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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Grande fresque dans la lignée de Tolstoï, mêlant un foisonnement d'intrigues romanesques et des considérations philosophiques sur les systèmes totalitaires. Malgré quelques passages un peu longs, la lecture est à la fois passionnante et pédagogique.

Principaux personnages : deux soeurs, Evguénia et Lioudmila Chapochnikov. Evguenia quitte son mari Krimov, un vieux bolchevik (qui sera arbitrairement arrêté), pour le colonel Novikov (qui maîtrisera de main de maître sa division de char, notamment en retardant de 8 mn leur intervention dans l'offensive) ; Strum, le mari de Lioudmila, physicien de génie, qui passera de la crainte de l'arrestation à la gloire après un appel téléphonique de Staline. Il est à la pointe de l'intelligence et du génie humain mais il est simultanément accaparé par des problèmes personnels (son amour pour la femme de son collègue), des remords dans des attitudes quotidiennes ou des questions bassement alimentaires ou matérielles.

Strum est le personnage le plus creusé. Ses questions sont celles de VG.

P 1134 : « Tous étaient faibles, les justes comme les pêcheurs. La seule différence était qu'un misérable qui accomplissait une bonne action se pavanait ensuite toute sa vie, tandis qu'un juste qui en faisait tous les jours ne les remarquait pas, mais était obsédé, des années durant par un seul péché » ;

Ce livre est un chef d'oeuvre. A relire dans 10 ans

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Bouleversant d'humanité. Magistral.

Dans la langue la plus simple, mais la plus juste, Grossman parvient à écrire toute la profondeur du plus beau et du plus horrible chez les hommes dans la guerre. On doit évidemment citer en exemple la lettre que la mère de Strum écrit du ghetto à son fils: un adieu qui brille très humblement d'une effroyable et tragique splendeur. Et les feuillets d'Ikonnikov sur le Bien et le Mal!

Je confirme: l'un des plus grands romans du XXe siècle. Et de tous les temps.
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Comment un homme seul (et, qui plus est, tenu au secret par l'ostracisme de la peur collective et de la police politique) peut-il affronter le Monstre totalitaire, et même en l'occurrence cette monstruosité historique et cosmique du XXe s. qu'est le tête-à-tête (rappelant Orthos, le chien à deux têtes de la mythologie) du fascisme et du stalinisme, ces deux frères ennemis fanatisés qui, dans et par-delà Stalingrad, s'imitent et s'étripent à l'échelle de l'immense empire soviétique, voire du continent et même du monde entier ? Et non seulement s'y affronter intellectuellement, pour en démonter la logique, les axiomes, mécanismes, tenants et aboutissants. Mais bel et bien l'affronter physiquement (et d'ailleurs le Monstre étatique ne s'y trompe pas, qui met tout en oeuvre pour le faire taire et pour tuer dans l'oeuf l'oeuvre qui le menace), David contre Goliath, avec l'espoir ou le rêve fou de miner ce monstre bicéphale, cette gémellité monstrueuse, de lui porter des coups mortels et finalement de le ou la terrasser ? Sinon en effet, à quoi bon se donner tout ce mal ?

Comment donc renverser un rapport de force tellement déséquilibré ? Réponse : par la force de l'imagination ; par la puissance du roman. Car Vassili Grossman est romancier. Certes, le travail de documentation qui a permis d'ancrer cette somme de presque 1200 pages dans la réalité historique, technique, géostratégique, politique, biographique, militaire, culturelle et humaine… a quelque chose d'un travail de forçat (12 ans de rédaction !) et impressionne par son ampleur et sa minutie. Mais Vie et destin n'est ni un reportage de guerre ni une reconstitution historique ; c'est bel et bien un roman, une fiction, et c'est ce qui lui donne sa force inégalable. le romancier en effet jouit ici d'une sorte d'ubiquité. Il est partout à la fois, côté russe et côté allemand, passant du front russe au camp de prisonniers allemand, de l'état-major des Soviétiques à celui des Nazis (Staline et Hitler y compris, en chair et en os, et même en monologue intérieur…), de la ligne de front aux villes de l'arrière, de l'héroïsme des champs de bataille au quotidien des familles, des entrailles de la Terre et de la ville retournées au grand jour au plus secret des pensées et des sentiments refoulés, des personnages les plus en vue ou les plus solaires aux quidams les plus obscurs et les plus misérables… En 192 courts chapitres ou tableaux juxtaposés, il assemble ainsi une mosaïque qui donne un peu l'impression d'un panoptique, capable de faire pièce à celui (par contrôle et délation généralisés) du système totalitaire. Et, de même qu'il occupe ainsi tout l'espace, il circule aussi librement dans le temps car, si le récit s'articule autour de la bataille de Stalingrad, (septembre 1942-printemps 1943), il remonte souvent aux purges et à la « Grande Terreur » de 1937 ou aux espoirs et à l'enthousiasme des premiers temps de la révolution bolchevique d'octobre 1917, voire, à la faveur de réminiscences littéraires (Tolstoï entre autres), aux racines ancestrales de l'âme russe. Il s'autorise même de l'avantage de la postérité pour, de manière anticipée, annoncer par exemple le destin posthume du vieux bolchevik Mostovskoï ou évoquer les enjeux géopolitiques de l'après-guerre.

Et c'est ainsi que, par la magie d'un tel affranchissement de l'espace-temps, il atteint à l'universalité et à l'intemporalité caractéristiques des grands romans. Non pas l'universalité abstraite des concepts et du surplomb ou du détachement intellectuels ; mais une universalité concrète, qui se réalise dans la communion fraternelle et dans le fait que tout un chacun vient à se reconnaître dans les singularités qui lui sont ainsi présentées et dévoilées. Nulle distance ou barrière : nous sommes de plain-pied avec tous ces personnages, bouleversés par leurs drames et leurs souffrances, tendus à l'extrême pendant leurs affrontements ou leurs conflits intérieurs, partageant leurs vies et leurs destins, leurs interrogations et leurs choix, avec une intensité et une empathie peu communes. Et d'autant plus surprenantes que, de ces personnages, il y en a pléthore. On en a dénombré autour de 150 et, pour s'y retrouver, il vaut mieux en garder la liste sous la main tout au long de sa lecture. C'est donc tout un échantillon d'humanité, dans l'immense diversité des figures, des rôles et des cheminements, qui vit sous nos yeux et gravite autour de la famille Chapochnikov qui en est comme le noyau ou le réseau. Mais chacun de ces hommes et de ces femmes, même parfois simplement entraperçus, se trouve à tel point pénétré dans son humanité essentielle qu'on est tout de suite sensible à sa valeur unique, touché par la force et la singularité de cette incarnation individuelle de l'humain et, du coup, irrésistiblement attaché à ses pas et à son destin. Il y a ainsi la Matriarche, Alexandra Federovna, Mère et grand-mère Courage autant que Bienveillance et Compréhension ; Strum, Victor Pavlovitch : savant passionné, lucide, intransigeant, aux prises aussi pourtant avec les faiblesses et les tourments de l'homme ordinaire ; Evguenia l'Amoureuse, obsédée par la sincérité de ses sentiments et partagée entre deux hommes remarquables ; Grekov, un desperado grandiose, héroïque et sublime ; Krymov, l'intellectuel engagé, militant lucide et incorruptible, d'une loyauté sans faille jusqu'au sacrifice suprême ; Serioja, le soldat adolescent, et Katia, la jeune radio, qui découvrent l'amour dans les corridors de la mort ; Mostovskoï, le vieux bolchevik exemplaire, d'une foi inflexible et d'une humanité si sensible ; Ikonnikov, le vieux disciple de Tolstoï, qui a perdu sa foi en Dieu avec toutes ses illusions mais qui, sous toutes les avanies, croit encore à la bonté humaine ; Sofia Ossipovna Levintone, médecin militaire et femme solitaire, qui prend en charge, presque malgré elle, David le petit Juif et qui finit par découvrir sa maternité dans la chambre à gaz ; Novikov, colonel intrépide à la tête de son corps de blindés et en butte à la discipline militaire et politique à cause de son humanité envers ses soldats ; et combien d'autres au fil des pages, brèves rencontres ou compagnons de route plus assidus, qui éveillent en nous, lecteurs, témoins et comparses, toute la gamme des émotions et des réactions humaines devant le meilleur et le pire dont sont capables les hommes…

Et quelle démonstration magistrale de la réciprocité et de la réversibilité du stalinisme et de l'hitlérisme, les deux visages du monstre totalitaire, dans l'affrontement inégal (l'un disert, l'autre muet) entre l'Obersturmbannführer Liss et le vieux prisonnier bolchevique Mostovskoï (partie II, § 14) ! On frémit et on retient son souffle comme dans le face-à-face du Christ et du Cardinal de la Légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski. Et, dans le testament d'Ikonnikov (partie II, § 15), quelle charge implacable et ô combien pertinente contre les absolus du Bien et du Mal et contre la perversité intrinsèque des utopies qui les transforme inexorablement en dystopies. Il y a comme des accents pascaliens (« L'homme n'est ni ange ni bête, mais qui veut faire l'ange fait la bête »), mais transférés ici de la morale individuelle à l'analyse historique et politique… même si, dans la faillite des grandes entreprises collectives, il n'y a plus guère à miser que sur la « bonté humaine » qui résiste au fond du coeur de chaque homme et qui s'exprime au cas par cas… Quelle profondeur et quelle justesse encore (et en même temps quelle tension pour le lecteur, qui lit ces pages avec le même suspense qu'un thriller) dans l'analyse psychologique qui sous-tend le dernier interrogatoire de Krymov à la Loubianka ! Quelles réflexions enfin, lumineuses et sagaces, égrenées en chemin et qui touchent à des questionnements philosophiques essentiels comme, en épistémologie, les rapports de la théorie et de la pratique, des mathématiques et de l'expérience (à propos des démêlés autour des travaux scientifiques de Strum) ou, en métaphysique, la conciliation du destin et du libre-arbitre, de la nécessité (historique, mécanique, étatique) et de la liberté individuelle ! Aucun récit historique, aucune recherche documentaire, analyse scientifique, enquête sociologique ou spéculation philosophique ne peut atteindre à cette vérité humaine du roman, quand il s'agit d'un grand roman.
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J'ai profité du confinement pour lire le diptyque de Vassili Grossmann et il fallait bien ce temps-là. C'est une épopée qui raconte la vie d'une famille et de ses proches dans la période de la bataille de Stalingrad. Bien que la guerre soit omniprésente et qu'elle pèse, influence et détermine la vie de chaque personnage, ce n'est que la toile de fond de cette saga.
Les deux livres sont dans la même ligné, mais la différence qu'on y perçoit et une nette évolution politique de l'auteur, dans « Pour une juste cause » il loue Staline qui est le grand protecteur de la patrie socialiste alors que dans « Vie et destin » il critique par la voix de ses personnages l'administration tentaculaire qui brise les citoyens russe.
« Vie et destin », a été interdit en URSS et c'est par un manuscrit sortie illégalement qu'il a fini par être publié, après la mort de Vassili Grosman.
Mis à part la difficulté à s'habituer aux patronymes Russes, ces romans sont captivants on y voit un peuple qui lutte avec acharnement contre la barbarie d'un envahisseur nazi particulièrement brutal et inhumain, essayant de survivre dans le chaos de combats féroces. La vie et sa force est présente dans ce magma de feu, l'amour y trouve sa place au milieu des gravats et dans les couloirs des hôpitaux. Ces livres décrivent la force de gens simples qui s'accrochent à ceux qu'il leur reste pour survivre. Cette oeuvre est un message d'espoir que je vous conseille
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Vie et Destin est la deuxième partie du témoignage gigantesque, Pour une juste cause, de Vassili Grossman sur la bataille de Stalingrad.

Il présente la suite des évènements dans un cadre politico-militaire et sociale. Il amène le lecteur dans les coins de la Russie soviétique, envahie par l’armée allemande jusqu’à la Volga, pour dévoiler la vie des gens. De nombreux personnages montent sur scène, les uns après les autres, pour parler de leurs vécus manipulés par les évènements de la guerre qui s’est déroulée en 1942-1943. Ils partagent avec le lecteur la situation de l’époque, notamment, celle de la population souffrant de tout type d’amertume.

En effet, l’auteur a su comment nouer, prodigieusement, les hauts et les bas de ladite époque pour résumer l’histoire de l’une des batailles les plus sanglantes de la Seconde Guerre mondial. Faisant, ainsi, une grande œuvre ornée de morceaux de bravoure qui ont bâti l’essentiel de l’héroïsme du peuple russe face à l’enfer de la guerre.

Vie et destin est, donc, un ouvrage-fleuve dans lequel des destins se croisent pour écrire une trilogie de trois verbes : vivre, survivre et mourir. Vivre la résistance au nazisme ; survivre à tout destin signé par la guerre, sauf, à la mort pour sa patrie. Ce roman reste, certainement, l'un des chefs-d'oeuvre de l'écriture guerrière.
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Il y a de ces livres qu'il est indispensable de lire. de grands romans, dont la civilisation comprend la portée, au point que certains hommes de (peu de) pouvoir cherchent à les faire disparaître. L'histoire de Vie et destin et accessoirement le destin mêlé de Vassili Grossman et de Andreï Sakharov sont d'ailleurs comptés dans la superbe exposition Odyssée des livres sauvés, au Musée de l'imprimerie de Lyon (http://www.imprimerie.lyon.fr/imprimerie/sections/fr/expositions) jusqu'au 22 septembre 2019. Vous y découvrirez des bribes des actes commis par la folie humaine à travers les siècles et serez conforté.e.s dans l'idée que lire, c'est grandir.

Vie et destin, c'est une photographie de Stalingrad fin 1942 – début 1943, à travers une multitude de destins – tragiques, bien évidemment. Vies russes, allemandes, civiles, politiques et militaires, Vassili Grossman aborde tous les champs de l'horreur qu'a traversé cette époque. Et quand je dis qu'il les aborde, en fait il les fouille, il creuse, il déniche le moindre petit détail et l'expose devant nos yeux.

L'écrivain russe adopte un double regard dans l'écriture de ce roman. Chacun de ses points de vue est terrible et accusateur. Journaliste de guerre volontaire pour Krasnaïa Zvezda, le journal de l'Armée rouge, il a couvert la bataille de Stalingrad jusqu'en janvier 1943 ; ses détails des combats, jusqu'à l'anéantissement de la 6° armée allemande, sont d'un réalisme terrifiant. Juif d'origine, il consacre une grande partie du roman au terrible destin des Juifs d'URSS, massacrés par le régime nazi autant que par le stalinisme.

Derrière l'écrivain, l'homme apparait à toutes les pages. le lecteur vit presque en direct ses overdoses d'écriture, lorsque celle-ci devient impossible tant il est glacé par la cruauté des destins. Vassili Grossman est assis derrière son bureau vingt ans après les faits, les yeux exorbités par ce qu'il a vu de ses propres yeux ou lu dans des témoignages. Il s'arrête d'écrire et regarde, au-delà du visible, ce qu'aucun humain ne devrait avoir à vivre. Les passages du livre les plus difficiles à lire sont bien ceux-là. Pas un détail ne nous est épargné du massacre des populations juives d'Ukraine (vibrant hommage posthume à la mère de Vassili Grossman) ou de la fin inexorable des soldats russes piégés dans la maison en ruine entourée par la 6° armée allemande.

Ce livre est un traité de manipulation et de son pendant, la soumission des victimes. Qu'il est épouvantable et indispensable de lire les descriptions froides de Vassili Grossman ! L'acceptation progressive des Juifs d'Ukraine, à l'aube des chambres à gaz, tandis qu'ils creusent leur propre tombe et s'alignent devant pour mourir proprement, selon les ordres allemands… le destin de Viktor Pavlovitch, immense physicien russe d'origine juive lui aussi, broyé lentement et méthodiquement par le système stalinien… le lecteur a forcément moins d'empathie pour Krymov, ce communiste déchu, héros des grands procès staliniens de 1937 et éliminé par ses frères en 1943 ; le personnage semble avoir été créé pour immortaliser les méthodes soviétiques de contrôle des populations – dénonciations, dossiers sur chaque individu, interrogatoires, torture. Son procès dans Vie et Destin, absurde, ne semble écrit que pour rappeler au lecteur que le destin peut se retourner ; dans un régime totalitaire, les actes héroïques du passé peuvent être balayés, du jour au lendemain, d'un simple revers de main.

Régime hitlérien, régime stalinien, mêmes horreurs ? C'est ce que suggère Vassili Grossman, ce qui a tant effrayé son éditeur en 1960 qu'il a transmis le manuscrit de Vie et destin au KGB. Ce dernier a bien tenté de le détruire, mais l'écrivain a réussi à en sauver un exemplaire. Il n'a pas connu sa publication en Occident, survenue vingt ans après sa mort. C'est le sort des livres majeurs, de ceux qu'il est impossible de faire disparaître entièrement et qui, malgré les efforts de certains régimes politiques, passent à la postérité et deviennent légende.
Lien : https://akarinthi.com/
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Par où commencer pour vous résumer les 1200 pages très denses de ce roman qui en est à peine un ? Eh bien commençons par là : si c'est un roman, on est très vite happé par son réalisme cru, et on en comprend aisément la cause en découvrant la biographie de Vassili Grossman. Issu d'une famille bourgeoise juive, il était à la base ingénieur chimiste. Il a travaillé dans une mine, ignore comment il a pu être épargné par les premières purges soviétiques contrairement à d'autres membres de sa famille, il a dû se battre pour éviter le goulag à son épouse et quand la guerre a éclaté, il est devenu correspondant de guerre à Stalingrad.

Vie et destin relate la vie d'une famille Russe juive à travers la guerre, du siège de Stalingrad aux camps de concentration nazis, de l'Académie des Sciences soviétiques aux camps d'internement russes, de Moscou aux petites villes de province. Et on comprend tout de suite mieux le réalisme du récit. Il nous décrit le quotidien des habitants de Stalingrad assiégée, la famine, la peur instillée par le régime de Staline dans tout le pays et le poids d'une administration centrale toute puissante. Loin de se contenter de descriptions, les chapitres plus ou moins romanesques sont entrecoupés de réflexions profondes sur des sujets variés et, pour certains, intemporels. Jusqu'à la lecture de Grossman, je n'avais jamais vraiment compris pourquoi faire la différence entre racisme et antisémitisme. En quelques pages, il m'a fait comprendre l'évidence, que je vous laisserai découvrir car personne ne l'a jamais aussi bien expliqué que lui. En outre, ses propos sur la surveillance de masse du régime de Staline sont terriblement d'actualité. Ses réflexions sur le collectivisme devraient calmer plus d'un utopiste de notre époque. Et mettant en parallèle les réalités du nazisme et du communisme, il creuse la question des idéologies qui promettent des lendemains qui chantent, tranchant sans naïveté : elles ne peuvent mener qu'à des purges et des massacres.

Vassili Grossman a terminé la rédaction de Vie et destin en 1962. le KGB lui est tombé dessus, son manuscrit a été saisi ainsi que les rouleaux encreurs de sa machine à écrire. Cette oeuvre aurait pu disparaître à jamais. Heureusement pour nous, car c'est un document précieux, Andreï Sakharov en a fait sortir une copie du pays. Il sera publié à l'ouest au début des années 80, et en Russie seulement après la chute du mur.

Vie et destin m'apparaît comme un ouvrage qu'on doit lire. Il est indispensable, riche, dense. Mais je ne vais pas vous mentir : ça n'est pas une mince affaire que de s'y attaquer. Outre sa longueur, le nombre des personnages ne simplifie pas la lecture. Et ça n'est rien encore en comparaison du fond. Mais c'est ainsi : il faut souvent se donner un peu de peine pour accéder au meilleur. Entre Histoire, histoire des idées, philosophie, politique et sociologie, Vie et destin est désormais rangé dans ma bibliothèque sur l'étagère des indispensables chefs d'oeuvre, de ces livres qui appartiennent ou devraient appartenir au patrimoine mondial de l'humanité.

Une petite note, pour conclure, au sujet du Livre de poche qui publie cet ouvrage : quand on est responsable de la publication d'une telle oeuvre, il est absolument honteux d'y laisser traîner autant de fautes. C'est inqualifiable de maltraiter ainsi un chef d'oeuvre. Je ne les ai pas comptées, mais j'ai maudit au moins vingt fois cet éditeur pour son travail lamentable. Si vous l'achetez, sachez qu'il est aussi publié par Pocket : peut-être, mais je n'ai pas vérifié, ont-ils fait un travail plus respectueux à ce niveau que le Livre de poche.
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Littell avec ses "Bienveillantes" est battu à pleines coutures!! Quel souffle dans ces 1200 pages( en Poche), ces multitudes de tranches de vie de soldats, gradés ou non, des membres du P.C., des S.S., de chercheurs, de petites gens, des russes, des allemands, tous reliés par cette bataille de Stalingrad,et qui croisent tous ,à un moment ou un autre, les membres de la famille Chapochnikov. Cette peur qui les empêche tous de s'exprimer librement, cette similitude montrée par petite touche entre les deux dictatures, fascisme et stalinisme.
Des pages bouleversantes d'humanité,des dialogues subversifs sur les rapports à l'autorité, la religion, la guerre.
Pas étonnant qu'il ait été interdit, quel bonheur qu'un manuscrit ait été conservé et nous soit parvenu, même 20 ans après.
Un chef- d'oeuvre....
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Un très grand livre, qui décrit de façon exceptionnelle la seconde guerre mondiale vue du côté russe, notamment lors de la fameuse bataille de Stalingrad.
Il y a aussi quelques passages qui décrivent la guerre vue du côté allemand.
Vassili Grossman, correspondant de guerre de l'armée rouge, était au premier plan pour voir et observer ce tournant décisif de la Seconde Guerre mondiale, et ensuite l'avancée de l'armée rouge pour repousser les nazis jusqu'en Ukraine.
Il y a les comparaisons entre les camps soviétiques (Goulag)et les camps d'extermination nazis. Il y a le culte de la personnalité des dictateurs Staline et Hiltler, le poids de l'État qui peut broyer les personnalités les plus fortes, et surtout il y a ceux qui croient sincèrement à des idéaux et qui sont anéantis par le système alors qu'ils en étaient les plus ardents défenseurs. C'est souvent terrible. Mais il y a aussi le thème de l'espoir qui apparaît parfois sous les figures de l'amour, et de la bonté.
Ce livre magistral est pour moi une démonstration de philosophie politique implacable des totalitarismes du XXème siècle, et des faiblesses de la nature humaine qui les ont rendus possible.
Un très grand livre.
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Ecrit dans les années 1950 et terminé en 1960, le manuscrit de « Vie et destin » aurait été détruit par le KGB. Il partage cet « honneur » avec « L'archipel du Goulag » d'Alexandre Soljenitsyne. Fort heureusement, Vassili Grossman avait caché deux copies de ce roman-fleuve qui fut publié en Suisse en 1980.
En 1941, l'écrivain s'engage comme soldat et collabore au journal « L'étoile rouge ». C'est alors qu'il prend conscience des perversités du système soviétique n'hésitant pas à faire un parallèle avec le nazisme.
Que contenait de si dangereux ce pavé pour le régime ?
A travers des personnages réels ou de fiction gravitant ou pas autour de la famille Chapochnikov, de Moscou à Stalingrad en passant par Kazan, du front aux camps en passant par l'arrière, l'auteur démonte les mécanismes du stalinisme dont le fondement est la délation, encouragée par un parti qui nie toute liberté individuelle à son profit exclusif. C'est le principe du totalitarisme qui fait de vous, parfois pour un détail, une simple blague, un mouvement d'humeur, un « ennemi du peuple ». Ce processus a été fort bien décrit par Milan Kundera dans « La plaisanterie ».
En tant que témoin des événements et individu meurtri dans sa chair (sa mère fut assassinée en 1941 avec les Juifs du ghetto de Berditchev) comme le fut Strum, l'un des principaux protagonistes du roman, il raconte, mêlant lyrisme et description clinique et distanciée, la période de la bataille de Stalingrad, moment décisif où la guerre bascula au détriment des Nazis. Et il n'hésite pas à comparer les régimes communiste et nazi comme le fit Hannah Arendt en 1951 dans « Les origines du totalitarisme ».
La distance qu'il instaure avec son objet provoque chez le lecteur un sentiment d'effroi bien plus fort que si l'auteur faisait dans le pathos et le larmoyant (cf. la scène terrible dans la chambre à gaz).
Il souligne aussi combien, dans une démarche plus intimiste et psychologique, les événements influent sur le comportement et les sentiments.
« Vie et destin » est bien un témoignage essentiel pour mieux comprendre un vingtième siècle particulièrement meurtrier. C'est aussi une ode à la liberté, à la bonté de l'homme et à l'altérité.

EXTRAITS
- La vie devient impossible quand on efface par la force les différences et les particularités.
- le national-socialisme avait créé un nouveau type de détenus politiques : les criminels qui n'avaient pas commis de crimes.
- Ainsi le ghetto est l'endroit au monde où il y a le plus d'espérance. le monde est rempli d'événements qui n'ont qu'un sens, qu'une cause : le salut des Juifs.
- Mais ce qui caractérise l'esprit de parti, c'est précisément que les sacrifices ne sont pas nécessaires, ils ne sont pas nécessaires parce que les sentiments personnels, l'amour, l'amitié, la solidarité , disparaissent d'eux-mêmes quand ils entrent en contradiction avec l'esprit du parti.
- La violence exercée par un Etat totalitaire est si grande qu'elle cesse d'être un moyen pour devenir l'objet d'une adoration quasi mystique et religieuse.
Sinon, comment peut-on expliquer que des penseurs juifs non dépourvus d'intelligence aient pu affirmer qu'il était indispensable de tuer les Juifs pour réaliser le bonheur de l'humanité et qu'il étaient prêts à conduire leurs propres enfants à l'abattoir, qu'ils étaient prêts à répéter, pour le bonheur de leur patrie, le sacrifice d'Abraham ?
- Oh, la force claire d'une parole libre et joyeuse ! Elle existe justement parce qu'on la prononce soudain malgré toutes les peurs.
- En mille ans, la Russie a été libre pendant six mois à peine.
- L'histoire des hommes n'est pas le combat du bien chervhant à vaincre le mal. L'histoire de l'homme c'est le combat du mal cherchant à écraser la minuscule graine d'humanité.
- Il faisait bon dans le block du Sonderkommando qui desservait la chambre à gaz, le dépôt de Zyklon et les fours crématoires.
- Il lui semblait que cette femme, dont il venait d'embrasser les doigts, aurait pu remplacer tout ce qu'il souhaitait dans la vie, tout ce dont il rêvait : la science, la gloire, la joie d'être reconnu universellement.

Lien : http://papivore.net/autres-l..
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