrivé attiré par elle, cette demeure aux murs jaunes et sa terre croûteuse. »

*
Lucas raconte comment, enfant, il a été le témoin de l'effondrement de son univers, à l'image de la maison familiale qui se lézarde, laissant l'obscurité et la pourriture envahir les coins, les murs se desquamer.
Comme l'araignée qui tisse sa toile pour emprisonner ses proies, les ténèbres enveloppent les lieux d'un linceul noir, emmurant les individus qui s'y trouvent, rendant l'atmosphère étouffante et pesante.

Là, entre les murs, se cache tout monde qui abonde et fourmille de vie, un monde répugnant pour certains mais fascinant pour cet enfant désoeuvré. Les insectes envahissent les pensées de Lucas et les nôtres, rampant, rongeant, se faufilant, s'insinuant dans les moindres interstices, se repaissant de « la vie en décomposition ».

« Il ne reste rien de nous, père, hormis ces minuscules animaux attirés par la chaleur qui environne la mort. Ils sont plus vivants que nous autres, les vivants qui marchons et parlons. »

L'enfant s'est progressivement vidé de chaleur et d'amour, se ratatinant, se desséchant pour devenir insignifiant et craintif, comme tous ces insectes que nous piétinons sans nous en rendre compte.

*
Il se dégage une forme de violence contenue, davantage psychologique que physique, avec ce père despote et tout-puissant qui impose son autorité dans la maison.
Cruauté, abandon et renoncement règnent en maître.

« Même mort, père, vous êtes encore capable de me soulever le coeur. »

Les deux hommes ne sont pas étrangers à cette ambiance malsaine et effrayante.
Présence silencieuse mais intimidante, imposante, les deux cerbères sont attentifs aux moindres désirs de leur maître, attendant la moindre défaillance pour le supplanter.

« La peur ne se tait jamais. Quand on est effrayé, on doit la garder au fond de soi sans jamais la montrer à autrui. »

*
L'écriture est magnifique et je me suis laissée emportée par la force des images, des souvenirs et des sentiments de l'enfant. Laissant en arrière-plan la psychologie des autres acteurs de cette histoire, Natalia Garcia Freire va au plus près des émotions de cet enfant, seul, perdu, sans repères.

« Je m'agenouille et creuse le sol de mes ongles, j'ai juste envie de m'allonger, de m'entourer de terre. Je creuse une fosse qui devient vite un tunnel, ma galerie sombre et humide d'où j'entends le bruit des insectes qui m'environnent, les cigales toutes proches. Des trompettes et des choeurs.
Lorsque l'ange de l'enfer a pris conscience qu'il était exilé, il a créé un royaume plus puissant que celui des cieux. »

J'aurais aimé entendre davantage la voix de Josefina, sa mère, mais on comprend bien à travers l'histoire du fils, la critique vigoureuse du pouvoir patriarcal et religieux qui assujettit les femmes et les enfants.
D'autres thèmes abordent des réflexions sur le mal, la religion, la maltraitance, la maladie, la mort et la folie.

*
Pour finir, en explorant ce monde tapi sous nos pieds, celui des insectes, des arthropodes et autres petites bêtes qui souvent nous inspirent de la répulsion ou du dégoût, Natalia García Freire nous livre un récit dérangeant et surprenant.
Des images fulgurantes et glauques m'ont assaillie, contrebalancées par une écriture lyrique d'une grande beauté. Entre fascination et dégoût, le charme a opéré dès les premières lignes. L'ambiance gothique m'a plu, me rappelant celle de Tim Burton.
Un premier roman très réussi. Je suivrai cette jeune autrice, elle a énormément de talent et je vous encourage à découvrir ce petit récit si bien écrit.

« Toutes les maisons doivent regorger de secrets que personne ne déterrera jamais ; comme les grottes anciennes où la mort s'est couverte de terre et de roches, comme le fleuve qui charrie le sang et le dépose dans ses parties les plus sombres, les maisons dissimulent de si nombreuses disparitions qu'elles se vident de leurs forces et commencent à se morceler. »

*
Un grand merci à HordeduContrevent pour cette idée de lecture. J'ai adoré.
Et je n'ai rien dit sur la couverture qui est tout simplement sublime et reflète merveilleusement bien l'atmosphère du livre.
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Mortepeau (1991) est un livre extraordinaire, dense, fascinant et crépusculaire. Il prend la forme d'un monologue incantatoire entrecoupé de brèves réminiscences.

En exergue, l'autrice équatorienne a cité Kobayashi Issa :
« Nous entendons les insectes
Et les voix humaines
D'une oreille différente ».

Lucas un jeune homme de retour à la maison s'adresse à son père honni, enterré dans ce qui reste du jardin de sa mère, entouré de limaces, d'insectes, de fourmis, de cloportes. Il n'ose pas encore entrer. Ils sont toujours là à s'empiffrer. Autrefois la maison était éclatante de lumière, le jardin maternel amoureusement entretenu était luxuriant. Et puis son père dévot et tout puissant a accueilli Felisberto et Eloy, deux géants sans yeux qui demandaient l'hospitalité. Ils se sont incrustés et le mal avec eux. le père a laissé faire. La terre s'est décomposée, la famille, l'enfance…

Mortepeau est fort, sent fort, l'humus, la putréfaction, la mort. Il est grouillant d'insectes, d'araignées et autres arthropodes repoussants qui vivent en très bonne intelligence avec le narrateur. Les insectes sont vus par l'enfant opprimé comme des êtres parfaits. Ils le touchent littéralement et le rapprochent au plus près de sa mère perdue. Ils sont ses armes d'enfant et puis ses mots de jeune homme. Aussi le monde bien réel des arthropodes et l'imaginaire fertile se mêlent. Les rêves de vengeance, les récits napoléoniens, la mythologie grecque, l'animisme amérindien, la magie ancestrale. Alors la poésie peut naître et devenir luxuriante comme un beau jardin.

J'ai entendu les insectes et les voix humaines d'une même oreille.

Je remercie beaucoup mon amie Chrystèle (HordeDuContrevent) et je recommande à mon tour cette lecture singulière.
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Voilà un roman bien étrange, bien sombre, qui nous mène dans les tréfonds de l'horreur, de la folie humaine, de l'inexplicable et du surnaturel juste esquissés, à travers le regard de Lucas, jeune garçon qui va voir sa famille progressivement disparaître, à partir du moment où deux étrangers viennent prêter main forte au père pour entretenir le domaine familial.

Ne faisant que renforcer l'étrangeté omniprésente à l'oeuvre dans ce roman, c'est à son père défunt que Lucas s'adresse du début à la fin, qu'il lui rappelle le passé commun qui les a menés à la décadence, dicté par un paternel de plus en plus éteint et fou, comme possédé par les hommes vivant désormais chez lui, ou qu'il lui raconte ce qu'il s'est passé, ce qu'il se passe au fur et à mesure du récit, en raison de son absence.

Cette adresse est emplie de haine, de désir de vengeance, empreinte d'une poésie de la noirceur tour à tour envoûtante et déroutante, qui m'a d'abord perturbée, ne sachant pas où l'autrice voulait m'emmener, qui m'a ensuite captivée, désireuse de connaître le fin mot du destin de Lucas. Après un début de lecture dubitative, j'ai donc fini par me laisser prendre par cette histoire hors du commun, incontestablement.
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critiques presse (2)
LeMonde
08 janvier 2022
Une religiosité oppressante imprègne le premier roman de l’Equatorienne Natalia Garcia Freire. Et insectes et araignées s’y trouvent comme chez eux.
Lire la critique sur le site : LeMonde
RevueTransfuge
19 octobre 2021
Natalia García Freire signe une fable cruelle qui télescope l’histoire naturelle et le grotesque. Une superbe rêverie noire.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Je ne crois pas que mon défunt père m’observe.
Mais son corps est enterré dans ce jardin, ce qui reste du jardin de ma mère, entouré de limaces, d’araignées-chameaux, de lombrics, de fourmis, de coléoptères et de cloportes. Peut-être même qu’un scorpion s’est posé près de son visage à moitié décomposé, et tous les deux évoquent les dessins qui ornent les tombeaux des pharaons égyptiens.
Nous l’avons enterré à proximité de l’endroit où je m’allonge, derrière ces statues de pierre. Si je creuse toute la nuit, je pourrai le trouver, qui sait si j’attraperai en premiers ses mains, ses pieds ou le bas du pantalon de son costume noir. Qui sait comment son cadavre s’est installé pour reposer en paix. Nous l’avons mis en terre sans prendre la peine de changer le vieux complet qu’il portait, car son corps sentait déjà.
Tout est arrivé si vite que ce n’est que maintenant, après tant de jours et de nuits, que je commence à le considérer comme un mort, de ceux condamnés à errer. Et la nuit parfois, je lui parle.
(Incipit)
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Toutes les maisons doivent regorger de secrets que personne ne déterrera jamais ; comme les grottes anciennes où la mort s’est couverte de terre et de roches, comme le fleuve qui charrie le sang et le dépose dans ses parties les plus sombres, les maisons dissimulent de si nombreuses disparitions qu’elles se vident de leurs forces et commencent à se morceler.
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Au cas où vous m’observeriez en ce moment, père : je suis rentré à la maison. J’ai pourtant l’impression d’avoir regagné un autre lieu à une autre époque, un autre monde dans lequel nous n’avons jamais existé. Toutes mes excuses si en certaines occasions je me distrais et me concentre sans relâche sur des choses que vous taxiez autrefois d’inutiles. Mais à présent, avec tous ces vers autour de vous, vous devez vous dire qu’en fin de compte ces choses-là avaient leur importance, n’est-ce pas ? Puisque ces asticots s’insinuent dans votre bouche et vos oreilles et, qui sait, peut-être même dans votre cul, et qu’ils vous piquent la nuit ; qu’ils rampent le long de votre corps, de haut en bas, cherchant ce qui reste de vous et qui pourrait leur servir, qu’ils se posent sur vos mains et vos pieds en se tortillant. Vous n’avez pas l’impression qu’à la fin de la vie, à la fin de tout, ils sont plus forts que nous ? Et que, si on y réfléchit un peu, ce monde n’est sans doute pas le nôtre mais celui de ces êtres minuscules qui, groupés, pourraient tous nous recouvrir ?
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Si j’avais eu un peu plus de chance, j’aurais pu être une mante fleur épineuse, un scarabée Hercule ou une punaise assassine. Si j’étais l’une de ces dernières, je m’échapperais sur le sol, me faufilerais dans ce qui reste de notre demeure et en ferais le tour sans que personne me remarque ; j’occasionnerais çà et là des nuisances, escaladerais les corps de Felisberto et Eloy, appellerais ma bande d’amies pour semer la pagaille. Je leur piquerais les mains, le cou, l’arrière des fesses, les cuisses, leur croquerais tout le corps, et quand je n’en pourrais plus et serais gonflée, obèse, pleine de sang, j’exploserais en toute placidité.
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Quand les larves de mouche s’apprêtent à éclore, tout se liquéfie à l’intérieur de leur cocon pour former un être complètement différent : une mouche. Des pattes effilées et des ailes géométriquement bien taillées naissent d’une larve blanche et molle.
Il en va de même avec ce que j’éprouve : tout en moi, y compris le sentiment le plus ignoble, se métamorphose et peut devenir une idée prodigieuse selon mon bon vouloir.
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