Les relations entre le Vieux et le Nouveau Continent constituent sans doute, à l'heure actuelle, une des questions géopolitiques les plus délicates. Depuis la fin de la guerre froide, l'alliance indéfectible entre les deux rives de l'océan Atlantique a été mise à mal. Conformément à la prophétie d'Arbatov, l'URSS a rendu aux alliés, en disparaissant, le pire des services : elle les a « privés d'ennemi ». La survie de l'OTAN, au prix d'une redéfinition de ses missions, n'allait pas de soi : les conditions d'engagement des forces au Kosovo et les débats ayant entouré le cinquantième anniversaire de l'organisation l'ont amplement montré.
Mais c'est surtout sur le terrain économique que les contentieux transatlantiques sont les plus nombreux : OGM, boeuf aux hormones, conflit de la banane, lois extra-territoriales Helms-Burton et d'Amato-Kennedy, exception culturelle sont autant de points de discorde euro-américaine, et plus particulièrement franco-américaine que l'arbitrage de l'OMC ne parvient pas à résoudre.
Il y a quelque paradoxe à être à la fois des alliés politiques et militaires et des concurrents économiques et commerciaux (ne retrouve-t-on pas un tel paradoxe entre les États-Unis et le Japon ?). Cette schizophrénie était inconcevable en temps de guerre froide : le militaire primait l'économique, et surtout l'affrontement Est-Ouest était autant un conflit de puissances qu'un conflit d'idéologies. Aujourd'hui, tout se passe comme si les différents « échiquiers » de la puissance (selon l'expression de
Stanley Hoffmann) évoluaient en toute indépendance.
L'ouvrage de
Jean Guisnel explore ce paradoxe. Hélas «
Les pires amis du monde », malgré son titre intelligent, déçoit. C'est un livre de journaliste, écrit à la va-vite, pollué de trop nombreuses inexactitudes : on y apprend que la France a procédé à huit essais en 1995-1996 (et non six) ou, pire, que les pèlerins du Mayflower ont débarqué... en Floride (sic !). Il offre néanmoins l'occasion d'analyser, à la lumière des relations franco-américaines, l'actualité internationale récente, depuis la guerre en Yougoslavie jusqu'aux relations avec l'Irak et les autres « rogue states » unilatéralement mis au ban de la communauté internationale. Chaque fois, et non sans pertinence,
Jean Guisnel montre une France désireuse de faire entendre sa voix dans les affaires du monde, quand bien même sa légitimité pour le faire manquerait. Chaque fois, les États-Unis, quant à eux, administrent la preuve de leur « hyperpuissance » ; toutefois, il s'agit souvent moins d'une volonté politique délibérée que de l'exercice quasi mécanique de leur puissance.
Prêter aux Américains l'ambition d'imposer au monde leur hégémonie confine parfois à la paranoïa. le jeu africain le montre. le désengagement français d'une part (les bases militaires françaises, en Centrafrique notamment, se ferment tandis que les Africains sont invités à prendre en charge eux-mêmes, à l'échelle régionale, leur sécurité), l'implication américaine d'autre part (
Bill Clinton est en 1998 le premier président américain à se rendre en Afrique noire depuis Lyndon Johnson) ne sont pas dans une relation de cause à effet. Si l'Amérique s'intéresse à l'Afrique, ce n'est pas pour en évincer la France. Les motivations de politique intérieure ont leur part (rallier l'électorat noir américain) et surtout le désir de s'ouvrir de nouveaux marchés à l'heure où l'Afrique semble enfin décoller.