N'étant pas forcément une accro du ménage, «
Les bonnes » de
Jean Genet prenaient la poussière dans ma pal depuis mes années d'étudiantes de lettres. Loin, très loin de proposer un ouvrage sur le thème ménager ou même domestique,
Jean Genet nous donne à lire ici une pièce assez dérangeante, où les deux bonnes du titre déversent leur haine contre leur maîtresse, ou bien contre elles-mêmes, on ne le sait trop bien tant leurs propos glissent dans la folie et la pièce dans l'irréalité. Classique conflit ancillaire me direz-vous alors, sauf que
Jean Genet évacue cette vision de sa pièce dans l'introduction à celle-ci en indiquant qu'il « ne s'agit pas d'un plaidoyer sur le sort des domestiques ». de quoi s'agit-il ici alors ?
J'y ai vu — en experte du théâtre que je ne suis pas ! — un curieux jeux de rôle où on ne sait à force qui déteste qui. Claire et Solange, les deux bonnes de Madame, profitent de chaque absence de celle-ci pour se travestir en elle et intervertir leurs rôles : un soir sur deux, Claire devient Madame, et Solange devient Claire (mais pour autant Solange n'est pas oubliée dans le déferlement de haine qui suivra, puisqu'elle en prend pour son grade aussi) ; dans ce jeu de rôle assez tordu (chacun s'amuse comme il le peut…), la fausse Madame devient d'une condescendance et d'une méchanceté intenses envers sa domestique, l'acmé étant atteint quand cette dernière est poussée à la rébellion haineuse et meurtrière. Toutefois, le réveil programmé par Claire et Solange pour leur laisser le temps de ranger le désordre avant que la vraie Madame ne rentre, sonne toujours avant que le meurtre symbolique ait lieu. Est-ce une précaution ou un manque de temps ?
Cette question mérite d'être posée car les deux soeurs ne sont pas tendres l'une envers l'autre, se témoignant du rejet que chacune inspire à l'autre (« Je voudrais te consoler, mais je sais que je te dégoûte. Je te répugne. Et je le sais puisque tu me dégoûtes. S'aimer dans le dégoût, ce n'est pas s'aimer. »), et de la violence meurtrière qui, par le prisme de Madame, risque de s'appliquer de l'une à l'autre, Claire prenant peur à un moment : « Ne nie pas. Je t'ai vue. Et j'ai eu peur. Peur, Solange. Quand nous accomplissons la cérémonie, je protège mon cou. C'est moi que tu vises à travers Madame, c'est moi qui suis en danger. »
Pourquoi cette haine envers Madame ? Ce n'est pas si clair, puisque Solange parle de l'aigre et du doux de Madame qui les étouffe et les fait doucement pourrir. Une jalousie de ce qu'elles n'ont pas, d'une tentation du mal et d'un fantasme sur
le bagne, qui revient régulièrement dans leurs propos de manière concrète, puisqu'elles ont envoyé Monsieur en prison, en dénonçant ses escroqueries par lettre anonyme ?
Difficile à dire, tant la pièce, qui repose en majeure partie sur les fantasmes des deux bonnes, mêle si bien l'onirique à la réalité que celui-ci prend le dessus. le rêve de meurtre sera-t-il concrétisé ? Je vous laisse le découvrir dans cette pièce en un acte, à ce titre assez courte, dont le caractère vénéneux donne un parfum assez enivrant malgré son côté déplaisant.