Des gens y entrent, certains jours, de vieilles dames serrant fort contre leur poitrine le livre qu'elles viennent d'emprunter à la bibliothèque de la clinique, Amélie Nothomb ou Stephen King, des couples mettant en berne un instant les dissensions qui les ont soudés, en cet endroit ce serait sacrilège, des hommes seuls, tendus, perdus, des gens en blouse blanche, graves ou concentrés, pour rappeler où l'on est. Personne ne se regarde. Tout le monde, y compris le personnel médical, exhale une tristesse communicative. C'est comme le rire ou le bâillement, la tristesse, il suffit d'un pour que tout le monde s'y mette.
J'ai toujours eu du mal, avec le mensonge. Travestir la vérité, cacher, tromper, dire l'inverse de ce qu'on pense, je sais faire, bien sûr, n'étant ni plus idiot ni plus incapable que la moyenne ; mais cela me révulse, me répugne bien au-delà du supportable. C'est pourquoi il ne m'a pas été facile de me plier à la discipline fixée par les médecins et la famille face à la confusion, ne pas contredire, approuver, quoi qu'il en coûte.
Mon père a refusé de se faire opérer, trouvant je ne sais quel prétexte, une crainte de ne pas se réveiller, une méfiance vis-à-vis du corps médical, le fait que dans une situation similaire un de ses amis ne s'en était pas remis. Bref, il avait peur.
Si des gens disent conserver des réminiscences de leur venue au monde, des contractions de leur mère et de l'expulsion, la mienne a toujours gardé le souvenir de cette histoire de jeu fraternel, cette plongée manquée vers un utérus funèbre.
Le foot n'est pas toujours l'école de la générosité. J'écoute d'une oreille distraite, depuis que ma mère est malade tout me semble sans intérêt, inadapté, méprisable.
VLEEL 286 Rencontre littéraire avec Éric Halphen, Les divisions, Éditions Buchet Chastel