Les aventures de Sam

La maison d'édition québecoise Planète Rebelle a eu envie de se partir une collection de roman, qu'elle a nommé "Perdre le Nord". Moi qui suit habituée de voir des numéro plutôt grand, ça me fait drôle de voir un "Numéro 001". J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce drôle d'ovni de la littérature jeunesse intermédiaire québecois, parce qu'elle est sous narration "orale", telle qu'on la connait usuellement dans les contes issus de la tradition orale. Je ne parle pas des contes classiques là, mais bien des contes racontés par les "conteurs" de cette province francophone.




Une bonne fois, queck part à Matane, en Gespé'geuwa'gi ( Gaspésie) c'était un couple, appelons-les Jeanne pis Jean, qui se préparent à accueillir leur premier bébé. Sauf que, c'te bébé là, voyez-vous, il a dépassé sa date de naissance et bien plus encore. Jeanne n'en peut plus, alors elle demande à son conjoint d'aller demander l'aide de Basilisse, un peu sorcière quand même celle-là, vivant seule au fond des bois et ayant plus d'un tour dans son sac, croyez-moi. C'est elle qui va réussir à faire naître le héro de cette histoire, Sam. Gars ou fille, on sait pas trop, mais Sam , il est couvert de poils comme un ours et vraiment très grand. Et pis, il lui en arrive des affaires à Sam, des affaire qui ont pas de bon sens, comme de rencontrer un ours qui s'appelle Gandhi et qui va devenir la première d'une longue liste de compagnons et compagnonnes de Sam, qui va partir aux quatre coins de s'te région vaste et qu'est la Gaspésie. Créatures fantastiques, sorcier maléfique, énigmes et devinettes sont de la partie. C't'histoire là va vous faire découvrir un pays comme vous en avez jamais vu, encore moins entendu.


J'ai tellement trouver ça original et un brin absurde - la faute aux répétitions nombreuses et aux drôles de "bébittes" ( dans le sens "créature") qu'on y trouve- avec une narration ô combien rare en littérature jeunesse contemporaine. Au Québec - et sans doute aussi dans le reste de la francophonie canadienne- on s'était raconté des histoires sur le bord du feu durant des siècles, pour se divertir oui, mais aussi pour s'instruire. Notre culture est donc liée à cette tradition orale, qui a engendré des créatures étranges, des monstres qui ne sont pas étrangers à ceux racontés par les premières nations, et une forme de magie que je n'avais jamais encore perçue dans les contes oraux. Vous trouverez d'ailleurs les sources citées à la fin du roman, ces contes-types qui ont inspiré le roman.


Sam est un personnage attachant et différent, bien plus qu'on l'aurait pensé au début. D'entrée de jeu, on le dépeint comme un être extraordinairement grand, très poilu et d'une nature douce. Cela dit, j'adore la contribution d'Enzo, l'illustrateur, qui a assurément capté mon attention quand à sa représentation de Sam. On le voit sur la couverture comme dans le roman: Sam est coiffé d'un chapeau de paille, de deux longues tresses très épaisses et d'une robe bleue à motif carreauté à col en dentelle. Ayoye. Ça fait drôlement du bien d'avoir enfin quelque chose d'aussi "frontière" en matière d'attributs genrés! Même si on emploi les pronoms masculins, "Sam" est décrit par son auteur comme un personnage non-binaire: "Fille ou garçon, est-ce vraiment important?" Ce n'est pas important pour les besoin d'une histoire, en effet, mais c'est important pour la culture d'avoir enfin des personnages qui ne rentre ni dans une case ni dans l'autre, précisément parce que dans la vie, il y a des gens qui n'y sont pas.
Sam est un personnage qui a peu de préjugés, il s'entiche de tout le monde, même des atypiques. En faut, il serait plus exacte de dire qu'il s'est entouré de personnages atypiques. Honnête, humble et curieux, il parcours la région avec ses amis de plus en plus nombreux.


Attention, à partir d'ici, il y aura des divulgâches.


Il n'y a donc pas de schéma narratif type ici. Sam est le protagoniste de plusieurs petites histoires qui présentent des similarités, comme la récurrence des monstres prédits par Basilisse et qui entraine des remarques drôles de la part de Sam: "Bon, encore une autre de tes créatures qui ont pas d'allure..C'est qui celle-là?", suivit du don d'un petit sac de couleur différente, dans lequel un gris-gris quelconque est censé le prémunir de la créature en question, ou encore le fait que TOUS les personnages connaissent le prénom de Sam, au point qu'après un énième "Vous connaissez mon nom?", l'un d'eux sort "Ben oui, reviens-en. On est dans un conte, là." ou le sorcier de répondre: "Heille chose! Je suis un sorcier! Y a rien à mon épreuve." Certes, il y a quand même une fin, après que Sam ait croisé toutes les créatures anticipées par Basilisse et découvert pleins de lieux magiques. Une fin ouverte, qui laisse entendre que notre héro est peut-être mort, peut-être vivant, mais dont on ses amis n'ont plus jamais entendu parler, mais qui invite à utiliser son imagination: "L'imagination, ç'a pas de limite."


Le monde en présence n'est pas le Québec tel qu'on le connait. C'est une terre peuplée de créatures fantastiques d'un folklore beaucoup moins connu que celui des européens et d'êtres dotés de pouvoirs. Comme dans les contes d'Europe, il y a présence d'énigmes et d'épreuves que doit résoudre et subir le héro. Comme dans les contes d'Europe, il y a aussi cet aspect répétitif dans la narration. Sam est un personnage principal sans quête, il parcours le monde et vit des expérience tout en faisant des rencontres. Il ne faut donc pas chercher la grande valeur défendue ou le morale final, ce n'est pas ce type d'histoire. Des valeurs défendues et des morales, il y en a tout-de-même, cela dit. Je pense à ce passage où Sam et ses camarades ont reçu des oeufs d'or sans rien en retours, mais qu'avec l'accumulation de richesses, ils sont devenus méfiants et centrés sur eux même. Leur cohésion s'est mutée en suspicion. Quand le pauvre oiseau n'en pu plus de donner des oeufs, Sam et ses amis discutèrent et décidèrent de lui rendre ses oeufs. C'était un beau geste, car l'oiseau qui donne ses oeufs n'a donc jamais de petits, par conséquent. On peut extrapoler en disant qu'ils ont prit conscience de leur soudain aveuglement pour la richesse, au détriment de leur amitié.


Je suis aussi étonnée d'une chose: Y a pas l'ombre d'une religion là-dedans! Pas d'Église omniprésente, de prêtre qui se mêlent pas de leur affaires, de sermon chrétiens contradictoires...Ici, ça flaire la Nature, la chaleur, le Fantastique un peu glauque et la sorcellerie sympathique. Vraiment, quelle joie! Parce que le Québec a longtemps été sous dictature religieuse, elle est donc courante dans la culture. D'où ma joie de ne pas la voir!


Le roman est ponctué d'illustrations douces, qui se marient bien avec le style narratif. Merci à Enzo pour ses personnages, ses créatures et ses lieux, ça donne encore plus de vie au récit.


J'ai donc eu beaucoup de plaisir à suivre cette belle brochette de personnages, surtout avec cette étonnante narration. C'est une histoire cocasse, qui frôle parfois l'absurdité, mais bon, on peut se permettre pleins de libertés dans les contes! Vous trouverez de quoi vous repérer avec ce français oral très typiquement québecois à la fin, avec le lexique et les sources des contes. Une belle découverte, qui met en lumière nos contes - pour une fois!


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans+ ( quoique la 4e année ( 9 ans) peuvent aussi s'y aventurer, je pense).


Catégorisation: Fiction inspirée de contes et légendes québecoises, littérature jeunesse intermédiaire, troisième cycle primaire, 10-12 ans
Note: 7/10