L'auteur s'inspire dans ce livre de son expérience, de son vécu à Paris, où suite à divers métiers il a été taxi, l'un des fameux « taxi russe ». C'est d'ailleurs très troublant, car d'autres éléments biographiques se retrouvent dans le récit du narrateur, et il devient impossible de faire la part du souvenir, du vécu et de l'imagination, de la création littéraire. Nous sommes toujours sur un fil, entre réel et imaginaire, et nous ne pouvons savoir à quel moment on passe de l'autre côté de la frontière. Ce qui ajoute au charme du livre.
Donc le narrateur, est chauffeur de taxi. de nuit, ce qui change les choses. La nuit, l'envers du décor, la nuit pendant laquelle se montrent ceux qu'on ne voit pas le jour, et où la physionomie de la ville devient toute différente, inquiétante et déprimée. Et son métier le met au contact de plein de gens différents, de toutes les classes sociales. Mais il préfère nettement ceux de la marge, les prostituées, les vagabonds, les alcooliques philosophes, et ses compatriotes, qui vivent tant bien que mal leur exil, en s'accrochant aux chimères les plus folles. Il observe cela d'un oeil qui se veut distant, qui tente de se protéger, en se mettant hors d'une vie ordinaire, en spectateur nocturne des vies des autres. de bien pauvres vies souvent, dans lesquelles même les moments les plus heureux ne sont qu'un prologue au malheur. Nous suivons quelques uns de ces personnages, Raldi, l'ancienne courtisane,
Platon, le pilier de bistrot philosophe, Fédortchenko qui se laisse envelopper dans la folie d'un autre, Suzanne l'ancienne prostituée….D'autres ne font que passer sur quelques lignes ou quelques pages. Mais chacun a droit à des mots essentiels, même si la narrateur semble ne pas s'apitoyer sur leur sort, il leur consacre des mots qui les fixent, et leur donnent une dignité.
C'est un livre sans doute moins complexe et élaboré du point de vue narratif que
le retour du Bouddha. Il s'agit en apparence de dérouler des bouts d'histoires au fur et à mesure, au fil des nuits et parfois des jours. Il s'en dégage une grande mélancolie et un grand désenchantement, mais en même temps une grande poésie, celle des coins obscurs, et des personnages sans rédemption possible, le côte sombre d'une ville. Une très belle lecture.