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12 livres ont valu au XVIe siècle, que Menocchio, meunier d'un petit village du Frioul, fut conduit au bûcher en raison de ses conceptions métaphysiques, jugées quelque peu hérétiques par les tribunaux de l'Inquisition.

7 livres mentionnés au cours du premier procès :

1) La Bible en langue vulgaire, « la plus grande partie en lettres rouges » : édition non identifiée ;
2) Il fioretto della Bibbia  : c'est la traduction d'une chronique médiévale catalane qui mélangeait différentes sources, parmi lesquelles, outre naturellement la Vulgate, le Chronicon d'Isidore, l'Elucidarium d'Honorius d'Autun, et un nombre considérable d'Évangiles apocryphes. Cette oeuvre connut une large diffusion manuscrite entre le XIVe et le XVe siècle, et nous en connaissons une vingtaine d'éditions sous des titres divers : Fioretto della Bibbia, Fiore di tutta la Bibbia, Fiore Novello – les dernières de la première moitié du XVIe siècle ;
3) Il Lucidario (ou Rosario ?) della Madonna : on peut l'identifier avec vraisemblance comme étant le Rosario della Gloriosa Vergine Maria du dominicain Alberto da Castello, lui aussi réimprimé à plusieurs reprises au cours du XVIe siècle ;
4) Il Lucendario (sic, pour Legendario) de Santi : c'est la traduction, très répandue, de la Légende dorée de Jacques de Voragine, publiée par Niccolò Malermi, sous le titre : Legendario delle vite de tutti li santi ;
5) Historia del Giudicio6  : petit poème anonyme en huitains du XVe siècle, qui circulait sous plusieurs versions, plus ou moins développées ;
6) Il cavallier Zuanne de Mandavilla  : c'est la traduction italienne, plusieurs fois réimprimée jusqu'à la fin du XVIe siècle, du fameux livre de voyages rédigé vers le milieu du XIVe siècle et attribué à un fantomatique sir John Mandeville ;
7) « Un livre qui s'intitulait Zampollo » : en réalité Il Sogno dil Caravia, imprimé à Venise en 1541.

A ces titres, il faut ajouter les 5 qui ont été mentionnés au cours du second procès :

8) Il supplimento delle cronache : il s'agit de la traduction en langue vulgaire de la chronique rédigée, à la fin du XVe siècle, par un Augustin de Bergame, Jacopo Filippo Foresti, plusieurs fois réimprimée et mise à jour jusqu'à la fin du XVIe siècle, sous le titre de Supplementum supplementi delle croniche… ;
9) Lunario10mal modo di Italia calculato composto nella città di Pesaro dal eccmo dottore Marino Camilo de Leonardis : on connaît également de nombreuses réimpressions de ce Lunario ;
10) Le Décameron de Boccace, dans une édition non expurgée ;
11) Un livre dont nous ne savons pas grand-chose, mais qu'un témoin supposa, nous l'avons vu, être le Coran, dont une traduction italienne avait été publiée à Venise en 1547.

A l'aide de ce qu'il appelle sa « méthode indiciaire », l'historien italien Carlo Ginzburg étudie avec minutie les dossiers des procès tenus contre Menocchio, qui nous livrent « un riche tableau de ses pensées, de ses sentiments, de ses rêveries et de ses aspirations ». L'ouvrage constitue en fait une passionnante enquête où l'auteur montre comment le meunier se construit une vision personnelle du monde qui scandalise les autorités ecclésiastiques : « Tout était chaos, c'est-à-dire terre, air, eau et feu ensemble ; et que ce volume fit une masse, comme se fait le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges... »
A travers le discours produit par Menocchio devant ses juges, on découvre comment la lecture d'ouvrages qui circulent à l'époque est interprétée par le protagoniste - qui sait lire et écrire - à partir d'un ensemble de croyances paysannes. Pour Ginzburg, les sources traditionnelles de l'histoire ont l'inconvénient de n'évoquer que la « culture des vainqueurs », celle des personnages dominants et lettrés.

Les procès de l'Inquisition, ces « archives de la répression » selon sa propre expression, peuvent constituer un moyen d'accéder à la culture populaire, encore fortement imprégnée, à la fin du Moyen Age, de rites et de mythes païens. Mais le Fromage et les Vers est devenu aussi l'ouvrage emblématique d'un courant historiographique qui s'est développé en Italie et dans les travaux anglo-saxons depuis les années 60 : la micro-histoire, qui part de l'analyse des individus et de leurs stratégies pour faire émerger les pratiques sociales et culturelles.


il ne s'agit pas seulement d'une réaction filtrée à travers la page écrite, mais d'un reste irréductible de culture orale.
Pour que cette culture différente puisse voir le jour, il avait fallu la Réforme et la diffusion de l'imprimerie. Grâce à la première, un simple meunier avait pu penser à prendre la parole et à dire ses propres opinions sur l'Église et sur le monde.
Grâce à la seconde, il avait eu des mots à sa disposition pour exprimer la vision obscure, inarticulée, du monde qui bouillonnait en lui. Dans les phrases ou les lambeaux de phrases arrachés aux livres, il trouva les instruments pour formuler et défendre ses idées pendant des années, d'abord devant les habitants de son village, ensuite contre des juges armés de doctrine et de pouvoir.
C'est ainsi qu'il a vécu à la première personne le saut historique de portée incalculable qui sépare le langage ponctué de gestes, de grognements et de cris de la culture orale de celui, privé d'intonation et cristallisé sur la page, de la culture écrite. L'un est presque un prolongement du corps, l'autre est une « chose mentale ». La victoire de la culture écrite sur la culture orale a été, avant tout, une victoire de l'abstraction sur l'empirisme
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Une critique ? Sûrement pas. Un avis, à la rigueur.

J'ai entendu parler de ce livre au siècle dernier, au cours de mes études, alors qu'on travaillait sur l'historiographie. Je savais qu'au mot microhistoire, il fallait répondre Ginzburg.

Je me suis enfin décidée à pallier cette lacune et j'en suis ravie. La préface de Patrick Boucheron est brillante (comme toujours ai-je envie de dire à propos de cet historien) et remet bien cet ouvrage en perspective des querelles historiographiques qu'il a provoquées. J'avoue que lire l'avant-propos de la première édition de 1976 de Ginzburg où il agresse allègrement les historiens français m'a fait sourire. J'ai toujours trouvé agaçante et même gamine cette façon de faire des universitaires qui, pour montrer qu'ils ont raison, tirent à boulets rouges sur les travaux des autres... J'ai l'impression que ces caricatures d'eux-mêmes leur permettent de faire entendre leurs voix respectives. Je ne pense pas qu'un François Furet ait tort ou raison contre un Carlo Ginzburg. Ce serait ridicule.

Dans ce récit, Ginzburg nous raconte Menocchio, ce meunier qui a interprété à sa façon les Evangiles, au fil de ses lectures, de ce qu'il en a compris et de sa propre grille de lecture, pragmatique, paysanne. Ses propos l'ont donc conduit à subir deux procès pour hérésie par l'Inquisition – je vous laisse deviner l'issue du second.

Il est intéressant de voir à quel point l 'imprimerie et les idées de la Réforme ont pu toucher les classes dites populaires , « subalternes » comme le dit Ginzburg avec Gramsci et à quel point ces idées ont connu des réappropriations bien différentes de ce qu'on en connaît dans la culture dite savante. Ginzburg s'approprie à son tour les dires de Menocchio et les travaille, couche après couche, pour les interroger, les expliquer à nouveau. Il montre aussi l'impossibilité pour les inquisiteurs et Menocchio de se comprendre : ils n'utilisent pas les mêmes références, le même vocabulaire, les mêmes codes.

Cela ne se lit pas comme un roman mais la lecture de ce classique est assez facile avec une soixantaine de chapitres extrêmement courts.
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L'enquête historique - car il s'agit d'une véritable enquête - que mène Carlo Ginzburg sur ce meunier frioulan qu'est Domenico Scandella, dit Menocchio, est remarquable de précision et d'érudition, proposant des pistes de réflexion insoupçonnées. Ce meunier fut condamné au bûcher par l'Inquisition pour des conceptions métaphysiques jugées hérétiques, positions qu'il assuma et réitéra. Menocchio, qui savait lire et écrire, connaissait la Bible, le Décaméron et d'autres oeuvres encore à partir desquelles il bâtit sa propre conception du monde, laquelle est mâtinée d'une culture populaire que l'on sent très présente et qui est influencée par les rites païens.
Le titre reprend une allégorie que Menocchio exposa devant ses juges afin d'expliquer l'apparition de Dieu dans le chaos : ainsi apparaissent, seuls, les vers dans le fromage. le livre pose aussi la question du lien entre la culture des élites et la culture populaire.
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Domenico Scandella dit Menocchio, meunier du XVIème siècle, mourut brûlé sur l'ordre du Saint-Office pour sa pensée jugée hérétique. C'est sa vision du monde que cherche à restituer l'historien italien Carlo Ginzburg.


" J'ai dit que tout était un chaos, terre, eau, feu ensemble, et ce volume fit une masse, comme le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges... "

C'est en ces termes que le meunier Menocchio d'adresse à des juges de l'inquisition stupéfaits. Modeste, bien qu'alphabétisé, habitant du Frioul (Italie) au XVIème siècle, ce dernier est amené à s'expliquer sur les étranges théories religieuses qu'il colporte dans la région. En effet Menocchio illustre une réappropriation des dogmes chrétiens par les populations, à travers le prisme d'un ensemble de croyances populaires, de traditions locales païennes et de déductions individuelles. C'est toute une théogonie (mythe de la création du monde) que le meunier a réinventé à l'aune de ses propres lectures et de se son environnement social.

"Nous sommes des dieux, et tout est Dieu : le ciel, la terre, l'air, la mer, les abîmes et l'enfer..."

Carlo Ginzburg, délivre ici un des livres fondateurs de la micro-histoire, ce mouvement qui prend pour sujet d'étude un individu "banal" souvent issu des couches populaires ou des petits notables locaux. Tourné vers l'histoire culturelle et des mentalités, ce focus permet de faire rejaillir tout un pan de la culture, des modes de vie et des représentations, souvent absent des sources institutionnelles.
Passionnant par l'étrangeté des conceptions qu'il révèle, accessible par le découpage de ses 230 pages en 62 courts chapitres, "Le fromage et les vers" procure un réel plaisir de découverte.
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Dans l'avant-propos de son essai, l'historien Carlo Ginzburg exprime son intérêt pour les relations entre les normes et les anomalies. le fromage et les vers, qui s'intéresse à un hérétique condamné à mort par le tribunal de l'Inquisition, s'inscrit dans ce rapport d'opposition. Ainsi surgit la réflexion centrale du livre, qui s'avère intimement liée au décor : comment Domenico Scandella dit Menocchio, un meunier d'un minuscule bourg d'Italie, a pu se forger une cosmologie propre ayant attiré l'attention des autorités catholiques au XVIe siècle ? Afin de comprendre les mécanismes derrière la synthèse des croyances de Menocchio, Ginzburg s'appuie sur les archives judiciaires et autres monographies pour reconstituer l'existence du meunier à Montereale, dans les collines du Frioul, une société « aux traits fortement archaïques » sous le joug de la noblesse féodale (Ginzburg, 2014, p. 54). Ginzburg rappelle également la position sociale particulière du meunier à l'écart du reste de la communauté en raison de l'isolement du moulin, lieu de rencontre propice à la circulation des idées.

Comme tout historien qui se doit de décrire le contexte, Ginzburg édifie les assises nécessaires pour répondre à sa problématique de travail. En conséquence, malgré les siècles qui séparent le lecteur de la vie de Menocchio, Carlo Ginzburg réussit à mettre en relief l'unicité du meunier hérétique d'une manière approfondie. En dépit des défis que posent l'accessibilité et la teneur des sources primaires, il brosse un paysage détaillé, indispensable pour apprécier les acrobaties intellectuelles faites par le meunier et aller au-delà de leur étrangeté initiale.
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voilà le genre de livre à relire en ce moment... une réflexion sur la complexité d'un individu. sur le mélange entre questionnement,rêverie et illusion concernant la pensée commune. L'ouvrage est donc une enquête sur l'histoire d'un meunier du Frioul (Italie), Domenico Scandella dit Menocchio, qui mourut brûlé sur l'ordre du Saint-Office : documents, indices, traces et discours,
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Pour le meunier Domenico Scandella, surnommé Menocchio, "Tout était chaos, c'est-à-dire terre, air, eau et feu ensemble ; et que ce volume fit une masse, comme se fait le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges..." L'univers est né de la putréfaction. Dieu n'a pas créé le monde. Ce sont ses ouvriers. Tout est Dieu dans l'univers. Les sacrements n'ont aucune valeur, ils sont une création des hommes et un moyen d'oppression du Clergé. "Jésus-Christ s'il était Dieu éternel ne devait pas se laisser prendre et crucifier". Il suffit de bien se comporter pour gagner son salut quelle que soit sa religion. L'Église utilise le latin pour ne pas être comprise du peuple. Ces idées, et d'autres, dont il est fier et dont il connait l'originalité, Menocchio les a défendues et expliquées devant l'Inquisition en 1583 (même s'il a reconnu ses erreurs pour éviter une condamnation trop lourde) puis en 1590 lors d'un second procès au terme duquel il sera exécuté.

L'historien Carlo Ginzburg, père de la micro histoire, décrypte les minutes de ces deux procès.
Comment Menocchio a-t-il forgé ses idées et ses convictions? Elles sont le résultat d'une alchimie entre la culture populaire de ce temps et la découverte et l'appropriation par un homme intelligent et autodidacte de quelques lectures auxquelles il a pu accéder à cette époque où les livres commençaient à circuler grâce à l'imprimerie. Un homme du peuple qui a lu des livres qui ne lui étaient pas destinés : le Decameron, la Vulgate, une traduction de la Légende dorée, des évangiles Apocryphes, peut être le Coran ... Essentiellement des ouvrages religieux dont il a fait une lecture active et ouverte. Menocchio n'était en rien un illuminé. Ses juges sont parfois surpris par ses propos et prolongent le débat. Mais les lectures n'expliquent pas complètement les idées de Menocchio : elles font émerger un fond de croyances orales paysannes que l'histoire ne permet pas d'habitude de saisir. L'étude du procès de Menocchio est la chance de le comprendre.

Ginzburg veut dans sa démarche d'historien mettre en lumière la culture des humbles alors que l'histoire est écrit par les dominants. Comment connaitre la vie réelle des hommes du passé ? "Qui a construit la Thèbes aux sept portes ?" demande Brecht.

Enfin Ginzburg construit un récit d'enquête dont il nous fait partager les étapes, les hypothèses et les avancées de l'interprétation, décryptant comment il a fait son travail d'historien.

Une référence.
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