Si «
Imperium » n'est pas le premier roman de
Robert Harris que vous lisez, vous savez déjà que vous en aurez pour votre argent et même au-delà : que vous aurez une bonne histoire servie sur un beau plateau, avec du fond, de la forme, et que vous sortirez du bouquin moins bête qu'en y entrant, et même ravi.
«
Imperium » (2006) est le premier volume d'une trilogie consacrée à
Cicéron. Il est suivi par «
Conspirata » (2009) et se conclut par «
Dictator » (2015). Ce ne sont pas directement les Mémoires de Cicéron, mais celles de son secrétaire Tiron. Ces Mémoires ont paraît-il existé mais le vent de l'Histoire les a emportés avec l'Empire romain. Ils renaissent ici sous la plume de
Robert Harris qui, non seulement, à partir des sources les plus fiables, a reconstitué l'histoire de Rome dans les derniers jours de la République, mais encore, avec le talent qu'on lui connaît, a su donner vie à ces personnages que nous ne connaissons que sous formes de statues, ou de notices dans nos livres d'Histoire.
Petit point linguistique à préciser : «
imperium » ne veut pas dire Empire. L'Empire d'Auguste ne commencera qu'en 27 avant J.C. Or nous ne sommes qu'en 71 avant J. C. et donc encore sous la République. Et la signification d'«
imperium » est « pouvoir », « commandement », et à ce moment là de l'Histoire, le pouvoir suprême, civil et militaire, est tenu par les deux consuls, désignés tous les ans par une assemblée du peuple romain, sous le contrôle du Sénat. le titre du roman indique clairement le sujet : l'ascension de Cicéron vers cette fonction suprême.
En 71 av J.C. Cicéron est un jeune sénateur, ambitieux, mais n'ayant ni naissance ni fortune, il n'a que son éloquence d'avocat pour réussir à monter les marches du pouvoir. L'occasion lui est donnée de se mettre en avant : Un homme lui demande de le défendre contre Verrès, gouverneur de Sicile, coupable de pressurer la population par des impôts illégaux, et d'autre part d'avoir détourné à son profit la plupart des trésors artistiques de l'île.
Le procès gagné,
Cicéron se lance dans la course au consulat.
Robert Harris nous promène avec jubilation dans les coulisses du Sénat et de la vie politique romaine : on croise des personnages que l'on est appelé à retrouver : Jules César, les généraux Crassus et Pompée, Catilina, Hortensius et bien d'autres. Et nous entrons également dans la vie privée de Cicéron, illustrée par de réjouissantes joutes avec sa femme Terentia…
Le talent de
Robert Harris est tel que, bien qu'il décrive sans y toucher une institution complexe et a priori rébarbative, il y met tant de vie et de mouvement que non seulement on ne s'ennuie pas un seul moment, mais encore on se croirait à une élection contemporaine : les grenouillages, les dessous de table, les compromissions, les promesses fallacieuses, la propagande (et même les fake news) sont en balance avec l'engagement sincère des candidats (qui ne dure pas longtemps) et des électeurs soit intéressés (au sens pécuniaire du terme) soit fatalistes… (Si vous me dites que la politique ce n'est pas ça, c'est que vous êtes un politicien, si vous n'êtes pas d'accord, ce qui est votre droit, ne lisez pas ce que je viens d'écrire…)
Faire un cours « d'Histoire » en racontant une belle « histoire », ça n'arrive pas si souvent, l'un des deux prenant souvent le pas sur l'autre. Harris réussit le tour de force de nous maintenir accrochés, en faisant de ses personnages des êtres de chair et d'os, et de sentiment, et de caractère, que nous pourrions accepter pour nos contemporains.
Un peu comme la série « Rome », mais avec plus de passion et plus d'empathie pour les personnages. Ici le monde romain n'est pas un décor pour une intrigue, il fait partie de l'intrigue, il en est le coeur, il « est » l'intrigue. Nous le savons, nous qui avons été à l'école, «
Impérium » décrit le début de la fin de la République, et le roman, petit à petit, nous confirme dans cette idée.