On peut se sentir seule quand on évolue. Tout ce que tu croyais savoir sur toi-même et sur le monde se métamorphose sous tes yeux. Tu commences à remarquer ce qu’il y a de toxique et de malsain, chez tes amies comme en toi. Tu n’arrives plus à regarder les films que tu aimais tant, parce que tu te rends compte qu’ils réduisent les femmes à de simples proies pour le regard et le désir des hommes.
Mais la plupart du temps, l’attention que suscitait ma « beauté » les poussait plutôt à me considérer comme un objet. Or, les hommes ne respectent pas les objets. Après tout, les objets sont faits pour être utilisés sans aucune réciprocité : c’est une relation à sens unique. C’est pour cela qu’ils ne supportaient pas que je les rejette et que je me faisais insulter ou traiter de « frigide », puisque les objets ne sont pas censés avoir d’autonomie. Ce ne sont que des objets. Le reconnaître s’est avéré à la fois dérangeant et libérateur ;exactement ce que l’on doit ressentir quand on évolue.
Peu importe que je me trouve belle ou non : pour la première fois, j’ai été contrainte de reconnaître objectivement qu’en étant mince, non handicapée et blanche, je me situais en haut de cette échelle de désirabilité. En tant que femmes, nous ne voulons pas admettre que nous bénéficions de ce « privilège de la beauté », parce qu’on nous a appris à ignorer notre beauté, et à répondre aux compliments par l’autodérision et par des remarques comme : « Oh ! non, je ne suis pas belle, regarde mon/ma/mes… [en citant nos “défauts”] ! »
Rabaisser des femmes parce qu’elles se soucient de leur apparence n’est qu’une autre forme de misogynie intériorisée, et une incapacité à voir comment la race, la classe sociale, l’identité sexuelle et la désirabilité affectent la façon dont nous sommes perçues dans la société. Dans un monde qui place l’apparence d’une femme au-dessus de tout, et lui donne accès à des avantages immérités si elle reflète ses critères de beauté, qui sommes-nous pour juger celles qui recourent à la chirurgie esthétique pour entrer dans la norme ?
Il y a des femmes qui semblent tout avoir : elles ont une belle vie, avec une carrière florissante, une vie sexuelle très active, peut-être même des enfants… mais tout cela a un prix. Elles ne sont pas traitées comme les hommes qui vivent ainsi. Les gens se moqueront de toi, te prendront de haut, te traiteront d’« égoïste » pour avoir essayé d’adopter le style de vie des hommes et, souvent, tu te retrouveras avec un salaire moindre qu’un homme qui fait le même boulot que toi. Ça va t’arriver, d’ailleurs. Et pas qu’une fois.