Tout d'abord je remercie Masse Critique pour m'avoir sélectionnée afin de recevoir des PUM (Presses universitaires du midi) cet ouvrage publié avec le concours du laboratoire Cultures anglo-saxonnes et du Groupement d'intérêt scientifique - Migration et diversité dans les îles britanniques et irlandaises. le livre est une édition bilingue : le recto écrit en français et le verso en anglais. J'ai commencé la lecture en anglais puis aux trois-quarts, j'ai fini en français puis j'ai relu en français, seulement - cela va plus vite pour moi car le texte est relativement court.
C'est une pièce de théâtre qui comporte deux actes. le premier acte est découpé en onze scènes et le second en six. Parmi les quatorze personnages qui évoluent sur scène, quatre sont les principaux : Rose Cruickshank, une Britannique d'origine antillaise, Sofia Nicol, une Britannique d'origine chypriote grecque, souhaitant s'associer pour écrire un livre, Clem Jones, l'éditeur d'un journal, et
Enoch Powell, deux amis qui ont des opinions politiques divergentes et qui finiront par s'éloigner l'un de l'autre.
Les autres personnages sont secondaires mais tournent autour d'eux. Que ce soient les épouses de Clem et d'Enoch, Joyce Cruickshank, la mère de Rose ou Grace Hugues dont le mari mort à la guerre l'a laissée seule et sans défense. Il y a aussi Sultan et Saeed Mahmood, deux immigrés Pakistanais, amis de Grace.
Bien sûr le gros morceau de la pièce, son sujet principal c'est le discours dit des « fleuves de sang » du 20 avril 1968, que prononça
Enoch Powell à Birmingham : sa prise de position contre l'immigration post-coloniale, contre le multiculturalisme (les Noirs, puis les musulmans et enfin les Européens de l'Est). Dans la pièce, l'utilisation redondante du terme « Picaninnies » issu du vocabulaire colonial pour désigner de manière péjorative des enfants noirs d'origine antillaise. Rose a été traitée de picaninnie par ses voisins et s'en souvient avec amertume. Les Pakistanais sont appelés Paki et les termes junglee et nignog ont été usités dans les années 1960 et 1970 pour désigner les noirs, les Aborigènes australiens.
L'auteur Hannan a été marqué par la victoire du Brexit dans le référendum de 2016, l'année où il a fait jouer sa pièce à Birmingham avec Ian McDiamid dans le rôle de Powell et George Costigan dans celui de Clem Jones. Ce que nous montre la victoire des partisans du Brexit dans le référendum de 2016, c'est la prégnance à long terme des idées de Powell dans toute une partie de l'opinion britannique.
La pièce de Hannan révèle le traumatisme subi par les générations de migrants post-coloniaux, qui, bien que britanniques, vivent leur vie à l'ombre des préjugés et des discriminations.
Les Beatles composent la chanson Get Back pour marquer leur opposition au discours de Powell.
Le nom d'
Enoch Powell est devenu aussi sulfureux en Grande-Bretagne que celui de
Jean-Marie le Pen en France.
J'ai aimé lire cette pièce car outre le débat d'idées entre Rose et Powell surtout, elle est légère : beaucoup de poésie, et de chansons. J'ai découvert ainsi le poète anglais A.E. Housman avec son poème : The land of lost content et aussi avec son recueil de poèmes : A Shropshire Lad. Shelley n'est plus à découvrir mais son poème A Summer Evening Churchyard est magnifique. Sultan Mahmood chante une chanson écossaise de Harry Lauder créée en 1913 : I love a lassie, a bonnie lassie…dont les paroles sont très jolies et champêtres. Cela pourrait être très agréable et intéressant de voir cette pièce montée sur scène en France, même si les préoccupations des différents antagonistes sont un peu éloignées des nôtres, Préoccupations spécifiquement britanniques et comme le dit Enoch : « J'ai tendu un miroir pour que l'Angleterre se regarde ».
Le Brexit a-t-il amené un nouveau souffle dans ce pays en pleine mutation économique, idéologique et d'intégration des minorités, il est trop tôt pour le voir. Mais l'avenir nous le dira. Faut-il y voir des similitudes avec ce qui se passe en France ? Ici, nous avons toujours un métro de retard mais bon, la roue tourne.