Carpant

"Carpant" est le second tome des sept que comptent la série de la famille "Bauduin", écrite par Oscar-Paul Gilbert entre 1939 et 1948.
On y entre dans la famille un peu par effraction, par l'intermédiaire du gendre, de l'époux de Madeleine, la richissime fille de famille de Villers-Sainte-Marie.
Joseph Carpant est né à l'Assistance publique.
Remarqué par le grand-patron Jean-Baptiste Bauduin, il a été envoyé gagner ses brevets d'ingénieur d'école en école.
Puis, après avoir marié l'héritière, il se vit offrir une situation au Tonkin, ingénieur-en-chef, directeur à la concession de la Société des Charbonnages de Lien-Tchéou.
Toute l'action de ce livre se déroule donc dans cette immense mine de charbon de la province du Kouang-Toung en Chine-du-Sud.
Madeleine y est venue rejoindre son mari au bout de quinze ans ...
Ce roman peut se lire indépendamment de tous les autres de la série.
Mais il est une sorte de parenthèse.
C'est un roman puissant, touffu et dense, bien écrit et finement mené.
C'est un roman d'atmosphère où les personnages ont tous un rôle à jouer.
C'est un récit où d'abord Oscar-Paul Gilbert dénonce l'exploitation des hommes de la mine, rendue ici plus inhumaine, plus amorale encore par la discrimination et l'indifférence de la colonisation.
Dans ce bagne hideux, chaque famille doit travailler, doit extraire quotidiennement sa tonne de charbon pour gagner 12 francs 50.
Qu'importe la fatigue, la maladie et même la mort.
Qu'importe l'âge pourvu que l'on mesure au moins un mètre !
"la colonisation, c'est d'abord la matraque" fait-il dire à Dominici, un de ses personnages, un ancien adjudant corse de tirailleurs annamites
"Carpant" est un drame qui se joue autour d'un terrible typhon qui approche et autour des passions humaines de cette petite communauté d'européens.
La mine est en danger, ses galeries risquent de s'ébouler.
La grève et la révolte grondent.
Les actionnaires pourtant refusent toute perte de temps, n'ont l'intention de tolérer aucune baisse de rendements.
Les terribles gardes sikhs vont-ils ouvrir le feu sur les coolies qui veulent fuir les boyaux inondés ?
Carpant, le directeur de la mine, est-il un monstre à ce point si dur pour donner cet ordre ?
Oscar-Paul Gilbert fait de chacun de ses personnages un pion saisi de ses désirs et de ses passions.
Il fustige surtout l'hypocrisie de la grande bourgeoisie, sa sécheresse de coeur et son indifférence.
Mais dans son récit, Oscar-Paul Gilbert n'épargne aucun de ses personnages.
Aucun d'eux n'est véritablement un monstre mais aucun n'est pourtant véritablement innocent.
Chacun doit porter la part de faiblesse de son humanité.
L'amour est ici étouffant et empreint des affres de la passion.
Oscar-Paul Gilbert signe, avec "Carpant", un roman magnifique et entame la passionnante saga d'une riche famille du Nord.
Sept ouvrages essentiellement parus aux éditions "Plon" : "Bauduin-des-Mines" (1939), "Carpant" (1941), "Madeleine Bauduin" (1943), "la citadelle Bauduin" (1946), "la Fille de Bauduin-des-mines" (1947) et "la fin des Bauduin" en deux tomes "la mort est pour rien" (1947) et "la victoire sans ailes" (1948).
En juillet 1977, Christian Barbier, "l'homme de Picardie", et Anouk Ferjac incarnèrent sur la deuxième chaîne dans un feuilleton télévisé en trois épisodes d'une heure les deux personnages de Jean-Baptiste Bauduin et de Madeleine, sa fille.
Si les dialogues y ont été écrits par Andre-Fernez, la réalisation et le scénario réalisée par Michel Jakar, Oscar-Paul Gilbert apparaît bien dans l'annonce faite à l'époque sur télé7 jours au générique comme le véritable concepteur de cette série télé.
Il faut dire là qu'Oscar-Paul Gilbert fut aussi, en plus d'être journaliste et écrivain, un homme de cinéma et de télé puisqu'il réalisa, en 1941, l'adaptation sur le grand écran de "courrier d'Asie", et qu'il signa les scénarios, et souvent cosigna les dialogues de "Mollenard", "les pirates du rail", "le drame de Shangaï", de "nord-Atlantique" et de quelques autres films inspirés plus ou moins librement de ses livres.
Car la littérature d'Oscar-Paul Gilbert inspira le petit et grand écran.
Dommage qu'elle n'aille pas jusqu'à inspirer aujourd'hui une judicieuse et passionnante réédition, les livres d'Oscar-Paul Gilbert se faisant rares et souvent un peu chers à l'achat d'occasion ...