Là haut, sur l'Olympe du sport français, dans la catégorie ancêtres, il y a Georges Carpentier. Premier boxeur français champion du monde, titre conquis (déjà) de l'autre côté de l'Atlantique.
Mais raconter sa vie et ses exploits est devenu une gageure : tout cela se déroulait dans un monde déjà si lointain, au tout début du XXème siècle. Et le livre est d'abord une thèse d'histoire du sport avant d'avoir été réécrit pour le grand public. Il en reste une profusion de guillemets pour les citations et de notes de bas de pages pour mentionner les sources, qui nuisent un peu à la fluidité du récit.
C'est dommage parce que le récit, lui, est fascinant. D'une part, il passe en revue toute la carrière de Carpentier et une grande partie de ses 109 matchs Ce qui est un nombre énorme, qu'on ne retrouve aujourd'hui que chez quelques stakhanovistes sud-américains exploités sans vergogne. Faut dire qu'il a commencé en 1910 ses premiers combats professionnels à 14 ans, directement dans la cour des grands et pas contre des mômes de son âge. Ce qui fait qu'à l'orée de la première guerre mondiale, il régnait en maître sur le vieux continent. Et sa carrière a été brutalement stoppée par le conflit, le privant de ses meilleures années. C'est après la guerre qu'il ira conquérir le titre suprême, alors qu'il est déjà vieillissant, ce qui fait qu'il ne le gardera pas longtemps et le perdra de bien piètre manière. Risible, même, mais j'arrête avant de divulgâcher.
C'est aussi une histoire de promotion sociale ahurissante : le fils de mineurs lensois se retrouvera à nager au milieu du show biz parisiens de l'époque (
Maurice Chevalier, Mistinguett, …) sans pour autant y couler comme tant d'autres boxeurs après lui. Au milieu de la haute société britannique, également, et c'est encore plus étonnant. Pas tant que ça, nous raconte l'auteur, cela tient au contexte de l'époque où la noblesse britannique était encore fortement impliquée dans le développement du noble art.
C'est l'autre énorme intérêt du livre : il replace chaque épisode dans le contexte et nous fait découvrir tout ce que la boxe charriait (déjà) à la Belle Époque. Là, l'auteur fait vraiment oeuvre d'historien, replace les confrontations pugilistiques dans le contexte des relations internationales parfois houleuses entre la France et l'Angleterre, puis de la rivalité entre l'Ancien et le Nouveau continents. le racisme ambiant, aussi, dès qu'il s'agissait de de ses adversaires noirs, à ce moment de l'intensification effrénée du colonialisme européen.
On parcourt également une belle tranche de l'évolution du rôle du sport dans la société et de l'image des sportifs. Si Georges Carpentier n'a pas été totalement précurseur dans le domaine, il a eu une aura invraisemblable au regard de l'idée qu'on a des medias de cette époque, notamment parce que sa carrière se déroulait en même temps que la première mondialisation de l'information. Les résultats de ses championnats du monde au début des années 20 traversaient l'Atlantique quasi en temps réel, une rapidité époustouflante pour un temps où la traversée se faisait encore en paquebots.
Au final, un livre passionnant sur un destin extraordinaire. Il faut quand même avoir un vague intérêt pour le sport ou la boxe au départ, vu le nombre de pages qui décrivent les combats. Ou alors avoir envie de découvrir pourquoi il ne s'agit pas uniquement d'histoires de deux sombres brutes s'écharpant devant une meute de crétins assoiffés de sang.
Je remercie les éditions Nouveau Monde et Babelio pour ce livre reçu et lu dans le cadre d'une opération Masse Critique.