En cette deuxième moitié du XIXème siècle, les grand hôtels particuliers des nobles de province n'abritent plus leurs prestigieux hôtes. Ils ont été acquis par des promoteurs pour en faire des demeures plus modestes abritant des gens de métiers ou des commerçants. Les gentlemen farmer cèdent la place à la bourgeoisie industrieuse et triomphante : la révolution industrielle est passée par là.
Ruth Hilton est apprentie couturière chez la revêche mrs Mason. Orpheline, sous la tutelle d'un brasseur peu concerné par sa pupille, elle a toujours recherché la sympathie des autres; innocente et pure comme la neige, elle est d'une confiance et d'une simplicité désarmante. Durant un bal à la maison ducale, alors qu'elle répare la robe d'une altière demoiselle, elle rencontre son destin en la personne de Mr Bellingham, un jeune homme inconséquent, puérile, gâté et pleutre, qui ne tarde pas à la perdre de réputation. Elle est chassé de son emploi et est en quelque sorte, sous influence, enlevée par le bellâtre, qui l'amène en Galles du Nord où très vite il tombe malade. Elle le veille dans un total abandon de soi, toute à l'urgence de sa tâche. Mais elle a déjà goûté le fruit amer de l'expérience, elle a compris que partout où elle regardait elle rencontrait un regard qui la jugeait et la condamnait, quand ce n'était pas ses oreilles qui était blessées par de francs propos de mépris. Rétabli et soumis, devant la présence inexorable de sa mère tyrannique, Belligham sacrifie, de guerre lasse et lâchement, sa passion, à son confort personnel, à ses petits intérêts, et abandonne la
Ruth esseulée à son triste sort. Délaissée, désespérée, alors que tout lui semble contraire, Mr Benson, un homme contrefait, pasteur dissident, la prend en sympathie, poussé par un profond sentiment de pitié chrétienne, et prend soin d'elle avec sa soeur Faith, la bien nommée, assistée de Sally, la rude femme de charge, peu amène mais bonne comme du bon pain. Puis elle devient gouvernante des filles de M. Bradshaw, notable de la congrégation dissidente, homme droit et monolithique, assez peu subtile en fait de bons sentiments et de préceptes sévères. Mais il est dit que
Ruth n'a pas fini de payer sa faute juvénile et qu'elle devra boire la coupe amère du péché jusqu'à la lie.
Ruth est un roman à n'en pas douter chrétien, tant par l'intrigue que par le propos de son auteure, et par le recours régulier à certains passages de la Bible, dans la droite ligne des romans anglais de son temps.
Elisabeth Gaskell s'attache à démontrer qu'une femme souillée n'est pas nécessairement une femme perdue et qu'à quelque chose malheur est bon, pour qui se repent et tâche de racheter ses erreurs. le roman est sobre, sans fioriture ni sensiblerie, tout en s'élevant parfois vers la poésie d'un paysage évocateur et symbolique. Comment ne pas être touché, ému même, par le destin de cette femme - dont le nom est celui d'un personnage de l'ancien testament dont la vie fut toute de pauvreté et d'humilité, rejetée et condamnée par des conventions sévères et inexorables et qui, à force de modestie, de dévouement, d'oubli de soi et de repentance, a su gagner la reconnaissance et l'estime de tous? Un grand roman.