Sous-titré : Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou
Gérard Garouste est un peintre de renommée internationale qui n'a plus rien à prouver, que l'on aime ou pas son oeuvre, ce livre écrit à la première personne par
Judith Perrignon, ex journaliste à Libération est d'une justesse inouïe et disons-le, bouleversant de vérité. Il a voulu dans ce livre, raconter le fardeau qui a gâché sa vie en partie et qui n'est pas encore totalement réglé : la folie, ou comme il le dit, selon les époques, il a été “maniaco-dépressif ou bipolaire”. Mais aussi les secrets de famille entretenus par un père collabo pendant la guerre qui a aidé à spolier les juifs de leurs biens, violent en mots, “psychopathe” face à une mère effacée et geignarde qui n'a rien arrangé… “Mon père n'a pas pu être un héros, il a été un salaud”.
Cette autobiographie s'ouvre sur la mort de son père qu'il vient “constater”, comme un médecin-légiste, sans émotions superflues. Et la ronde des souvenirs commence… Comment à onze ans, il a souhaité aller en pension sur les conseils avisés d'un neurologue qui a compris tout de suite son mal-être à vivre avec ses parents. Il est envoyé dans une prison de luxe, Montcel où il côtoie
Jean-Michel Ribes,
Modiano,
François Rachline, etc…
Déjà il se sent différent : là où les autres piaffent d'être enfermés, lui ressent un sentiment de liberté, libéré du joug paternel, anti-sémite, raciste, “beauf” malgré l'argent, et cruel.
A dix-huit ans, il entre aux
Beaux-Arts, fataliste, persuadé qu'après Picasso (et qu'il ait lu Duchamp), la peinture est foutue, il faut tout réinventer ou rester modestement, comme il se définit, “le classique et l'indien“. Il commence à travailler en faisant les décors du
Palace dans les années 1970-80, ce qui n'était pas vraiment du goût de l'intelligentsia germanopratine. Qu'à cela ne tienne, c'est carrément le grand
Léo Castelli, galiériste new-yorkais qui lui mettra le pied à l'étrier. Sa carrière est lancée et malgré la folie, il ne s'arrêtera pas de peindre. Disons que ça ne se verra pas. Mais bon, après lecture du livre, je comprends mieux ces tableaux torturés et sinistres. A mon goût.
Quand il parle de sa folie, la première crise étant survenue à 28 ans, il en a 63 quand il raconte ses souvenirs, il a eu le temps de l'analyser, de savoir les ravages qu'elle a fait dans sa vie, ce qu'elle lui a également donné (cette sensibilité extra-terrestre pour moi). Et comment sa femme, Elisabeth le soutient depuis l'âge de dix-sept ans… Elisabeth est née Rochline, famille juive émigrée de Pologne. Sans qu'elle ne le lui demande, il se met à étudier le Talmud, apprend l'hébreu. Il vient de trouver un sens, peut-être pas à sa vie, mais à ce qu'il est, comment les mensonges judéo-chrétiens l'ont amené à cette réflexion. Et la peinture est le prolongement intime de Garouste, ce à quoi il croit et surtout ce à quoi il ne croit plus. ” (…) je sens refluer deux mille ans de mensonges, de catéchisme, de certitudes qui ont fait du monde un champ de bataille, , de mon père ce qu'il était et de moi un intranquille.” Ses convictions le ramènent également à d'autres secrets de famille peu glorieux, au parfum de haine qui semble toujours avoir flotté sur la marmite de sa famille paternelle et à sa propre impuissance face à ses deux fils :” Je sais que mes fils n'ont vu de moi qu'un père qui se cherchait. Je ne leur ai transmis que des questions”.
Ses épisodes de folie, il les vit comme une fuite, un moment où il doit se déconnecter pour survivre. Mais aussi une souffrance énorme. Il ne lui faut pas de passion, d'émotions fortes au sens propre des mots. Or, il ne peut pas se contenter de ces pilules qui “mettent une tache blanche sur ses couleurs”. Il s'analyse, essaie de comprendre et en arrive à cette conclusion : “Je me crois enfin débarrassé d'une vieille peau, d'une croûte qu'on gratte enfant jusqu'au sang. Ma tête s'est ouverte, elle s'est vidée d'un noir mirage, par la peinture et ici avec les mots. J'ai entretenu sur ma toile un monde terrible et ancien, j'ai envie de passer à autre chose, d'aller vers une peinture plus gaie, j'aimerais désormais toucher les enfants de mes amis.” Il a peint plus de six cents tableaux,tous signés mais non datées et qui contiennent, sous les couches de peinture, des codes destinés à former une immense phrase. Que ceux qui ont un Garouste chez eux commencent à gratter ! A noter que ce “fou” magnifique s'occupe d'une association “La Source” (qu'il a créée) il y a vingt ans (vingt-deux depuis la sortie du livre) pour venir en aide aux enfants, orphelins, enfants placés… “Je devais faire quelque chose, le mot devoir est énorme, mais je n'en connais pas de plus juste. C'est quand on sait nager qu'on peut sauver l'autre de la noyade (…)”.
L'écriture de
Judith Perrignon est parfaite, elle a su se mettre au plus près de la sensibilité de cet homme exceptionnel. Ce fut un coup de coeur.
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