Portrait de
Balzac a été publié en 1858, après une vingtaine d'années de fréquentation entre les deux hommes. C'est un portrait chaleureux et vivant de l'homme et du créateur exceptionnel qui fut
Balzac, un véritable forçat de travail. C'est aussi un portrait plein de douceur et d'admiration, tellement loin du portrait qu'en a fait
Arthur de Gobineau, un autre contemporain
De Balzac où l'on sent un mépris mâtiné de jalousie.
De l'enfance
De Balzac on saura sa scolarité médiocre tout en découvrant son immense avidité pour la lecture et le savoir en général, a tel point qu'il a été touché par une sorte de « surchauffe cérébrale » qui nécessitera le repos dans le giron familial. A cette époque
Balzac était considéré comme plutôt stupide car paraissant hébété. En fait, il était surdoué car capable de lire 7 ou 8 lignes d'un coup en appréciant le sens et en ayant une mémoire prodigieuse pour les lieux, les noms, les mots, les choses, les figures.
Ce don, qu'il va conserver et approfondir, explique la teneur de son oeuvre. Il saura donner la vie à une terre, à une maison, à un héritage, à un capital, à des héros et héroïnes dont les aventures se dévorent avec avidité. Mais il a introduit dans le roman des éléments nouveaux, et ceci ne plut pas à tout le monde : ses analyses psychologiques, la peinture détaillée des caractères, les descriptions d'une minutie maniaque, étaient regardées comme des longueurs fâcheuses, et le plus souvent on les sautait pour revenir à la fable. Bien plus tard on reconnut que le but de l'auteur n'était pas de tisser des intrigues plus ou moins bien ourdies, mais de peindre la société dans son ensemble du sommet à la base, avec son personnel et son mobilier, et l'on admira enfin l'immense variété de ses types (plus de 2000 personnages parfaitement campés dans
la Comédie humaine !). Dès 1836 (année de la rencontre avec Gautier),
Balzac avait déjà un plan pour sa Comédie et avait conscience de son génie.
Balzac était un bourreau de travail et menait une vie quasi monacale dans des logements pas toujours confortables mais qu'il décorait avec un goût certain pour le luxe ostentatoire. Il ne soignait pas du tout son aspect extérieur sauf pour parader dans les salons pendant sa période dandy. En général, il aimait travailler affublé d'un froc de franciscain avec une cordelette à la ceinture. Il se couchait vers 18 heures pour se lever vers minuit et écrire toute la nuit éclairé par un flambeau à 7 bougies en abusant du café. L'activité cérébrale était telle, qu'il dégageait de la vapeur au dessus de la tête et de son corps émanait un brouillard visible. Il raturait sans cesse ses feuilles. Parfois il passait la nuit à travailler une seule phrase qui était prise, reprise, tordue, pétrie, martelée, allongée, raccourcie, écrite de cent façons différentes et la forme parfaite ne se présentait qu'après l'épuisement des formes approximatives (bon exemple d'hypomanie) le matin le retrouvait brisé mais vainqueur.
Le matin il fallait courir à l'imprimerie porter les feuilles de la nuit, et c'était un tel grimoire d'apparence cabalistique que les typographes se le passaient de main en main, ne voulant pas faire chacun plus d'une heure
De Balzac !
Malgré cette façon laborieuse de travailler,
Balzac produisait énormément grâce à une volonté surhumaine servie par un tempérament d'athlète et une réclusion de moine. Pendant 2 à 3 mois de suite, lorsqu'il avait une oeuvre en train, il travaillait 16 à 18 heures par jour ne s'accordant que 6 heures d'un sommeil qui était lourd, fiévreux, convulsif.
Mais il ressortait toujours de ses cendres, tel le Sphynx, en arborant un chef-d'oeuvre au dessus de sa tête, riant de son rire tonitruant, s'applaudissant avec naïveté et s'accordant des éloges sans se soucier le moins du monde des articles et des réclames à l'endroit de ses livres. Jamais il ne courtisa les journalistes. Il livrait sa copie, touchait l'argent et s'enfuyait pour le distribuer aux créanciers.
Toute sa vie
Balzac eut des idées fantasques et romanesques. Jamais réalistes. Son imagination enfiévrée lui faisait toucher la fortune avant même la réalisation du projet. Déçu d'une chimère,
Balzac inventait illico une autre et repartait pour un voyage avec une naïveté d'enfant qui s'alliait à la sagacité la plus profonde et à l'esprit le plus retors.
Théophile Gautier insiste pour dire que personne en son temps ne comprit la modernité absolue du génie
De Balzac car jusqu'à lui, personne n'a été moins classique, mais il a vu ses contemporains et les a peints avec ses mots en saisissant l'aspect, en comprenant les courants et y démêlant les individualités, dessinant les physionomies de tant d'êtres divers, montrant les motifs de leurs actions. A Honoré de
Balzac, plaisait plus le caractère que le style et il préférait la physionomie à la beauté : dans ses portraits de femme, il ne manque jamais de mettre un signe, un pli, une ride, une plaque rose, un coin attendri et fatigué, une veine trop apparente, quelque détail indiquant les meurtrissures de la vie, trait qu'un poète eût à coup sûr supprimé.
Magnifique récit de la vie d'un homme qui a tout donné à la construction d'une oeuvre monumentale, une véritable cathédrale comportant des personnages si vivants qu'ils font partie de l'imaginaire de nous tous.
Théophile Gautier nous livre un portrait physique très vivant du
Balzac qu'il rencontra en 1835; et ce qui le frappa avant tout, ce furent les yeux et le regard
De Balzac.
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