Un monstre et un chaos, les ruines désespérées du ghetto de Lodz.
C'est peut-être en ce moment, quand la barbarie s'étend au proche orient, qu'il faut lire ou relire ce livre. L'histoire ne serait-elle qu'une roue qui tourne devant nos yeux ? Ici vous verrez la tragédie des pogroms, les ghettos, la population juive entassée par l'occupant, ici aussi où va se développer, il le faut bien, une sorte de vie, une organisation, avec ses ateliers, ses usines presque, avec ses profiteurs et quelque fois ses bienfaiteurs et ses résistants.
C'est que quand même l'herbe apparait entre les pavés ensanglantés de l'horreur. de fines pousses sur le sol stérile. Ici, dans ce livre, l'herbe c'est la poésie du texte qui fait de ce lieu un monde encore vivable. C'est la poésie du regard de l'enfant, ses illusions, ses rêves. La poésie, c'est un théâtre qui survit dans les décombres, presque la dernière petite lumière à luire. Dans ce chaos, avec ses monstres casqués et bottés qui tirent à vue et entrainent les plus faibles dans les trains de la mort, la religion n'a presque plus sa place. Elle aussi ne vivote que dans les ruines, sous les gravats, petite flamme entretenue par le concierge de la synagogue
L'enfant a vu massacrer son frère, sa famille, et de mains secourables en mains secourables, a échoué dans ce ghetto cerné de palissades qui voit passer la vie sous les passerelles qui enjambent le monde des autres, des goyim. Là, il recrée, ou laisse survivre son monde à lui. le monde de l'enfance encore dans l'illusion des représentations de son spectacle de marionnettes. Un monde qu'il ne laisse pas pénétrer par les horreurs qui l'entourent. Elles sont là, il le sait, il les voit, mais comme nous dirions maintenant, ces horreurs n'impriment pas. Son monde, ce n'est pas celui des sauvages qui gardent les miradors, pas celui du président du conseil juif qui surnage en concédant des gages aux nazis, pourquoi pas même s'il le faut tous les enfants que l'on arrache à leurs parents pour sauver les autres. Les sauver pour un temps. Chaque minute gagnée... Dans un de ses livres,
Imre Kertèsz nous explique que le temps, en tant que durée, n'existe pas dans ce qu'il a vécu, lui c'était dans les camps. Ce n'était qu'une succession de minutes. Une parcellisation qui seule pouvait permettre de survivre et d'avancer encore un peu sans lâcher prise.
C'est dans ce ghetto que survivent aussi les actes de courage et la solidarité. le chaos n'est peut-être pas le néant. Dans ce monde vu au travers des yeux de l'enfant, il n'y a pas de visions intolérables. Il n'y a que des faits, horribles d'inhumanité mais constatés par lui avec une sorte d'objectivité froide, presque de la naïveté même si on imagine bien que l'enfant a perdu tout ce qu'il pouvait lui en rester. La douleur l'a recouvert d'une cuirasse. Elle protège ses yeux qui ne s'attardent pas sur l'impensable. le mal est là, tout autour de lui. Il fait avec. A-t-il le choix ? Il s'en défend avec ses songes, avec aussi les identités qu'il se fabrique et qu'il endosse au point que l'on les confonde lui et sa marionnette. le pantin se substitue à son image. Il est son frère, serré contre son épaule au point que finalement c'est sur le pantin que tirera le nazi, sur ce frère factice, issu du monde des songes, qui endossera la balle qui visait l'enfant, son alter, et le sauvera, quand lui l'enfant n'avait pu sauver son vrai frère.
C'est un joli livre, un témoignage qu'il faut lire maintenant. le texte, poétique, n'est pas forcément toujours transparent et nécessite parfois un effort du lecteur, mais il dégage une ambiance onirique à coup sûr émouvante.