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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Attention, gros morceau ! J'avoue que j'ai pas mal hésité lors de ma dernière virée au village du livre de Montolieu. Il faut dire que l'édition de « Vie et destin » que je tenais entre les mains n'était pas la plus sexy qui puisse exister. En résumé, un bon pavé (plus de 800 pages), mal imprimé, en tout petit, il y a définitivement de quoi rebuter le lecteur le plus motivé. Finalement, vous vous en doutez bien, j'ai fini par repartir avec, entre autres (difficile de repartir à vide de Montolieu !), ce livre sous le bras.

Vous l'aurez compris, « vie et destin » est un livre exigeant. Sa lecture m'a vraiment demandé des efforts, mais à force de m'accrocher, j'ai réussi à rentrer pleinement dedans. Mais ce fut un combat de longue haleine ! le livre est présenté partout comme un monument du XXème siècle et force est de constater que cette réputation n'est pas usurpée. Vassili Grossman, fervent communiste au départ, est devenu au fil des années un « ennemi du peuple » au sens du régime soviétique. Il nous propose en filigrane de cette peinture de l'Union Soviétique autour de la bataille de Stalingrad une critique en règle du régime en montrant les similitudes entre nazisme et communisme : polices politiques, existence de camps de concentration, neutralisation des opposants par la terreur et la répression, nationalisme d'Etat qui cherche l'élimination des minorités, antisémitisme. On comprend que ce livre n'était pas du goût du pouvoir, qui l'a fait saisir par le KGB. Disparu pendant 20 ans, il a finalement été miraculeusement retrouvé.

« Vie et destin » est un roman polyphonique qui nous fait suivre la vie d'une multitude de personnages, physiciens, prisonniers de guerre, militaires ou simples particuliers, en Union Soviétique pendant la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement autour de la bataille de Stalingrad (1942-1943). Leurs destins vont se tisser et s'entrecroiser pour nous faire vivre tout un pan de cette période de l'histoire. le destin de Sturm, le physicien, est saisissant et très révélateur de la dérive de la société soviétique. Un beau jour, ses recherches sont critiquées par considérées comme pro-occidentales, juives et opposées à la doctrine officielle. Sturm vit alors dans la crainte et l'angoisse d'une arrestation, de plus en plus isolé, tous se proches se détournant de lui. Et un beau jour, il reçoit un appel de Staline lui-même et va retrouver son poste, son prestige et ses amis. Moyennant quand même la signature d'une lettre niant les arrestations arbitraires du régime. Glaçant !
En bref, une lecture exigeante mais indispensable pour mieux comprendre tout un pan de notre histoire.
Lien : https://instagram.com/Mangeu..
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Du temps, un esprit disponible alors pourquoi ne pas se lancer dans la lecture de vie et destin "le roman du XXe siècle".
Ma lecture de "pour une juste cause" première partie de cet grande saga n'est pas très éloignée, juste deux mois, les enjeux, les scènes sanglantes sont toujours présents dans ma tête. J'en suis restée à l'époque où l'on pouvait croire au communisme.
Je ne sais pas en commençant cette lecture qui y croit encore mais j'apprends qu'à la guerre les conflits individuels peuvent se régler très vite ... un différent entre le commandant d'un régiment d'infanterie et son commissaire .... problème réglé ... une bombe est tombée sur le P.C du régiment ... les deux hommes sont morts.
Stalingrad ... quel meilleur résumé du ressenti de chacun que "c'est la plus grande défensive que L Histoire ait connue, mais qu'en est il de l'offensive ?"
Alors je vais vivre quelques jours en compagnie de tous ceux qui ont approché de près cette tragédie humaine que fut Stalingrad.

1942 .... Stalingrad ...Le symbole de la résistance des hommes les uns contre les autres ... des russes enclavés ... des allemands enclavés ... jusqu'à la solution finale.
19 novembre 1942 ... début de l'offensive pour établir l'encerclement de la VI armée allemande.
2 février 1943 ... Stalingrad libéré... l'armée allemande vaincue sur ce front ... les hostilités allaient reprendre plus loin.

Des sentiments, des commentaires jalonnent cette très longue lecture ....
Assister ou plutôt vivre dans le ghetto et ressentir le bien être d'être enfermé avec des gens qui ne vous méprisent pas, être l'un d'eux, juste l'un d'eux et pas cet autre méprisable, ne plus se sentir comme du bétail mais juste une femme malheureuse, se sentir mieux ... Un comble !
L'information ... qu'est ce qu'informer .... il paraît que c'est éduquer un lecteur et non pas l'informer... il y a des choses à ne pas dire, à ne pas écrire ... on peut même parfois oser écrire que dans les villages on enterrait le blé ... on mourrait de faim dans le seul but de nuire à l'état soviétique et ... pendant ce temps dans les kolkhozes les enfants étaient repus de bons bouillons, de bonnes croquettes et de côtelettes !
Une dernière discussion avant la fin, la recherche des erreurs ... première erreur, aucun repentir ne pourra expier ce que nous avons fait ... deuxième, nous n'avons pas compris ce qu'est la liberté ... troisième erreur, l'instinct de conservation a poussé les gens à changer pour ne pas périr... une conclusion : les communistes se sont créés une idole !
Nous partons avec Sofia pour ce qu'elle sait être le dernier voyage, mais, l'optimisme est un opium comme un autre !
Nous comptons avec Nahum parce qu'on ne sait pas quoi faire d'autres, combien de corps, pardon il faut parler de figures, ont été brûlées et qu'elle est la moyenne atteinte par individu chargé de brûler les charniers !
On entend les discussions autour du syndicat, celui qui appelle aux sacrifices :
"avant la guerre, on doit se préparer à la guerre, pendant la guerre, on le sait : "tout pour le front", après la guerre, le syndicat appellera à travailler pour effacer les conséquences de la guerre."
Les temps sont durs mais on essaie encore de réfléchir collectivement, de penser, de discuter ... aujourd'hui comme hier autour des verres de thé .... le temps de la désespérance avec les verres de vodka n'est pas encore là !
Assister en simple spectateur à un entretien où l'issue est l'envoi d'un grain de café dans la tête avec avant, l'injection d'une petite dose d'élixir !
Une idée de la guerre comme une autre avec un poème d'un anonyme :
"camarade, en ta longue agonie,
Ne crie pas au secours, c'est trop tard.
Laisse-moi réchauffer mes mains transies
Au-dessus de ton sang qui s'égare.
N'aie pas peur, ne pleure pas ni ne sanglote :
Tu n'es pas blessé, mais seulement abattu.
Laisse-moi plutôt prendre tes bottes.
Car j'ai encore à me battre, vois-tu. "
Une analyse très fine du bien, faire le bien pour qui ? comment ? mais surtout quel bien ... le tien n'est pas forcement le mien et on assiste à des carnages fait au nom du bien ! ... et l'histoire recommence encore et toujours, les hommes font le bien et le malheur arrive !
Un questionnement comme un autre :
"Que doit ressentir un physicien qui sait que ses découvertes profitent à Hitler ? Pouvez-vous vous représenter un physicien juif, dont on abat les proches comme des chiens enragés, et qui se réjouit en faisant une découverte, quand cette découverte, contre sa volonté, renforce la puissance militaire du fascisme ?"
Ne pourrait on pas imaginer changer Hitler par Staline et fascisme par stalinisme ?
Visiter un bâtiment en construction comme un autre, une usine qui se doit de combiner toutes les nouvelles technologies dans le but de garantir une efficacité remarquable et comprendre l'utilisation future du lieu .... une usine d'élimination massive d'individus avec recyclage de tout ... et la question "dites-moi : peut-on avoir une idée approximative de la quantité de juifs dont il s'agit ? » ... et la réponse " vous avez dit : millions?"
Quelques temps passés avec ceux qui descendent du convoi de la mort mais encore suffisamment vivant pour aller vers la mort... cette longue marche vers ces bâtiments, ... cet arrêt pour que le tri puisse se faire entre les encore utiles et les inutiles .... ces vestiaires préalables à la douche ... l'entrée dans le tourbillon de la dernière salle et le déclenchement du ventilateur jusqu'à ... plus rien !

Un tour d'horizon ...
Vu d'Allemagne .... un front difficile, la préparation de massacres ethniques à grand rendement, des camps de prisonniers où les conditions de survie sont liées au fait de participer à l'élimination des ennemis du peuple avant sa propre élimination ... le travail de collaboration à l'élimination des juifs avec toutes les petites compromissions possibles avec sa morale ...
Vu de Stalingrad.... un front inimaginable, des ruines, des sous sols, une survie inhumaine qui mêle des hommes les plus différents, des hommes qui juste devant la mort osent encore parler, discuter, contester, qui se contentent d'espérer voir le jour se lever le lendemain...
Vu des fins fonds de l'URSS, des pays éloignés du front où on essaie de survivre loin du front, des villes, ces lieux où il n'y a rien pour la population locale alors pour ses immigrés il n'y a pas grand chose non plus ... il reste à participer comme on peut à l'effort de guerre, rêver au temps ancien où il faisait bon vivre, rêver à ceux qui sont si loin qu'on ne sait ce qu'ils sont devenus...

Et puis les réflexions
sur le bien, le mal, leurs définitions ...
Sur l'antisémitisme ici, là ou ailleurs mais toujours de plus en plus prégnant, insupportable et de plus en plus évident de chaque côté des belligérants !
Sur la montée au pouvoir des dictateurs ... comment un peuple a pu choisir un homme comme Hitler comme conducteur ... comment l'héritage de Lenine a pu être cannibalisé par un homme comme Staline ?
Sur la montée de notre propre honte devant notre silence, notre laisser faire ... comment peut on arriver à se taire, à accuser ceux dont on partageait les idées hier encore !
La prison intérieure ... on pouvait y passer des jours, des mois, des années et puis on se retrouvait condamné à dix ans sans droit de correspondance .... ce qui signifiait qu'on avait été fusillé...
Et puis la victoire avec le dégagement de Stalingrad, les simples soldats heureux de profiter du silence, du pain, de l'oignon et de la vodka ... et les généraux prêts à se déchirer pour savoir qui allait avoir la gloire, la victoire !

Une conclusion comme une autre :
"un homme qui veut rester un homme sous le fascisme peut faire un choix plus facile que de sauver sa vie : la mort. »
Je vous laisse imaginer que l'on peut facilement remplacer fascisme par ....

Une citation encore ...
Tu sais, tantine, la vieille génération a toujours besoin de croire en quelques chose : pour Krymov, c'est Lénine et le communisme, pour papa la liberté, pour grand mère le peuple et les travailleurs. Mais tout cela nous semble idiot, à nous, les jeunes. D'ailleurs, c'est bête de croire. Il faut vivre, sans croire à rien.
Une solution facile ?
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Premièrement, avant de parler de la très bonne qualité de ce roman historique, il faut se rendre compte de la chance qu'on a de pouvoir accéder à ce "témoignage". Celui-ci aurait pu coûter la vie de l'auteur, qui a eu un très grand courage pour dénoncer les dérives totalitaires qu'a connu l'URSS. La préface du livre est donc très intéressante à lire pour le coup, elle permet d'entamer le livre avec une idée plus précise du contexte.

Ce roman, confisqué dans un premier temps, puis recomposé, raconte plusieurs histoires autour de la bataille de Stalingrad. C'est la suite d'un premier livre de Vassili Grossman (que je n'ai pas encore lu) mais qui peut se lire directement.
Nous assistons au destin de plusieurs protagonistes : Soldats, chercheurs scientifiques, des généraux etc... On retrouve surtout des familles brisées, des fils et filles perdues, des parents disparus.
'La terre s'habitue à tout. La terre lui sert de lit et le ciel de couverture. Mais il y a une chose à laquelle il est impossible de s'habituer, c'est d'être séparé de ses enfants." Page 152.

Vassili Grossman nous évoque l'atrocité de la guerre, ses tragédies. Il fait des liens entre l'URSS et l'état nazi : Les camps de concentrations ; l'antisémitisme ; La censure ; Les condamnations à morts "abusives" et tant d'autres convergences.
L'URSS, se proclame à cet instant combattant du mal (contre le fascisme), mais comme le dit l'auteur dans une analyse très intéressante : le combat contre le mal pour le bien entraîne justement les pires actions. En effet, on ne se fixe plus de limites morales pour combattre le mal.

Il faut aussi souligner la qualité d'écriture de Vassili Grossman, il a une très belle plume pour détailler des situations atroces. La précision de certaines scènes (celle de Sofia Ossipovna avec l'enfant dans le camp) me reste figé dans un coin de ma tête plusieurs jours après sa lecture.
La lettre est aussi un moment fort de ce roman, il me semble d'ailleurs que l'écrivain a perdu sa mère pendant cette guerre.

Les personnages (bien que très nombreux) sont très approfondis en général. Il est intéressant de voir le parcours psychologique de certains d'entre eux (Victor Pavlovitch ; Krymov ; Lioudmila etc...). Certes, il vaut mieux être équipé d'une fiche de personnage pour s'y retrouver, c'est une lecture exigeante qui demande de la concentration.
Personnellement, je suis convaincu de l'apport de tant de personnages, ça permet d'avoir un oeil sur la situation dans l'ensemble (personnages du côté soviétique et allemand, occupants de postes de très grandes responsabilités à plus anodins, de divers âges, de diverses opinions politiques).

De mon humble avis, une lecture de cet acabit ne peut que mériter un cinq étoiles sur cinq.




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Un roman magnifique et malheureusement peut connu, c'est le guerre et paix du 20 ième siècle avec toute la force et la violence du siècle auquel il se rattache. Une plongée dans le Stalingrad assiégé avec des personnages d'une profondeur folle et d'une humanité immense, tout ça sous la folie destructrice de 2 régimes totalitaires qui s'affronte et qui se ressemble tant. Un véritable chef d'oeuvre de la littérature russe que Grossmann a passé 20 ans à écrire et qui n'a jamais été publié de son vivant dans son pays, un manuscrit sauvé in extremis du KGB grâce à une copie précieusement gardé et déchiffré à l'étranger.
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Que dire de plus que toutes les critiques élogieuses qui accompagnent ce chef d'oeuvre absolu depuis sa parution ?
Que ce fut mon coup de coeur de lecteur en 2021, une année pourtant riche de très bonnes lectures, me concernant.
Qu'il se mérite et qu'il est utile de s'équiper d'une liste des personnages pour s'y retrouver au début, mais qu'ensuite tout s'articule facilement.
Que des nombreux morceaux de bravoure littéraire qui constituent ce livre, bouleversants, certains m'ont plus bouleversé que d'autres. Ainsi en est-il de la lettre de la mère de Strum, Anna Semionovna, de la scène de la mort de Sofia Ossipovna dans la chambre à gaz d'Auschwitz, de la chute et de la faillite morale de Strum, pris au piège et qui signe une lettre de dénonciation d'un de ses amis…
Quel choc littéraire mes amis, quel choc tout court !
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Objet littéraire non identifié, cet énorme roman reconstitué, auquel il manque des fragments, comme un vase antique, se situe à la suite d'un autre livre qui n'a pas grand-chose à voir semble -t- il avec celui-ci, et laisse au lecteur un gout étrange d'inachevé. Il n'empêche, Grossman fait éclater avec évidence les ressemblances entre les deux totalitarismes qui s'opposent à Stalingrad et présente une vue saisissante de la vie quotidienne au temps de Staline. Chef d'oeuvre.
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Pour parler d'un tel livre, je m'interdis tout sens de la mesure.

Vie et destin est plus qu'un récit de guerre au réalisme saisissant ou une critique du totalitarisme, auquel on le réduit souvent (comme l'oeuvre de tous les auteurs étiquetés "dissidents"). Ce qui le rend remarquable avant tout, c'est sa réflexion philosophique sur la forme et la nature du bien et du mal. On serait même presque tenté d'y voir une application de la métaphysique hégélienne, à savoir faire parler l'histoire pour en tirer la vérité ultime de l'âme humaine. Faute d'une étude approfondie sur ce point, je le laisse en suspens.

L'idée maîtresse de l'ouvrage est aussi simple à comprendre que profonde : toute tentative d'élaborer une théorie du bien, au moyen d'une doctrine religieuse, philosophique ou nationaliste, ne peut qu'échouer et causer beaucoup de mal. La bonté n'existe qu'au niveau individuel, elle est sans pensée, spontanée. Donc la bonne action ne se préoccupe pas de sa finalité, contrairement à tout système doctrinal :

"Plus [la bonté] est insensée, plus elle est absurde et impuissante et plus elle est grande. (...) L'amour aveugle et muet est le sens de l'homme."

Plutôt que de me perdre en 30 lignes de citation, je vous renvoie au chapitre 15 de la deuxième partie (les écrits d'Ikonnikov), qui constitue la clé de voûte de l'ouvrage.

Grossman ne pouvait être un pacifiste : il s'est retrouvé face à un ennemi qui a voulu détruire sa patrie et exterminer sa race. Mais il met en garde contre un préjugé qui corrompt le sens de toute guerre : celui de croire qu'elle est menée au nom d'un Dieu, d'une nation, d'une classe sociale. Ces derniers ne sont pas la fin recherchée de la lutte, mais un moyen collectif d'obtenir ou préserver une existence individuelle libre.

Après s'être frotté à la pensée de Grossman, on ne considère plus les rares soubresauts des consciences nationales (pourtant mourantes en Europe) de la même façon. 25 ans après la "fin de l'histoire" et le triomphe des démocraties libérales en Europe, le profond et subtil humanisme de cet ouvrage garde quelque chose de subversif.
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Un conseil préliminaire: avant d'entamer la lecture de ce monument de la littérature mondiale, allumez une symphonie de Chostakovitch, de préférence les 5ème, 7ème (dite "Léningrad") 8ème (dite "Stalingrad") et 13ème (dite "Babi Yar"). Vous verrez à quel point la grande musique se marie si bien avec la grande littérature, à plus forte raison lorsqu'elles ont été composées l'une comme l'autre dans le même contexte historique, à savoir l'URSS stalinienne, la Grande Guerre Patriotique contre l'envahisseur nazi et la Shoah.

Le philosophe Alain avait affirmé qu'il ne fallait pas espérer trouver de pages équivalentes à Guerre et Paix. Il n'a pas vécu assez longtemps pour découvrir Vie et Destin.

Le compositeur Alban Berg s'était exprimé ainsi sur la sixième symphonie de Mahler: "la seule Sixième, en dépit de la Pastorale de Beethoven." En le paraphrasant, je dirais volontiers concernant Vie et Destin: "L'un des plus grands romans historiques, en dépit de Guerre et Paix".

Vie et Destin mérite en effet amplement d'être considéré comme le Guerre et Paix du front de l'Est de la Seconde Guerre mondiale, pour ne pas dire celui du 20ème siècle. Si je n'étais pas limité par le seuil de six livres, je crois que je n'hésiterais pas à emporter ce livre sur mon île déserte.

On y retrouve certains caractéristiques propres aux grandes fresques historiques russes: la recréation d'un monde dans son ensemble, créant une continuité entre les espaces marqués par la guerre et celles de l'arrière à la paix précaire, des personnages dotés d'une vie pleine et entière (professionnelle, sentimentale, intellectuelle, sociale) et pas seulement traités comme des personnages historiques, le primat donné à des personnalités anonymes au regard de l'Histoire (c'est à dire ceux crées par l'auteur) et non aux grands hommes.

Vie et Destin, c'est aussi le récit de la prise de conscience de l'identité profonde qui existe entre les totalitarismes staliniens et hitlériens, de la tragédie que portent en elles toutes les utopies, toutes les idéologies les plus généreuses à l'instar du christianisme ou du communisme, à savoir le fait qu'elles finissent toujours par légitimer des entreprises d'oppression des hommes. C'est également la révélation de la perversité propre aux régimes totalitaires, où sauvegarder son intégrité est une épreuve de chaque jour, face aux exigences de délation qu'impose le stalinisme, comme en témoigne la fin du roman, où Strum, inspiré du romancier lui-même, est contraint de signer une lettre de critiques envers un collègue physicien.

C'est aussi avant tout le tableau intérieur d'un déchirement de l'auteur entre une identité russe, dans laquelle il s'est toujours reconnu, au point qu'il célèbre au détour d'une page "la grandeur du peuple russe en armes, depuis Souvorov" et une identité juive auquel il est renvoyé, d'abord par les nazis, meurtriers de la mère de Sturm comme de Grossman lui-même (la dernière lettre de la mère envoyée à son fils est sans doute un des passages les plus poignants du roman), ensuite par le régime stalinien lui-même au cours de la campagne contre le complot des blouses blanches, commis supposément par les Juifs.

Cependant, au milieu de ce désespoir, c'est également une profession de foi déchirante en une bonté de la nature humaine, en la liberté, contre laquelle le mal demeure impuissant, comme en témoigne le discours d'Ikonnikov, qui suit la conversation entre Liss, officier de la Gestapo et Mostovskoi, le vieux bolchevik prisonnier d'un camp de concentration nazi.
Liberté auquel aspirent d'ailleurs les Soviétiques eux-mêmes, qui se battent contre l'envahisseur nazi avec l'espoir que le monde de l'après-guerre sera celui de la libération de la terreur stalinienne, comme en témoignent le major Erchov, qui monte une cellule de résistance à l'intérieur du camp de prisonniers de guerre où il est détenu avec Mostovskoi et Ikonnikov, ainsi que le capitaine Grekov, en première ligne à Stalingrad (le passage de sa confrontation avec le commissaire politique Krymov est à cet égard révélateur).

L'un des plus beaux romans au monde, à l'écriture flamboyante d'humanité et de grandeur épique. Pour reprendre de nouveau les propos d'Alain, les seuls mots qui me viennent à la bouche sont les suivants: "Lisez, relisez ces pages éternelles."
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Ce livre, puissant et effectivement sans complaisance, ne relate pas seulement une période que l'on ne doit pas oublier : il va beaucoup plus loin ! Il pose la question de l'être humain en général : au-delà du stalinisme, de la Seconde Guerre Mondiale et du fascisme, comment l'être humain est -il capable d'affronter des situations extrêmes, jusqu'où l'homme est-il capable d'aller? Peut-il réussir à garder un brin d'humanité, de générosité, de lucidité? Comment peut-il survivre face à des choix inéluctables mais contraires à ses convictions et à sa nature? Comment supporter la culpabilité?
Un livre, selon moi, inoubliable, indispensable. Il a transformé ma façon d'appréhender les choses, la vie.. Un des quelques livres que j'emmènerai sur une île déserte.
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Fortement apprécié mais très long à lire. Après quasi 2 mois, comme c'était un emprunt à une autre bibliothèque, j'ai abandonné à plus de la 1/2, car j'avais envie de lire autre chose et je devais de plus absolument rendre le livre. Mais j'y reviendrais à reprendre le cours de ce livre ... mais alors avec un pense-bête des personnages car on s'y perd dans les noms, surnoms, etc. Et à faire quand on lit un auteur de l'Est.
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