"La Grande Guerre", "La der des Der", "la dernière guerre romantique", les qualificatifs ne manquent pas pour qualifie ce qui fut un fait majeur du XXème siècle et une boucherie sans nom, la 1ère guerre mondiale. Dès 1914, des écrivains combattants racontent par le menu leurs quotidiens atroces, leurs vies suspendues dans la boue, la peur et la mort, leurs trois compagnes omniprésentes. La littérature s'empare du sujet, dans un triple souci : information, bien sûr, mais aussi propagande pour la défense du pays, et tout le contraire, manifeste pour le pacifisme et dénonciation de la guerre. On le voit, l'éventail est large. Romans, autobiographies romancées, mémoires de guerre, poèmes, pamphlets, études historiques, tous les supports littéraires sont mis à contribution. Aujourd'hui encore on écrit sur la guerre de 14.
Les mémoires de guerre, sans le filtre du roman, livrent le témoignage cru et sans détour de l'expérience subie par l'auteur. Parfois il s'agit d'écrivains de métier (ou qui vont le devenir, comme Genevoix,
Dorgelès ou Duhamel), souvent ce sont des inconnus qui veulent juste, pour la postérité, raconter ce qu'ils ont vécu (Voir Paroles de poilus, chez Librio). L'honnêteté et l'authenticité de ces mémorialistes est rarement mise en cause. La sublimation du sacrifice sera un argument des ligues d'extrême-droite dans l'entre-deux-guerres, mais pour l'instant, c'est surtout du domaine du constat, voire de la dénonciation.
Maurice Genevoix, en 1914, n'a pratiquement rien écrit. Il décide de coucher par écrit le compte rendu de ses années de guerre (1914-1915), au jour le jour, comme
un journal. Blessé grièvement en 1915, il prend la décision d'apporter son témoignage de soldat et d'homme.
Sous Verdun, paraît en avril 1916, Nuits de guerre, en décembre 1916, Au seuil des guitounes, en septembre 1918, La Boue, en février 1921, et Les Éparges, en septembre 1921. En 1949,
Maurice Genevoix décide de réunir les cinq livres en un seul, qu'il intitule
Ceux de 14.
Le succès de l'ouvrage s'explique aisément : c'est d'une part un document inestimable sur la vie des soldats en temps de guerre, tant du point de vue matériel, technique dirait-on, que psychologique (quand on sait les séquelles qu'une guerre peut engendrer, on se doute que ce n'est pas rien). D'autre part c'est le témoignage d'un intellectuel, ni belliciste, ni pacifiste, simplement "homme de bonne volonté" : "J'allais, de jour en jour, de page en page, dans une entière soumission à la réalité vécue, avec la volonté constante d'être véridique et fidèle." C'est à cette honnêteté intellectuelle, ce souci d'authenticité, alliés à un style d'une remarquable fluidité, sans flagornerie ni familiarité excessive, que l'oeuvre doit sa pérennité.
Il y a quelques années, je faisais des recherches généalogiques sur mes grands-parents, ceux de mon épouse et quelques autres personnes de la famille. Je consultais les archives militaires sur le très riche site Mémoires des hommes, et je constatai avec émotion que les lieux de combat, ou de casernement qu'avaient connus mes anciens, étaient les mêmes que ceux des auteurs précités. La petite histoire rejoignait la Grande Histoire. Mieux, c'était comme s'ils se donnaient mutuellement un gage d'authenticité. Eh non, pépé, eh non, tonton, vous ne radotiez pas quand vous évoquiez ces marmites qui tombaient du ciel ! Eh oui, monsieur Genevoix, vous racontez bien la vérité, la preuve, mes anciens y étaient !
Ceux de 14 est un livre rare. Indispensable pour qui cherche à comprendre cette époque terrible.
Maurice Genevoix est déjà, avant même d'avoir composé le reste de son oeuvre, un grand écrivain et un grand homme.